• À propos

décalages et metamorphoses

décalages et metamorphoses

Archives de Tag: Paris

Contrastes : « Deux femmes » (Dessins et caricatures n. 42 )

09 mercredi Nov 2016

Posted by biscarrosse2012 in dessins et caricatures

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

contrastes, croquis, dessin, metro, Paris

000_metro_passy-180

Contrastes :  « Deux femmes »

Pendant mon enfance et encore plus aux jours de mon adolescence, j’aimais observer les visages, les mains, les corps de chaque être humain. L’œil était mon phare : un rayon laser que j’utilisais de façon maladroite en dirigeant sa lumière blanche sur n’importe qui se trouvait à la portée de mon regard.
Avec les années, ce « don » est devenu une habitude toujours plus raffinée et complexe. Il me suffisait d’observer les plis d’une main sur la main-courante d’un bus pour deviner le visage et même le travail de cet être inconnu. Le bus était une espèce de leçon « visuelle » assaisonnée par la fantaisie et l’imagination…
« À quel métier se consacrait-elle cette femme négligée et lasse ? La femme de ménage, la femme au foyer, la mère ? Et cet homme aux lunettes de tortue ? Sans doute le comptable… »
Une habitude qui m’a accompagné jusqu’ici, dans le métro de Paris et de Londres, ou en avion…
Le métro de Paris est pour moi un observatoire unique au monde. Un grand film en couleurs, un immense volume de langues différentes, d’yeux, de bouches, de mains, le tout plongé dans un fourmillement de sensations, de voix, d’états d’âme, de chagrins et pensées invisibles…

001_contrasti-claudia-001-180

Dessin de Claudia Patuzzi, novembre 2016

La dernière fois que j’ai voyagé dans une rame de la ligne 7 du métro, j’ai été touchée par deux femmes assises en face de moi, l’une à côté de l’autre. Qu’est-ce qui attirait mon attention ? Pendant un instant, j’ai demeuré dans l’indécision, puis j’ai compris où était le lacet qui m’avait capturée : leur contraste !
La femme blonde et élégante à côté de la fenêtre plongeait dans la lecture d’un livre. Son visage paraissait attentif et serein, les yeux fixés sur les pages, les lèvres frémissantes dans un léger sourire de plaisir, tandis que son esprit et son corps détendu ne faisaient qu’un avec la trame du livre, se fondant dans un rêve unique…

002_contrasti-claudia-002-180

Dessin de Claudia Patuzzi, novembre 2016

Tout d’un coup, j’ai sursauté. Dans la place à côté, une femme aux cheveux noirs et aux yeux larmoyants était tout le contraire de sa voisine : elle semblait le chagrin personnifié ! L’image de la désolation et de la solitude ! Les yeux inquiets, pleins de tristesse. Je n’avais jamais vu un couple si mal assorti, si incompatible… Unique à ne jamais changer, à rester toujours le même, le métro ne cessait pas de se vider et se remplir d’êtres humains, tout en hurlant son cri de fer et caoutchouc sur les rails, au milieu de l’obscurité des tunnels et des lumières joyeuses des stations.
En ce moment-là, j’ai ressenti, violent, un point de côté dans la poitrine. Qu’est-ce qu’il m’arrivait ? Puis, d’emblée, j’ai compris : c’était le contraste entre le visage serein de la lectrice blonde et la grimace de douleur de cette femme brune, seule et désespérée devant moi.
« Le métro peut être un film » ai-je pensé, tout en descendant à Gare de l’Est, « rien qu’un film vrai et cruel comme la vie ! »

Claudia Patuzzi

Une porte très étroite (Dessins et caricatures n. 40)

22 mercredi Juin 2016

Posted by biscarrosse2012 in dessins et caricatures

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

2016, Immigration, Paris

001_la porte très étroite 001 180

Dessin à feutre ( cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Une porte très étroite

Ce croquis a pointé à l’improviste, dans un petit carnet envahi par des notes, des noms, des listes pour les courses. D’abord, j’ai dessiné la porte, puis l’escalier, enfin ces personnages jaillissant de partout. Nos immigrés !
Le rouge représente la vie, la rencontre et l’échange, tandis que le noir c’est la peur, la méfiance et l’incertitude…

Claudia Patuzzi 

« Les livres anciens au Grand Palais-3 » (histoires drôles n. 37)

12 mardi Mai 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

≈ 6 Commentaires

Étiquettes

Blaise Cendrars, expo livres anciens, Grand Palais, Métro Opéra, Paris, Transsibérien

001_cupolaferro180

(cliquer pour agrandir)

À l’improviste, la lumière s’obscurcit. La grande coupole au-dessus de moi est devenue un enchevêtrement de cercles luisants couleur gris de fer. « Il n’y a plus de temps ! Cela va faire tard, je pense tout en regardant autour de moi : il y a encore tellement de surprises, de livres à découvrir… »

002_verso l'uscita180

( cliquer pour agrandir )

Le concert des joueurs de la clarinette s’est terminé. Doucement, les visiteurs s’empressent vers la sortie, serrant contre leurs poitrines des tuyaux de cartons, des livres, des tableaux soigneusement enveloppés dans des voiles de papier blanc.

