• À propos

décalages et metamorphoses

décalages et metamorphoses

Archives de Tag: Place Campo Marzio

Le placard de Calvino/8 : La lune – dialogues imaginaires n.8

22 dimanche Juin 2014

Posted by claudiapatuzzi in dialogues imaginaires

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

été 1985, dialogues imaginaires n.8, Giacomo Leopardi, l'arioste, la lune, le placard de Calvino, Pandolfi, Place Campo Marzio, Rome

001_Calvino180-Vers2

Temps : juin 1985, tard dans la nuit.
Lieu : Centre de Rome, Place du Campo Marzio, à côté du Panthéon ; grand studio d’Italo Calvino avec bibliothèque et terrasse panoramique. La pleine lune illumine la nuit.
Personnages  : Italo Calvino, l’Arioste, Giacomo Leopardi, monsieur Pandolfi (chargé de la désinsectisation de la Zucchet).
Les quatre sont confortablement installés dans la terrasse, réunis près d’une table pour une partie de cartes. L’Arioste mélange le cartes, avant de prendre la parole en premier. Au centre de la table, il y a une boîte de chocolats.

L’Arioste : — regardez cette Lune magnifique ! Quelle merveille de ciel avec toutes ces coupoles ! Les collines se détachent noires contre le fond étoilé…
Monsieur Pandolfi (en avalant trois chocolats en une seule fois) : faisons vite, je ne tiens plus debout et je n’ai même pas un sou non plus !
Calvino : Un peu de manières, monsieur Zucchet ! Si vous êtes fatigué, vous pouvez bien dormir dans mon studio…
Monsieur Pandolfi : — comment vous le dirai-je ? Je m’appelle P-a-n-d-o-l-f-i ?
Calvino : D’accord, j’ai compris… maintenant, essayez de vous reposer ! Demain, ce sera une journée lourde, pour vous.
(L’homme rentre dans le studio)

003_Ariosto antique 180

Anselm Feuerbach, Portrait d’un poète, l’Arioste, 1850, Backnang, Allemagne.

L’Arioste : (en dégageant un souffle profond, tout en comptant l’argent gagnéaux cartes) : — pauvre garçon, il a tout perdu ! (Ensuite, ne cessant de regarder la Lune) : — c’est vraiment un spectacle merveilleux ! Dans le placard la Lune est invisible. Tout y est plongé dans une espèce de brume épaisse. Tout est submergé par le retentissement de nos lamentations. Les classiques peuvent regarder et entendre juste ce qui arrive sur la surface de la Terre, mais sans pouvoir agir. Il nous faudrait une grande œuvre qui nous nomme tout en défendant nos écrits. Cela pourrait nous donner la force de remonter au sommet de ce puits profond comme un gouffre… Au nom de tous les classiques, je vous suis énormément reconnaissant, monsieur Calvino, pour ce que vous avez écrit, mais aussi pour être venu nous libérer ! Depuis trop de temps, nous ressentions le besoin de prévenir ces hommes irréfléchis du XXIe siècle vis-à-vis du danger imminent ! »
Calvino : — je vous remercie, Monsieur l’Arioste ! Mais le mérite est à Leopardi : c’est lui qui est sorti le premier du placard !
Leopardi : merci, monsieur Calvino, mais finissons-en avec tous ces remerciements ! Consacrons-nous à la contemplation de la Lune… de façon que je puisse m’en réjouir comme il m’arrivait pendant ma jeunesse, depuis ma fenêtre de Recanati ou quand j’étais « vieux », depuis la fenêtre de la Villa des genêts près de Naples. J’étais juste au-dessus de la lave pétrifiée du Vésuve : la lune était ronde et blanche comme le visage d’une femme… À présent, cette nuit-ci me rappelle ce silence infini là… (Et, regardant la Lune, il susurre) :

