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décalages et metamorphoses

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Archives de Tag: Temple

« Chaque quartier est un monde -1» (histoires drôles n. 31)

22 dimanche Fév 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

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cactus, chaque quartiers un monde, Eugenio Montale, histoires drôles n.31, italo calvino, jornal Libération, Marais, Pirandello, rue Béranger, statue de Turenne, Temple, Thimberland, Virginia Woolf

 

001_Mondo def 180

(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Tous les jeudis, je plonge dans le IIIe arrondissement comme Cendrillon dans le palais du roi.
Tous les jeudis, je traverse place de la République, le sac à dos chargé de trois ou quatre livres, pour me rendre dans le Marais, là où mon « cercle littéraire » se donne rendez-vous toutes les semaines. Il me suffit d’emprunter le trottoir de la rue Béranger, pour comprendre que chaque quartier est un monde, tout comme les jours, chacun différent des autres… Je crois encore, naïvement, à cette fameuse « x », la variable inconnue qui marque notre existence. La faute ou le mérite de cela résidant dans notre regard biais et tordu, où se refléter et se mêlent dans le même instant les sensations et les images, tandis que la pensée vibre dans l’écoute et que le corps marche, absorbé dans une espèce de veille. Quand certains lieux sont connus, des surprises inattendues y sont possibles ainsi que de changements primordiaux, même si minimaux : des lignes de fuite auxquelles on n’ aurait jamais songé. Depuis cela, la promenade devient une thérapie régénérante…

002_Turenne180-foto Giovanni MerloniStatue en bronze d’Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne (cliquer pour agrandir)

Tandis que je glisse comme une mouche oisive sur le trottoir, j’effleure l’iPhone sommeillant au fond de ma poche : un troisième œil prêt à bloquer et classer en même temps les objets de mon attention. Je ne peux pas le nier : d’un jeudi à l’autre, ce même parcours rajeunit de plus en plus ! Chaque fois que je traverse la rue Béranger pour atteindre le petit coin vert entourant la statue en bronze du vicomte de Turenne, j’allonge mon « double regard » sur les vitrines, en quête de quelque chose qui fasse exploser en moi un déclic…

003_sculture-manichini-180Photo avec des mannequins (cliquer pour agrandir)

…comme ces mannequins sans bras ni jambes, fort ressemblants aux statues grecques d’Apollon ou alors aux personnages « coupés en deux » de Luigi Pirandello et Italo Calvino… Mais, en fin de compte, ne sommes-nous pas, tous, un peu aliénés, inachevés, incomplets, éperdus entre « réel » et « irréel »… ?

004_vetrina timberland-180

Vitrine de chaussures (cliquer pour agrandir)

… dans cette boutique de chaussures Thimberland, un aviateur très espiègle, doublé par deux « sosies », ne cesse de jouer de l’œil à mon intention en me susurrant : « Arrête ! Où t’en vas-tu toute seule ? Veux-tu faire un tour ? »
Sans le vouloir, j’observe mes gyms, sales et abîmées… « Je devrais en acheter de neuves ! » me disais-je en entrant dans le magasin…

005_chassures marais-180Chaussures pour homme en peau de léopard (cliquer pour agrandir)

Je regarde autour de moi, interloquée : « Mon Dieu, je suis vraiment paumée ! Je ne suis pas entrée dans le bon endroit… »
Le patron, très chic et gentil, me propose d’étranges chaussures en peau de léopard. Depuis ma bouche, j’entends sortir un tout faible souffle : « Non, merci, elles sont trop grandes pour moi, ce n’était pas cela que je cherchais, au juste ! »

006_Nogozio-place-cactus_180Vitrine (cliquer pour agrandir)

… en quête de réalité, je m’approche de la grande vitrine de cailloux et cactus, à côté de la banque. La simple élégance de la nature, la surface lisse de ces cailloux ronds et blancs, la chair épineuse et tenace des cactus, évoquant des têtes de vieillards sages et paternels, tout cela me détend… C’est comme si j’étais en Australie, cet endroit fabuleux qu’on appelle « Cactus country »…

Quand je sors du magasin, une petite plante grasse pique mes doigts comme le ferait un chaton et, tout d’un coup, je retrouve la confiance dans une vie normale, dans les petites choses de toujours… ces chaudes pantoufles qui nous aident à supporter le poids parfois insoutenable de ce qu’on appelle la « Réalité » : non seulement celle qu’on voit, mais surtout celle qui reste cachée, souterraine. Ce que Virginia Woolf appelle une « chaîne en acier en dessous de nous », contrastant avec la « grande cathédrale de l’enfance ». Le poète Eugenio Montale parle du « mal de vivre » auquel il oppose la force positive et mystérieuse de la mer et des os blancs et éblouissantes de la seiche…

Quant à moi, je me borne à revenir en arrière, sur la pointe des pieds, en direction de la place de la République, tout en réfléchissant : il est impossible de détourner le regard. On ne peut pas se dérober à ses propres responsabilités.

007_liberation180Vitrine du journal Libération (cliquer pour agrandir)

…D’un coup, je repense à cette vitrine au numéro 11 de la rue Bèranger. C’est le siège du journal « Libération ». Combien de fois me suis-je arrêtée à scruter la grande enseigne colorée de vert, tandis que mon ombre se reflétait sur la vitre ! Combien de pages inoubliables ou de photos originales j’ai gardées dans ma bibliothèque ! Maintenant, au lieu de l’inscription, il y a une espèce d’écran noir : un sombre et robuste rideau de fer, surveillé par trois soldats armés…
Le « double regard » a soudain disparu. Je me réveille. Je suis seule sur le trottoir, juste à la sortie d’un garage. Les militaires demeurent immobiles, toujours armés, les jambes solides collées au sol. Je me tourne calmement vers le Nord, le petit cactus dans mes mains comme un oiseau dans son nid.