003_Cendrars180

(cliquer pour agrandir l’image)

Avant de me joindre à la petite cohue, je me rends chez Blaise Cendrars, trônant au milieu de ses « Poésies complètes », Éditions Denöel, avec sa propre dédicace. Dans ses mots — « Vive la poésie ! » — qu’il avait écrits au stylo, je reconnais son autographe. Le rythme ondoyant et puissant de son « Transsibérien », que nous avons répété plusieurs fois, par cœur, au cercle du Marais, résonne encore dans mon esprit…

004_7906 signorecurvo180

Que vois-je ? Un homme plié en deux est en train d’observer très attentivement d’anciens documents…

005_pergamena neve180

(cliquer pour agrandir l’image)

… Mais je vois bien de quoi il s’agit ! C’est un précieux parchemin écrit en arabe ayant au milieu une scène colorée : sur une montagne enneigée, il y a un homme au turban entouré d’autres gentilshommes… Qu’est-ce que cela signifie ? Je pense intérieurement, tandis que le vendeur…

006_venditore180

… il se promène de long en large, à petits pas, nerveusement : est-ce qu’il vendra ce petit chef-d’œuvre, malgré son prix ?

007_libro fiori180

(cliquer pour agrandir la photo)

… C’est un livre recouvert de la soie fuchsia, brodée de magnifiques fleurs. Mais, qu’est-ce qu’il s’y cache là-dedans ? Un manuel sur les plantes et les jardins ? Des histoires d’amour ? Le paradis terrestre ? On ne le saura jamais…

008_un teatrino di carta180

(cliquer pour agrandir a photo)

Pour ne pas assister à sa défaite ou alors à sa victoire tout à fait improbable, je m’en vais regarder une étrange estampe au-dessous d’un verre… Un très joli théâtre en carton… jusqu’au moment où une tache colorée attire mon attention…

009_exit 180- 2

( cliquer sur l’image pour l’agrandir )

L’air a changé, se colorant d’une couche d’argent sombre. Des lueurs célestes se faufilent dans l’immense toile d’araignée métallique qui pourrait aussi bien servir de volière… Sans vraiment m’en apercevoir, je me dirige vers la sortie où m’attend une sorte de rêve : le Petit Palais offre des lumières dorées à la fête langoureuse du crépuscule. Je reste immobile pendant des minutes, le regard fixé devant moi : Paris ne cesse pas de me surprendre !

011_metro -180

( cliquer pour agrandir )

Mais quand je descends dans le métro « Opéra » je sens mon sang se geler : le plafond de la galerie est empesté par des taches grises, gonflées par l’humidité ! Ce sont des fuites d’eau… que de remèdes provisoires essayent vraiment de cacher ou de renforcer !

0011_metro180

Les parois au long du quai souffrent elles aussi de la même gangrène… Pourquoi les rêves doivent-ils toujours finir ?

Claudia Patuzzi

 

 

Les livres anciens au Grand Palais (histoires drôles n. 35)

28 mardi Avr 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

≈ 5 Commentaires

Étiquettes

dessins, Giacometti, Grand Palais, Jacques Léchantres, Les ingenus, livres anciens, livres de A à Z, Paris, Simenon, Verlaine

001_ingresso180

(cliquer l’image pour l’agrandir)

Il y a deux heures, j’ai eu la force d’abandonner le chaos de mon bureau, les blocs-notes, les stylos, les feutres, les attaches, la corbeille qui déborde, les romans « in fieri »… et, surtout, le regard inquisiteur et légèrement mélancolique de mon Giacometti… Il me suffit de lever pendant un instant les yeux au-dessus de l’ordinateur pour entendre distinctement sa pensée : « Qu’attends-tu ? Au Grand Palais, l’exposition des livres anciens est en cours… Dépêche-toi, avant que tout cela ne disparaisse ! »
Peu de temps depuis, me voilà, juste en face de l’entrée… Une amie libraire nous attend !

002_putto180

 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Avant d’entrer, je lève la tête vers la grille en acier brodé, surmontée par des décors en pierre beige, souple comme la mie du pain… De ses petites mains rondes, un enfant grassouillet est en train de modeler un vase jusqu’à l’ébauche d’un visage qui pourtant n’affiche pas un air vraiment satisfait…

003_custode180

  (cliquer l’image pour l’agrandir)

Le regard du guichetier me gêne… ses yeux me fixent longuement d’un air méfiant, jusqu’à ce qu’il décide de ranger mon sac à dos en échange d’un billet… Et l’enfant grassouillet ? Aura-t-il fini de gâcher son vase ?

004_uomoscopa180

 (cliquer pour agrandir l’image)

Je viens juste d’entrer et voilà qu’un homme à la grande paille, arborant une physionomie orientale, époussète les baies vitrées et les affiches… Sa silhouette est dépourvue de poids et d’épaisseur : est-ce qu’il est le génie des lieux ?

005_poliziotto180

(cliquer l’image pour l’agrandir)

Un policier est là pour toute émergence, à disposition du public… Un autre « défenseur » à la présence discrète, prêt à glisser sur la pointe des pieds, devenant lui aussi presque invisible…

006_stand-180Stand librairie « de A à Z » (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Je marche en direction du petit stand de notre amie libraire, au bout du couloir de gauche, juste en deçà de l’espace recouvert de velours rouge qu’on a consacré aux conférences et aux exhibitions des joueurs de clarinette…

007_Beatrice_180( cliquer sur l’image pour l’agrandir )

« La voici, finalement ! Je te vois ! Tu vas bien ? »
« Je crois que oui, je suis encore sur la brèche ! Le livre papier, le livre physique de toujours, il doit résister, pour qu’on puisse le feuilleter avec délicatesse et passion à la fois… il doit serrer le passé par la queue pour ne pas se faire oublier ou absorber dans le confus univers numérique… »

008_standlibri-180

Stand  de livres ( cliquer pour agrandir )

Béatrice nous accueille dans un parallélépipède en bois blanc, rempli d’étagères comblées de livres anciens… je m’approche pour les effleurer, quelque chose pourtant repousse ma main… puis je m’aperçois que tous ces livres en relief n’existent pas. Ce n’est qu’une illusion, une fausse piste : un trompe-l’œil en bois peint… D’ailleurs, les livres ne sont-ils pas cela aussi ? N’ouvrent-ils pas des mondes possibles, des univers inconnus, des espoirs inattendus ? Ou alors des horreurs qui reflètent nos cauchemars ? La force de la « bonne » écriture transforme chaque détail en un micro-univers et chaque rien en un « tout ». La rêverie en est la levure.