002_pleine lune def 180

« Ô favorable lune, je me rappelle,/ sur ce col même –voilà, l’année revient -, / Je venais te mirer plein d’angoisse ;/ Et tu pendais alors sur cette sylve, L’éclairant toute, comme aujourd’hui…/ » (vv.1-5, À la lune, Chants, Anthologie bilingue de la poésie italienne, Bibliothèque de la Pléiade p.1019).
Puis, il ajoute : « Que fais-tu, Lune, au ciel ? dis-le-moi, que fais-tu, /Lune emplie de Silence ? »(Chant nocturne d’un berger errant de l’Asie, vv.1-2)
L’Arioste (il s’essuie une larme, s’adressant à Calvino) : est-ce que vous avez un mouchoir ?
Calvino (fouillant dans sa poche) : Oui, bien sûr…
L’Arioste (en se mouchant bruyamment) : — je suis ému ! Cela m’a fait souvenir de mon Astolphe sur la Lune en quête de l’esprit de Roland…
Calvino : Vous avez été courageux, monsieur Ludovico, en vous aventurant dans cette description de la Lune ! Vous l’avez rendue VISIBLE par des mots poétiques et fantastiques… Vous avez le pouvoir de mettre à feu des visions que vous avez eu les yeux fermés, vous pensez par images… Vous êtes un pédagogue de l’imagination ! Grâce à vous, la Lune est devenue un repaire « des ruines de cités, des restes de châteaux mêlés avec de grands trésors » (octave 79, vv.57-58), « des serpents au visage de fille :…l’oeuvre des larrons et des faux-monnayeurs » (v.61), « des flacons cassées de diverses espèces… »(v.63) En somme, dans vos vers la Lune devient petit à petit un doublon de la terre et de ses vices ainsi que du pouvoir injuste et violent des princes ! (Leçons américaines, « Visibilité»,1988, pp.91-93)
L’Arioste (se levant): –  « La folie seulement n’y est ni peu ni prou:/ Elle reste ici-bas et ne s’en va jamais… »(Roland Furieux, octave 81, vv. 79-80) « C’est comme une fluide et subtile liqueur,/ Qui s’exhale aisément d’un flacon mal fermé ; Elle était conservée dans diverses ampoules…/Mais la plus grosse était…le bon sens de Roland… » (Idem, octave 83, vers 89-96, chant XXIV)
Calvino (se levant lui aussi) : —malheureusement, la folie humaine a énormément augmenté ! Aujourd’hui, on est bombardés par une quantité d’images…la mémoire est recouverte de strates d’images pulvérisées comme dans un dépôt d’ordures… (Leçons américaines,1988, pp.91-92) Y aura-t-il un futur pour l’imagination individuelle à l’intérieur de ce qu’on appelle d’habitude la civilisation de l’image ? Je me demande cela chaque jour. Cela dépend, peut-être, du fait que j’étais justement enfant de la civilisation des images. On était d’ailleurs encore loin de l’inflation de l’image qu’on subit aujourd’hui : je lisais le  « Corriere dei piccoli » avec cet extraordinaire personnage du chat Felix. Et je me nourrissais d’une culture surtout étrangère, anglophone. Je lisais Kipling, Dickens, Poe, Stevenson, James… dans ces livres le fantastique jaillissait directement du quotidien… » (Leçons américaines, Visibilité, 1988, pp.92-94)

004_Felix cat

Pandolfi (faisant irruption dans la terrasse agitée) : Venez, courez dedans, vite ! Deux forcenés sont en train d’essayer… de défoncer le placard !
Leopardi : — Voilà, l’idylle de la Lune est terminée !

Claudia Patuzzi

 

Le placard de Calvino/7 : la liste et la visite – dialogues imaginaires n.7

15 dimanche Juin 2014

Posted by claudiapatuzzi in dialogues imaginaires

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

été 1985, Bartleby, Giacomo Leopardi, jiun 1985, l'arioste, le placard de Calvino, Melville, monsieur Pandolfi, Paralipomeni, Pietro Citati, Place Campo Marzio, Rome

 

001_Calvino180libreria 2

Italo Calvino dans son studio (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Temps : fin juin 1985, après-midi
Lieu : Centre de Rome, Place du Campo Marzio, à côté du Panthéon ; grand studio d’Italo Calvino avec bibliothèque et terrasse panoramique.
Personnages  : Italo Calvino, l’Arioste, Giacomo Leopardi, monsieur Pandolfi (chargé de la désinsectisation de la Zucchet), Pietro Citati.
Calvino, Leopardi e Ariosto discutent bruyamment autour d’une table.