008 plante grasse180 - Version 2

Plante grasse (cliquer pour agrandir)

Texte et photos de Claudia Patuzzi

 

 

Vie d’une fontaine 1-2 (histoires drôles n. 29 )

01 jeudi Jan 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

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après 7 et 9 janvier 2015, archanges urbains, Fountaine Boucherat, Je suis Charlie, Marais, quatrième métamorphose, rue Béranger, rue Charlot, rue de Turenne, Temple

001_rue charlot intera180

La fontaine entre rue Charlot et rue de Turenne (Temple)

Depuis deux ou trois ans, tous les jeudis je me rends dans un bistrot au cœur du IIIe arrondissement où se donnent rendez-vous les membres d’un cercle littéraire dont je fais partie. Chaque jeudi matin, qu’il y ait le soleil, la pluie ou la neige, je parcours — si la bronchite m’y autorise — la rue Béranger (1) jusqu’au croisement entre rue de Turenne et mon adorée rue Charlot. Chaque fois, je m’arrête à regarder une gracieuse fontaine à sec avec une inscription au-dessus, « fontaine Boucherat » ne faisant qu’un avec une affiche récemment ajoutée : les livres sous le bras, un garçon d’à peu près douze ans est en train de se rendre à l’école. Apparemment, on est à l’époque où l’on appelait Paris « ville lumière ». Avec le temps, je me suis attachée à cette image s’harmonisant si bien avec la vieille fontaine. Moi-même, à combien de jeunes connus dans mon lycée suis-je encore liée ! La mémoire à la force impétueuse d’une fontaine inépuisable…Chaque fois, au croisement, je cherchais le garçon aux bottes, son paletot plein de boutons, son béret et son cartable en bandoulière. Jusqu’au jour de 2013 où j’ai sursauté, interloquée.Du jour au lendemain, au petit étudiant zélé on avait enlevé la tête !

002_senza testa180- 2

Des inscriptions indéchiffrables de peinture blanche salissaient le paletot noir. La botte droite avait été arrachée avant d’être recouverte par une autre inscription. Quant à la tête, il ne restait que le menton…

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En 2014, l’état de l’affiche a progressivement empiré. Peu de temps après, tandis que les passants commençaient à s’inquiéter de sa survie, ce « tableau vivant » était visiblement à bout de souffle. Une main inconnue (la même qu’auparavant ?) avait déchiré la partie inférieure du paletot, tandis que d’autres minuscules affiches — un carré vert sur le cœur de l’enfant et un petit blason rouge à la place de sa tête — abîmaient la petite veste et la fontaine… Mais le vandale inconnu, encore insatisfait de son œuvre, avait ajouté, derrière le paletot de ce pauvre garçon, une fleur en forme de queue, à son tour détendue sur un visage féminin. Juste une ébauche à peine esquissée… Et je n’arrive pas encore à comprendre cette inscription… : « DISGRAOe » ?

004bis_part.senza testa180. - Version 2Voilà une vision rapprochée du troisième stade — assez proche à la mort humaine !

005_douple face vetro 180

Mais notre vie, avec le temps et les années — …2013, 2014, 2015… — ne subit-elle pas, elle aussi, jusque dans ses chairs les plus délicates et intimes, d’horribles blessures, d’obscures déceptions ? Lorsqu’il s’agit de découvertes que nous voudrions oublier, de mots que nous n’aurions pas voulu entendre, de corps que nous n’avons plus la force de regarder… ? Ne serai-je pas, moi aussi, une affiche défigurée par la violence de l’homme et du temps ? Non, je ne me laisserai pas réduire comme ce pauvre petit écolier, comme cette pauvre fontaine une fois si belle, maintenant défigurée et à sec ! J’observerai les autres vies au-delà de la vitre et je rêverai, comme cette enfant à la robe céleste… Je demeurerai en équilibre précaire sur un gouffre, protégée par des chaussures solides, comme cette jeune femme sans crainte. Enfin, je lèverai la tête et je hurlerai, je hurlerai, je hurlerai…

006_Font-180 BoucheratoriginariaNO

(Les photos sont toutes agrandissables)

UN BON 2015 À TOUS !!!!!

Claudia Patuzzi

(1) La rue Béranger est une rue situé à l’extrémité nord du quartier du Marais, proche de la place de la République.

P.S. Après les tragiques évènements de 7 et 9 janvier 2015, la fontaine Boucherat  a subi un nouveau changement, témoigné par la photo suivante : 

fontaine180 avec Charlie 2

(cliquer pour agrandir la photo)

On assiste à une double métamorphose : à droite on voit l’inscription « archanges« , au centre un ange, et, à son coté le mot « URBAINS » (archanges Urbains ?); On y reconnaît aussi l’expression « Je suis Charlie » et, sur le fond bleu foncé, d’étranges objets volants… des bombes ? des missiles? des voyages imaginaires dans le futur ? Un cri de douleur? Une espérance ?

Même si l’histoire emmène des changements soudains, Paris continue à vivre « sa nuit » dans un mouvement incessant. Si on fait attention, on peut entendre partout – dans le métro, dans les rues, dans les jardins – le piétinement de pas invisibles, des mouvements feutrés et glissants, le froissement de pinceaux en train d’accrocher des affiches sur les murs déchirés, dénudés et, finalement, métamorphosés… La nuit est grande. La nuit est profonde. Étrangement longue pour ceux qui rêvent plongés dans leurs désirs ou qui n’arrivent jamais à dormir… Combien de pas se faufilent au-dessous des arches et de galeries, à côté des égouts ! Combien d’ombres, de douleurs et de songes se cachent derrière cette vie noire et inconnue !

Claudia Patuzzi (8 février 2015)

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