009_Simenon180 - V 2

(cliquer pour agrandir)

« Viens », dit Béatrice, « viens voir mon stand, mon Simenon et mon Verlaine… »

010_Verlaine180

Recuil : Fêtes galantes – Jadis et naguère, Paris, Éditions  de Cluny, 1939, ornés de 20 dessins originaux de Jacques Léchantres.  (cliquer pour agrandir l’image)

Voilà le septième poème de Paul Verlaine : « Les ingenus »…

Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! – et nous aimions ce jeu de dupes.

Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c’était des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.

Le soir tombait, un soir équivoque d’automne :
Les belles, se Pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.

011_capîtano180- 2

Capitaine sur un transat (cliquer pour agrandir l’image)

…et le petit livre de poèmes illustrés, où le marin, ou mieux le capitaine en personne, allongé sur un transat, est en train de lire, tout en fumant sa pipe… Je lis les quatre vers en gras dans la page à côté… et tout de suite je me sens renaître. Des vers anciens ? Pas du tout ! La vraie poésie ne connaît pas le temps qui passe… l’écriture non plus. Elles ignorent tout à fait la vieillesse. Ce quatrain est dense de vie et d’expérience, comme ce capitaine qui préfère savourer sans hâte sa pipe et voyager déjà, poursuivant la fantaisie d’une histoire, d’un récit, d’un sonnet parfumé d’oranges glacées, avant que son vaisseau lève l’ancre en direction de terres inconnues et dangereuses. Serait-ce quoi la vie, si l’on ne profite pas des petites choses avant que la tempête éclate ?

012_cupola180 - Version 3

Sous la voûte (cliquer pour agrandir l’image)

Claudia Patuzzi

La Rive interdite chez Dacia Maraini à « J’écris tu écris », RAI2

15 dimanche Mar 2015

Posted by claudiapatuzzi in interview

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

16 avril 1997, Claudia Patuzzi, dacia maraini, Dante Alighieri, interview RAI2, Isabelle Allende, la maison aux esprits, la riva proibita, la rive interdite, Paris, Philosophie, rive droite, roman, rue du Fouarre, Sigier de Brabant

001_riva

La Rive interdite chez Dacia Maraini à « J’écris tu écris », RAI 2
Interview de Claudia Patuzzi, 16 avril 1997.

Dacia Maraini : Voilà, un enfant avec des cheveux très longs, blond cendre, qui lui servent de couverture ou de parapluie quand ils sont dénoués ou deviennent un serpent de soie quand ils sont nattés par les mains savantes de sa mère. Qui est-ce cette enfant, voulez-vous nous le dire, Claudia Patuzzi ?

Claudia Patuzzi : Cette enfant est une petite habitante du Grand Cul-de-Sac, qui est dans la rive droite de la Seine. C’est l’an 1267. La fillette a sept ans, puis elle en a huit, puis dix, ensuite elle aura sa puberté et sa croissance jusqu’au moment où elle mourra, comme une fleur jetée et repiquée ailleurs.

001bis riva

D.M. : Comment se fait-il que vous ayez envisagé d’écrire un roman historique ?

C.P. : Cette idée est née d’un fait réel. La mort mystérieuse de Sigier de Brabante, un esprit combatif qui a lutté pour ses idées et qui a été réduit au silence par l’Église catholique. J’ai voulu raconter ce que l’histoire n’a pas réussi à dire. J’ai voulu considérer tous les côtés obscurs de l’histoire.(1)

D.M. : Comment avez-vous rencontré ce personnage ?

C. P. : C’est grâce à Dante Alighieri, surtout le « Paradis » de la « Divina Commedia », avec sa description de la rue du Fouarre… Le fait que dans l’université de Paris en 1276-1277, pendant les leçons, on était assis sur la paille m’a beaucoup fasciné. J’étais éblouie par leurs manières si combatives et vivantes contre l’académisme du savoir qui était très froid et formaliste.

D.M. : Pas de bancs d’école, pas de chaises…

C. P. : C’est comme ça. Sigier de Brabant a défendu son credo philosophique au-delà de tous les dogmes, de tous les travestissements orthodoxes pour la seule passion du savoir. Ensuite il a été réduit au silence. On ne réussissait pas à le tuer, à l’éliminer, jusqu’au moment où, suite à la condamnation par l’Inquisiteur Simone du Val, il fit appel au Pape : « Je m’appelle au pape, car je suis un philosophe ! » Un philosophe qui doit, justement, poser lui-même des questions. Si après elles n’ont pas des réponses, cela n’a pas d’importance, il doit toujours avancer sur son chemin.

001_ter

D. M. : Mais vous avez choisi le point de vue d’une fillette. Le personnage principal de votre livre est une enfant, comme si l’histoire était vue par un œil enfantin.

C. P.: C’est vrai. Il y a un double aspect dans mon livre. C’est la face « masculine » du Savoir de la rive gauche de la Seine et la face féminine et populaire de la rive droite, où Regard vit. Le fleuve, avec l’île et toute sa force symbolique, sert de charnière amniotique, où tout se mêle entre les deux rives. Il y a aussi deux frontières. Dans la frontière de la rive droite, Regard se développe de façon naturelle forgeant sa culture personnelle à travers diverses phases et initiations : à l’espace à travers les fables de sa marraine, à la lumière à travers le maître-verrier, à la philosophie à travers le projet fou de l’alchimiste.

D. M. : La description des verres des cathédrales est très belle. Vous m’avez dit que vous êtes mariée avec un peintre. Cela n’influence pas votre écriture, votre imagination ?