Leopardi : (hurlant) Je l’ai dit et je le répète une seule fois : une liste des Classiques ne suffit pas !
Ariosto : Pourquoi pas ? Il faut être synthétiques, sinon on nous envahit…
Calvino : Excuse-moi, monsieur Arioste… Laissons le comte parler… donc, que disiez-vous ?…
Leopardi : Je me referais en particulier aux « leçons » ou pour mieux dire aux « conférences » américaines… et j’ai pensé qu’il nous faut six listes !
Calvino : six listes ?
Ariosto : êtes-vous devenu fou, comte, nous ne finirons jamais de les écrire…
Leopardi sourit. Un frémissement, le même du souris Rubatocchi des Paralipomeni (1), lui dilate les narines, puis, d’une voix imperceptible, il susurre : « nous devons faire six listes parce que les voix des Leçons américaines sont justement six !
L’Arioste (la main levée comme à l’école) : J’ai compris ! Une liste au nom de la légèreté, une autre pour la vitesse, une autre encore pour l’exactitude, et une autre aussi pour la per la visibilité et la multiplicité… mais on est à cinq !
Le poète de Ferrare regarde Calvino d’un air perplexe…
Calvino : Qu’avez-vous à me regarder, Ludovico ? C’est vrai j’en ai écrites juste cinq tandis que le temps s’amoindrit de plus en plus ! Je suis en retard avec la sixième conférence, celle qui doit se baser sur la consistance, ou, pour tout dire, je ne l’ai pas encore écrite…
Leopardi : l’été est beau mais assez bref, comme la vie…
Calvino : (essoufflé) ces leçons américaines sont devenues une espèce de fièvre, une obsession qui m’use… « la sixième leçon » bourdonne comme une abeille dans ma tête, heureusement j’ai encore un peu de temps… même si chaque heure gaspillée c’est un cauchemar !
L’Arioste : quand j’écrivais mon Furieux j’étais heureux, je vivais dans les mots les plus fantastiques, dans un monde-ailleurs, tandis que la réalité était toujours plus violente et impitoyable… quelle divergence !
Calvino : à côté du pessimisme de l’intelligence je devrais exercer l’optimisme de la volonté, comme le disait Gramsci, mais mon perfectionnisme m’enchaîne…
Leopardi : Gramsci ?… un homme petit et courageux, qui me ressemble beaucoup !
Calvino : (en s’adressant à lui-même ) Ah, si je pouvais parler avec Melville en personne ainsi qu’avec son Bartleby, tout serait plus simple… !

002_Melville-740 - Vers2

Herman Melville, 1885, New York, Granger Collection

L’Arioste : Qui est-il ce Bartleby ? Ne serait-ce pas mieux le capitaine Achab ?
Leopardi : (écartant l’Arioste par un brusque coup de coude) Il ne manque que la baleine blanche et l’on ferme tout !
Calvino : Bartleby est un simple employé, un copiste consciencieux, une scribe, le protagoniste d’un conte de Melville.
Leopardi : Alors, si je comprends bien, nous devons inclure Melville et le protagoniste de son conte, eux aussi, dans la liste des classiques !
Pensif, l’Arioste les regarde tout en caressant sa barbe.
Calvino : Que pensez-vous, à présent, Monsieur Ludovico ?
Ariosto : Je suis en train de penser à cet étrange Bartleby… qu’est-ce qu’il a fait spécial ?
Calvino : Il a osé répondre de cette façon à l’ordre de son donneur d’emploi : « I would prefer not to… »  c’est-à-dire « je ne préférerais pas (le faire)… » ou « j’aimerais mieux pas ».
Leopardi : Il n’a dit que cela ?
Calvino : Oui, juste cela… jusqu’à se réduire au minimum… Peu à peu, il cesse complètement de travailler… et refuse même son renvoi par son employeur.
L’Arioste : Nous devons descendre dans le placard et chercher cet étrange personnage !
Leopardi (tout en ricanant à l’adresse de Calvino) : et bien d’autres…
Calvino : Un peu de contenance, comte, ce n’est pas un jeu pour moi d’écrire pour ces conférences !
Leopardi : Je le sais, cher Calvino, mais il ne faut pas faire les choses trop sérieusement, au risque de s’étrangler quelque fois ! N’est-ce pas, monsieur Zucchet ?
Pandolfi, assis depuis longtemps sur le seuil de la terrasse, se réveille : — Combien de fois dois-je vous dire cela ? Je m’appelle Pandolfi, « la flèche de la Zucchet » ! Quant au prix, si les listes augmentent et qu’elles deviennent 5 ou 6, je voudrais ajourner ma rémunération : on s’accorde pour 300.000 lires et l’on n’en parle plus.
Calvino : Non, non ! C’est hors de question !…
On frappe à la porte.
— Qui va là ? s’écrie Calvino.
Silence.
Obéissant au geste de Calvino, Leopardi, l’Arioste et Pandolfi se sauvent à la hâte dans la terrasse. Calvino va ouvrir la porte.
Une voix gaie résonne dans l’escalier.
« Comment vas-tu avec les Leçons américaines ? Tu me sembles assez fatigué. Pourquoi ne sortons-nous pas pour une petite promenade jusqu’à Giolitti ? (2) Il te faut absolument une coupe à la crème et au chocolat… » hurle Pietro Citati en traînant l’écrivain avec lui…
Quelques minutes après le claquement de la porte les quatre sont confortablement installés dans la terrasse, réunis près d’une table entourée par de vases comblés de fleurs ainsi que par l’immensité du ciel bleu.
Après avoir enfourché une paire de lunettes de soleil, l’Arioste mélange le cartes, avant de prendre la parole en premier.
L’Arioste : « À qui est le tour de lancer le jeu ? »
Leopardi (d’un air malicieux) : « je préférerais ne pas… »
L’Arioste (en clignant de l’œil) : « Comme vous voulez, monsieur Bartleby ! »