C.P. : Oui, inconsciemment.

D.M. : Parlons-en de façon concrète. Cette fillette a un prénom bizarre — Regard – c’est-à-dire le « regard ». Pourquoi l’avez-vous choisi ?

C. P. : Ce prénom vient à moi de mon amour envers la peinture flamande. Le livre a été écrit en deux phases. La première partie, située à Paris, a eu son début en 1995. La deuxième partie je l’ai écrite deux ans avant, pendant un voyage dans les Flandres. J’étais à Anvers, où j’ai eu une vision des Chasseurs sur la neige de Brueghel.

002_riva_lettrice

D. M. : Pouvez-vous lire un passage de ce livre qui s’appelle « La rive interdite » ?

C. P. : Paris, octobre 1267.
– Allons, fais ta natte.
– Pourquoi?
– Parce que c’est le matin.
– Le matin?
– Oui, le soleil se lève.
– Mais d’où vient le soleil?
– De l’autre côté.
– Quel autre côté?
– Celui qui n’est pas dans le noir.
– Et où est-ce qu’il va dormir?
– Dans l’océan.
– Il ne prend pas froid?
– Il se change en lune.
– Et la lune elle va où ?
– De l’autre côté de la terre, celui qui est dans le noir.
– Mais pourquoi elle est ronde comme une hostie?
– Pour qu’un coquin l’avale.
– Et le soleil, comment fait-il pour bouger?
– Le soleil tourne autour de la terre reste immobile comme une nèfle.
– Mais alors, sur quoi s’appuie la nèfle?
– Je ne sais pas. Sur les épaules d’un géant, je crois…
– Et le géant, sur quoi s’appuie-t-il ?
– Ca, Dieu seul le sait… lève-toi: je vais te faire ta natte.
– Les géants, il y en a encore?
– Ca dépend.
– Comme Saint Georges? Saint Marcel ? Comme Charlemagne?
– Oui.
– Le diable aussi était un géant, n’est-ce pas?
– Le diable était un ange gigantesque, il était très beau et jaloux de Dieu.
– Est-ce que je serai une sainte, maman?
– Qui sait?
– Je sauverai la ville des Huns comme Geneviève?
– Peut-être…
– J’aurai une statue rien que pour moi dans la basilique avec elle?
– Les statues sont dans les maisons des princes et dans les églises pour être adorées par les fidèles, mais si tu sauves la ville…
– Elles ont une âme, les statues?
– Qu’est-ce que tu dis?
– J’ai toujours l’impression que la statue de Geneviève me regarde, qu’elle respire…
– Seules les statues des saints ont une âme.
– Et moi, maman j’ai une âme?
– Bien sûr… Il est tard. Lève-toi, je dois travailler.
– Elle est transparente, n’est-ce pas?
– Quoi donc?
– Mais mon âme, maman!
– Elle est blanche comme un drap tout propre.
– Et Madeleine, elle était belle?
– C’est ce que racontent les Evangiles, ma petite.
– Et son âme elle était comment?
– Elle était sale.
– Mais Jésus l’a nettoyée, n’est-ce pas?
– Eh bien… disons qu’il a lavé son âme…
– Tu te trompes, maman, c’est Madeleine qui a lavé les pieds de Jésus, lui, il lui a seulement pardonné, tu ne te souviens pas?

003_riva

D. M. : Vous avez une façon tout à fait personnelle de raconter. Vous mélangez les descriptions des actions, des mouvements, des lieux, avec des dialogues très serrés et très rythmés, comme ce dialogue que nous venons juste d’écouter. Vous êtes « parent » de quelque écrivain ? Y a-t-il quelque écrivain que vous sentiez en particulier votre « parent » ? Quels écrivains sont pour vous une référence ?

C. P. : Mon livre est le résultat final de beaucoup d’années de lecture. J’ai lu presque tout le possible. Isabel Allende a été une référence très importante pour moi, surtout pour affranchir moi-même du « charisme » qui est le propre de l’écrivain. En fait, j’ai vu une femme derrière l’écrivain et, surtout, la magie de l’enfance, le charme mystérieux des choses. Même les choses mauvaises, elles peuvent être très charmantes grâce à cet élément magique qui est le « secret » toujours caché dans la réalité. Tout cela est en moi-meme depuis mon enfance et je l’ai retrouvé.

D. M. : Voulez-vous nous lire un autre passage de votre livre, où les cheveux de l’enfant sont décrits ?

C. P. : « Les voisins accouraient pour voir les cheveux de l’enfant qui, retenus par des pinces et étendus à l’entrée de l’unique porte de la masure, brillaient comme de la soie chinoise. La porte d’entrée semblait ornée d’une tapisserie d’or et d’argent dont les milliers de fils voletaient au gré du vent, tandis que de temps en temps, entre un fil et l’autre, jaillissait un brasillement d’acajou ou de miel.
Lorsqu’il pleuvait, la pauvre enfant devait rester près du feu de bois, les cheveux relevés et suspendus par des cordes comme dans un cirque, en attendant que sa nuque se réchauffât et que le sommet de sa chevelure se soulevât, telles des petites plumes légères et soyeuses ».

003bis riva

D. M. : En ce passage, vous semblez glisser dans un style fabuleux, très lyrique, n’est-ce pas ? Ce passage m’a fait souvenir d’une autre description d’Isabel Allende dans le roman « La Maison aux esprits » où la protagoniste, Rosa, décide de mourir comme Regard, parce que la beauté se mêle souvent avec la mort. À votre avis, comment ça se fait que la beauté féminine s’associe souvent à l’idée de la mort ?

C. P. : Parce que la beauté, dans un certain sens, cache la vie intérieure de la femme. Et la beauté peut devenir elle-même, quelques fois, un poids à supporter, une responsabilité. Pour Regard la beauté est une espèce de cloison vitrée où ses rêves rebondissent.

D. M. : Mais, comment se fait-il que la beauté suscite le désir de suicide, de la mort ?

C. P. : Après la violence que Regard subit, elle a la tragique conscience de n’être qu’un corps. Par réaction, un désir ardent de sensibilité s’empare d’elle, qui est représentée par un rayon de soleil, qui la suit partout en allumant ses cheveux, et par l’image de son ange gardien. C’est une sensibilité qui peut exister seulement dans une culture tout à fait naturelle, comme celle qu’on peut trouver dans la rive droite, fondée sur l’expérience, sur des choses réelles, sur les fables et les légendes qu’elle a entendu raconter de sa marraine, sur les gemmes et les verres colorés qui sont créés par le maître-verrier, sur les chansons que le jongleur chante, et voilà ! Le corps est finalement reconstitué par la sensibilité…

004_riva

D. M. : Claudia Patuzzi, voulez-vous nous lire un autre passage de votre roman ?

C. P. : – Qu’est ce que la Philosophie, maman ?
– La philosophie … c’est quoi ca ?
– Oui, la Philosophie !
– Je n’ai jamais entendu ce mot. Une herbe médicinale? Qui a prononcé ce mot?
– Un jeune homme qui sait lire et écrire admirablement bien. Il dit l’aimer plus que lui-même.
– Alors c’est une femme.
– Elle est belle ?
– C’est peut-être une étrangère, une turque ou pire une juive. Une infâme !
– Il dit qu’il l’aime plus que la richesse.
– Alors, est très belle et très licencieuse…
– Il dit qu’elle vivra en lui éternellement…
– Elle est donc très experte, pour mieux le séduire… Et toi comment le connais-tu ce jeune homme ?
– Je l’ai vu par hasard une seule fois…
– Bien ! ce n’est pas un des nôtres…
– Et moi, pourquoi je n’écris pas ?
– Parce les pauvres n’ont pas besoin d’écrire…
– Et pourquoi je ne lis pas ?
– Pareil. Tu n’es qu’une femme ! Ce n’est pas la peine…
– Et qu’est-ce que je ferai alors ?
– Lavandière, ou servante…
– Rien d’autre ?
– Fileuse, ouvrière, ou bien ce que tu fais maintenant…
– Ou quoi d’autre encore ? Quoi d’autre maman ?
(Silence)

005_riva

D. M. : Vous avez un regard fabuleux, qui est aussi très attentif aux problèmes concrets de la vie quotidienne, par exemple la différence entre les riches et les pauvres. Vous n’idéologisez jamais, c’est vrai, mais vous remarquez la souffrance de ceux qui doivent s’évertuer pour vivre et, en même temps, vous faites voir la différence entre ceux qui vivent bien et ceux qui doivent travailler beaucoup pour vivre (pour lesquels la vie est toujours pleine de difficultés). Puisque la mère de l’enfant se prostitue pour survivre, sa fillette devrait suivre son destin – c’est vrai ? –, mais l’enfant est curieuse, intelligente, elle ne se contente pas. C’est comme ça qu’à la fin elle tombe amoureuse d’un philosophe qui s’appelle Marcel. Comment se fait-il cet amour ? Comment ça se fait cette aventure d’une enfant, fille d’une prostituée, qui tombe amoureuse d’un jeune philosophe ?

C. P. : Regard croit que la Philosophie soit une femme plus belle qu’elle-même, donc elle comprend que le jeune clerc pourrait lui échapper. L’amour, pour elle, est surtout le désir d’avoir accès auprès d’un monde interdit, celui-là qui vit dans la « rive gauche », c’est-à-dire le monde du savoir, le monde du latin…

D. M. : Donc, pour vous, pour « rive interdite », vous entendez le monde…

C. P. : … Le monde « masculin » du savoir. De fait, même au point de vue de l’urbanisme, dans le Paris de l’année 1270 le territoire à gauche de la Seine était le domaine absolu de la culture. Le pont, qui représente le moyen pour aller de l’autre côté du fleuve, symbolise donc la connaissance, mais aussi la désobéissance (…). Lorsque Regard décide de passer le pont…

D. M. : …. C’est là qu’elle tombe amoureuse de Marcel !

C. P. : … Et elle découvre le bonheur. Un amour suffisamment pur, assez authentique, qu’elle vit en oubliant sa prostitution et sa réalité, jusqu’au moment où cette « philosophie » s’interpose. Après ce moment, la fillette, fascinée par la rive gauche, veut puiser la vérité. C’est-à-dire un savoir inaccessible, un savoir trop haut et élevé pour elle. Enfin, il y a la découverte que la « philosophie » n’est pas une rivale en chair et en os, mais une idée.

006_riva

D. M. : C’est curieux de voir cette enfant ou fillette, qui manifeste un grand amour pour la vie, traduire enfin cet amour dans le suicide.

C. P. : Pourtant, elle le regrettera et, en mourant, elle dira : « Ma vie est à moi ! Alors, c’est faux tout ce que j’ai vécu, la natte coupée…”

D. M. : Elle se repentit avant de mourir…

C. P. : « Ma vie est à moi ! » pense-t-elle, « je pouvais continuer à tenir ma vie par la bride, peut-être, mais j’ai voulu suivre une trace… »

D. M. : Mais, cet élan vers la mort qui voudrait ressusciter la vie, n’est-il pas un acte de grande volonté, ou même de superbe ?