003_Bartleby-620x881 - Version 2

Claudia Patuzzi

(1) Dans le poème satyrique Paralipomènes de la Batrachomyomachia  (1831-37) Leopardi décrit de façon sarcastique sa propre descente aux enfers. Rubatocchi c’est le héros du poème, chef de l’armée libérale, qui combat les Autrichiens et les soldats du Pape.

(2) Fameux glacier et cafétéria de Rome, situé dans une rue près du Panthéon.

Articles récents

  • Un ange pour Francis Royo
  • Le cri de la nature
  • Jugez si c’est un homme (Dessins et caricatures n. 46)
  • « Le petit éléphant et la feuille » (Dessins et caricatures n. 45)
  • « Le miroir noir » (Dessins et caricatures n. 44)

Catégories

  • articles
  • dessins et caricatures
  • dialogues imaginaires
  • histoires drôles
  • interview
  • Non classé
  • poésie
  • voyage à Rome
  • zérus, le soupir emmuré

Archives

  • juillet 2017
  • avril 2017
  • février 2017
  • décembre 2016
  • novembre 2016
  • juillet 2016
  • juin 2016
  • mai 2016
  • avril 2016
  • mars 2016
  • mai 2015
  • avril 2015
  • mars 2015
  • février 2015
  • janvier 2015
  • décembre 2014
  • novembre 2014
  • octobre 2014
  • septembre 2014
  • août 2014
  • juillet 2014
  • juin 2014
  • mai 2014
  • avril 2014
  • mars 2014
  • février 2014
  • janvier 2014
  • décembre 2013
  • novembre 2013
  • octobre 2013
  • septembre 2013
  • août 2013
  • juillet 2013
  • juin 2013
  • avril 2013
  • mars 2013

Liens sélectionnés

  • analogos
  • anthropia
  • aux bords des mondes
  • blog de claudia patuzzi
  • colors and pastels
  • confins
  • era da dire
  • flaneriequotidienne.
  • Floz
  • il ritratto incosciente
  • j'ai un accent !
  • l'atelier de paolo
  • L'éparvier incassable
  • L'OEil et l'Esprit
  • le curator des contes
  • le portrait inconscient
  • le quatrain quotidien
  • le tiers livre
  • le tourne à gauche
  • le vent qui souffle
  • les cosaques des frontières
  • les nuits échouées
  • Marie Christine Grimard
  • marlensauvage
  • métronomiques
  • mots sous l'aube
  • passages
  • paumée
  • Serge Bonnery
  • silo
  • Sue Vincent
  • tentatives
  • trattiespunti

Méta

  • Inscription
  • Connexion
  • Flux des publications
  • Flux des commentaires
  • WordPress.com

Propulsé par WordPress.com.

  • Suivre Abonné∙e
    • décalages et metamorphoses
    • Rejoignez 94 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • décalages et metamorphoses
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…