C. P. : Se donner la mort est une façon héroïque pour être la protagoniste, même dans son dernier acte.

D. M. : Le sujet de votre livre est très romantique. Les dialogues sont vraiment beaux… juste parce qu’ils sont les moments de plus grande liberté et fraîcheur où vous n’avez pas trop d’intérêt à démontrer quelque chose. Vous vous laissez emporter par le plaisir de jouer entre ces deux personnages, la mère et l’enfant, par exemple, ou le philosophe et la fillette. Ceux-ci sont, à mon avis, les passages-clou, les meilleurs et vraiment les plus heureux.

C. P. :…Ils sont suspendus dans le temps…

D. M. : Suspendus dans la narration que vous, au contraire, quelquefois, avez tendance à surcharger de significations un peu intellectuelles. Vous vous estimez un écrivain ?

C. P. : Oui, j’ai, malheureusement, la conscience d’être un écrivain. J’en suis convaincu. Je le dis avec de la souffrance, je ne le dis pas avec de la présomption. Je mentirais, si je le niais…

007_riva

Claudia Patuzzi

(1) Avant d’écrire « La rive interdite », je travaillais à un autre projet d’histoires homicides et suicides, concernant de différents personnages, dont Sigier de Brabant. Au cours de l’écriture de l’histoire de celui-ci, un personnage mineur s’est imposé sur les autres : la petite Regard du Grand Cul-de-Sac !

« Tout quartier est un monde n. 2 : Afrique dans le Marais » ( histoires drôles n.34)

11 mercredi Mar 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

≈ 4 Commentaires

Étiquettes

afrique, boutiques CSAO, léopold sédar senghor, Marais, Paris, restaurant petit Dackar, rue barbette, rue elzévir, sénégal

001_vecchia stradina Marais180(toutes les photos peuvent être agrandies en cliquant sur l’image)

Combien de kilomètres ai-je parcourus, tandis que je tournais dans le vide ? Aujourd’hui, le Marais semble un labyrinthe, ou alors la rosace d’une cathédrale… Est-ce que mes pensées déraillent, au-delà de la banalité quotidienne, dans le pays de rêves ? Il me suffit de m’installer dans les nuages, pour que je me retrouve tout de suite dans un endroit inconnu et sombre, voilé d’une lumière légère et mystérieuse… comme cette petite rue pavée…

002_furgone180 frontale

… D’un coup, je me trouve devant ce fourgon multicolore – orange, vert, jaune, marron – avec une femme noire au turban rouge. De l’autre côté, un homme serrant une espèce de maison dans ses mains… Je lis aussi une inscription de 4 lettres : « CSAO ». Je me regarde autour : sur le coin du mur, deux ruelles se rencontrent : rue Elzévir et rue Barbette… Charme, Sérénité, Amour, Oasis ?

003_Afrique_furgone180 laterale

Maintenant, je comprends ! J’assiste à un étrange spectacle, une espèce de tableau pacifique et coloré ayant pour sujet une forêt africaine multicolore avec des arbres, des palmes, une femme qui cuit quelques choses dans une casserole. Tout cela se déroule devant un mur orange avec des arches (sa maison ?). Plus loin, une île tropicale s’affiche, avec ses palmiers élancés, au bord de l’océan… tandis qu’un nuage (un typhon ?) répand des gouttes de pluie intermittente et que la barque d’un pêcheur essaie d’atteindre la rive. Mon Dieu ! me dis-je. Je suis plongée dans une bande dessinée !

004_Afriquevetrina180

Je me regarde autour : dans la rue déserte règne un silence total. Je m’approche doucement de la vitrine, 9 rue Elzévir. Je comprends, finalement, le secret de cet endroit discret, de ce climat suspendu au dehors du temps et du chaos suffocant de Barbès. Je regarde encore la vitrine, cette symphonie de couleurs… Où suis-je ? Mais oui ! Je me suis faufilée dans un coin négligé par l’histoire, par l’éclat affreux de la guerre et de la violence… Mon dieu, je suis plongée, comme une feuille sèche, dans un petit pli caché que la tempête a épargné, lointain du chaos. Je suis dans l’enfance du monde !

005_tazze180

Je regarde cette symphonie de couleurs : de tasses simples, une théière griset-bleu foncé ou vert et rose, des égouttoirs azurs, lilas, fuchsia avec d’éclairs blancs, des seaux irisés de jaune-argent et de rouge-or ! Je vois un monde à part, où les couleurs règnent souverains grâce à l’imagination humaine et à la nature même… Dans ce calme, l’horreur qui nous entoure n’existe plus, glissant dans un entonnoir jusqu’au centre de la Terre, à l’enfer…

006_poltrona.180

Voilà ce petit fauteuil, parsemé de lions, de léopards et de tigres ! Si je m’y assieds, je deviens immédiatement la reine de la forêt ! Ici, dans le Marais, je n’avais vu que de petits chiens habillés en petits garçons, jamais des lions… Ces couleurs ont le même pouvoir vital et pacifique des mots qui survivent à l’extermination et à la violence… Les mots « justes et humains » sont comme l’art, la poésie ou le chant : des dons divins…À propos de mots, je me rappelle le poète Léopold Sédar Senghor, sa bataille pour la liberté du peuple du Sénégal, sa confiance dans la nature humaine et dans le dialogue…

007_Afrique-bambole180-NO Je sens ses mots … : « Fibres de mon cœur vert.
 Épaule contre épaule, mes plus que frères, 
O Sénégalais, debout !
 Unissons la mer et les sources, unissons la steppe et la forêt !
 Salut Afrique mère.
 » (hymne national, refrain).
Au retour je découvre, en face des boutiques CSAO  – Comptoir du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest –  un restaurant… et si j’entrais ?

Texte et photos de Claudia Patuzzi

« À Carnaval on peut faire n’importe quelle blague ! » ( dessins et caricatures n.32 )

03 mardi Mar 2015

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

≈ 4 Commentaires

Étiquettes

1968, carnaval, Che Guevara, dessins 1966, Gian Battista Vico, Paris, Rome

001_testaindiano180  . 1965Tête d’un indien, février 1966 (cliquer pour agrandir l’image)

Juste hier, le denier jour de février, j’ai trouvé par hasard, effeuillant mon vieux journal de 1966, d’étranges dessins représentant des masques amérindiens ou aztèques, un drôle de personnage coiffé d’une espèce de fez, des pierres précieuses et des ailes de papillon coupées. Sur le fond paraissaient ces inscriptions : « le carnaval des âmes anciennes ! »
« Carnaval aux mille couleurs ! »
« Carnaval des morts ! »

002_negro180

Un Africain avec le fez et une pierre précieuse : « Le carnaval des âmes anciennes ! Le carnaval de mille couleurs ! » (cliquer pour agrandir)

« C’est bizarre ! » Je me suis dit « …dès lors, beaucoup d’années se sont écoulées. Maintenant, je me retrouve justement dans le mois de février, en 2015. Le mois du carnaval, des masques… c’est exactement ce que dit la dernière phrase : « le mois des morts. » Mais voilà qu’une espèce de chape descend sur mes pensées. À présent, ces rebelles années 1960, ces luttes juvéniles semblent extrêmement lointaines. Leur retentissement optimiste, leur rébellion spontanée contre les préjugés et la mentalité guindée qu’on appelait « bourgeoise » semblent s’être évaporés, engloutis dans l’entonnoir obscur du passé ou dans les flux et reflux des « retours éternels de l’histoire », comme le disait le philosophe Gian Battista Vico.
Combien de reflux de racisme a connu l’histoire ? Combien de crises économiques et de révolutions et contrerévolutions ? Combien de massacres ?

003_farfalla1 -180 copie« Aile de papillon » avec pierre précieuse : « Carnaval aux mille couleurs ! »
(cliquer pour agrandir l’image)

Quand j’ai dessiné ces gueules vernies et parées de plumes, j’allais déjà mettre en crise ma foi religieuse. On était encore deux années avant 1968, mais la « révolution juvénile » voltigeait déjà dans l’air, au-dessus des estomacs nourris par le bien-être économique, tandis que ma chambre sentait les cigarettes comme un cinéma de quatrième catégorie et qu’un très bel homme — Che Guevara — haï par mon père, souriait irrévérencieux depuis une porte de mon placard. Les tiroirs débordaient de jeans et de foulards de coton indien, tandis qu’une quantité de livres proliféraient à grande vitesse sur de longues étagères : Gide, Bernanos, Sartre, Kafka, Dostoïevski, Shakespeare, Poe, Tolstoj, Gogol, Melville, Hemingway, Leopardi, Calvino… Un panneau, avec l’affiche de la femme nue de Corot, trônait au-dessus de la table. Partout des bandes dessinées… et beaucoup de journaux intimes. Pas d’internet ! Pas d’iPhone. Rien de rien. À L’époque, il y avait juste des téléphones noirs et d’énormes ordinateurs tels des dinosaures obèses renfermés à l’intérieur de monstrueux palais inconnus aux chambres invisibles…

004_indianoN.2-180 1965

«Tête d’un Indien aztèque » février 1966 (cliquer pour agrandir l’image)

Et pourtant, combien de légèreté y avait-il dans l’air ! Combien de fantaisies et secrets ! Voilà que quelques chagrins s’engouffrent dans mon esprit… maintenant, je ne vis plus à Rome, mais à Paris. Les derniers événements tragiques de cette nouvelle année m’ont encore plus liée à cette ville d’adoption, forte et courageuse. Cela me projette de plus en plus dans le présent… Comme si le cercle interrompu du passé reprenait son chemin difficile, avant de se refermer dans un « tout »… « Hic et nunc », « ici et maintenant » : ce n’est que comme ça que je veux vivre, ce n’est que cela que je désire : me transformer. Le passé a déjà gonflé pour suinter ses rêves, ses projets, de nouvelles œuvres… c’est comme si j’avais grimpé au sommet de l’Everest en quête d’un horizon possible entre les nuages et que je voyais, de là-haut, l’« autre côté ».

005_alafinale180-1965 - copie « Petite aile brisée » : « carnaval des morts ». (cliquer pour agrandir)

Peut-être, ces étranges ailes coupées et déchirées m’aideront à voltiger comme un papillon au milieu de cette bouillonnante réalité…

005_foto completa180

La page complète, dessin en stylo-feutre, stylo à bille et crayons de couleurs, 1966
(cliquer pour agrandir)

Claudia Patuzzi

Texte et photos de Claudia Patuzzi

« Chez le kiné » (histoires drôles n.30)

29 jeudi Jan 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

≈ 5 Commentaires

Étiquettes

asthme, kiné, Paris

001_kiné180 - Version 2

Le cabinet (cliquer pour agrandir)

C’est la première fois que je fréquente, à Paris, le cabinet d’un kiné. On doit tout ça à l’asthme, c’est elle qui me l’a fait découvrir ! Qu’elle soit la bienvenue pour ça !
Peut-être vous ne comprenez pas mon enthousiasme. C’est vrai, l’image du kiné peut réveiller souvent de souvenirs douloureux, mais, dans mon cas, j’ai été tout de suite séduite par un portail vitré humble, presque invisible, ensuite par un escalier très RIPIDO et étroit jusqu’à une porte blanche qui donne sur une chambre gaie et colorée. Un espace très petit plein de dessins, de tableaux, de livres, photos où le kiné, un personnage très petit et vivant , comme un mouche frénétique, court de-ci de-là, d’un pièce à l’autre, d’un patient à l’autre. Son pas redoublé semble pilotée par un horloge accéléré. Je reste en ce petit Eden juste 25 minutes, en écoutant derrière les vitres de toux violentes. Quand j’abandonne le lieu, mon souffle est limpide et doux comme du miel…

002_Kiné-scritto180

(cliquer pour agrandir)

Claudia Patuzzi

« L’étreinte » ( histoires drôles n.24 )

29 dimanche Juin 2014

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

≈ 7 Commentaires

Étiquettes

boulevard Saint-Denis, histoires drôles n 24, L'entreinte, metamorphose, Ovidio, Paris, Rue Faubourg Saint-Martin

001_vecchiafoto72def

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Aujourd’hui, cela a été un jour qu’il faudrait écrire «albo lapillo», c’est-à-dire avec la craie… J’étais en train de sortir pour me rendre chez toi, quand j’ai trouvé une enveloppe au-dessus de la porte. Là-dedans, il y avait une vieille photographie de nous, qu’avait prise un monsieur complaisant. J’ai tout de suite reconnu ton profil, ton rire, ma fierté en t’étreignant contre moi. Mais dans l’enveloppe, il y avait une autre chose aussi : un feuillet envahi par une calligraphie enfantine. Au fur et à mesure que je lisais ces signes, un son grinçant, ressemblant à un verrou, déchirait mon cœur :
«J’ai décidé de te rendre notre vieille photo. Finalement, j’ai trouvé le courage de dire la vérité : j’en ai assez d’une union qui ne change jamais, d’un amour qui semble bloqué dans un miroir. Toujours unis, toujours ensemble, l’un la photocopie de l’autre. Toujours le même lieu, le même rendez-vous d’un an à l’autre, à la même heure… Jamais un changement au cours des saisons et des années ! Nous sommes toujours beaux et souriants, à l’unisson, comme deux jumeaux siamois ! Nous avons toujours la même mise, les mêmes couleurs, le noir et le marron, comme nos cheveux ! Nos corps sont devenus désormais une illusion, un mirage qu’on n’attrape jamais, juste un objet à regarder. Pardonne-moi, mais je dois absolument me détacher de toi…»

002_Stmartin72def

Rue Faubourg Saint-Martin  (cliquer pour agrandir la photo)

Par ces mots, tu as annulé notre rendez-vous dans le lieu habituel. Notre « nid », caressé par les regards jaloux des passants. Mais, où seras-tu en ce moment ? Peut-être, il me reste encore quelques minutes, avant que tu puisses t’évanouir à jamais. Hier, je t’ai acheté un foulard bleu enveloppé dans un paquet et aujourd’hui je n’ai que cent-vingt secondes pour traverser la rue du faubourg Saint-Martin pour saisir ton image. Dans une grande ville comme celle-ci on ne peut pas vivre seuls : on risque de mourir de désespoir… « Je dois courir plus vite que possible si je veux avoir à nouveau mon amour unique ! »

003_vetrina72def

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Le trottoir est un tapis roulant qui m’engloutit dans l’entonnoir de la rue. Mais il y a quelque chose d’étrange : la rue ce n’est plus la même ! Le visage d’elle se reflète en des fantômes tellement diaphanes qu’on a l’impression de les avoir juste rencontrés dans un rêve… Voilà une espèce de fée ainsi qu’un vieux barbu avec des vêtements hivernaux… mais je ne peux pas m’arrêter ! Je dois continuer à courir…

004_Lei-72-DEF

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Maintenant, son visage se détache nettement au milieu d’un « carnaval vénitien », un nævus espiègle collé sur la joue gauche : un masque en fuite ! «Faites attention à ne pas glisser !» me susurre-t-il en m’envoyant un bisou.

005_mostro72def

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Tandis que je cours, les passants me regardent avec soupçon, ils s’arrêtent renfrognés et, si je les bouscule, ils lèvent un bras. Ou alors ils s’écrient : « arrête, voyou ! » Peut-être, ils me considèrent comme un fou. Il y en avait un, en particulier… Un homme grand et gros, vêtu d’une chemise rouge et d’une veste verte, les yeux en forme de boule, essaie de m’arrêter, mais je réussis à glisser au-dessous de ses jambes.

006_vetrina72def

(cliquer sur la photo pour agrandir)

Maintenant, je m’aperçois qu’une alliance s’est établie entre les habitants de la rue : d’un coup ils me barrent le passage du trottoir, furieux comme une armée… le groupe d’une bande organisée !

007_uomo72def

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Un brave homme me sauve. Ses yeux brillent de sympathie, son sourire est blanc, adamantin. Au bout d’un instant, il me fixe dans les yeux et dit : « Bon courage ! Si la matière grise était rose, personne n’aurait plus d’idées noires ! » Ensuite, il me fait cadeau d’un dentifrice.
«Faites attention à ne pas glisser !» me dit-il en agitant la main.

008_fantasmibionda72def

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Un immeuble liberty pointe vers un ciel bleu inoxydable et, pendant un instant, un fil d’espérance caresse mon cœur.« Peut-être, je fais encore à temps. Peut-être, elle est encore là, dans le même lieu de toujours… » je fantasme intérieurement, tout en reprenant ma course. «Cours ! Cours ! » me dis-je, en faisant glisser mon corps au long de la légère descente… Une blonde aux mouvances de fée, vautrée dans des soies verdâtres, me susurre : «Ralentissez !»… Est-ce que je suis déjà en train de tromper mon unique amour avec une autre nymphe plus douce qu’elle ?

009_leilei_72def

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Combien de visages a-t-elle, ma belle ? «Un, personne, cent mille » ! Ne le regarde pas ! Cours, cours !

010_vechia72def

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

J’ai tourné le coin entre la Porte Saint-Denis et le boulevard, je suis presque arrivé ! Mais une vieille dame s’écrie : « He ! Garçon, fais attention, là où tu poses tes pieds ! »

011_abbraccioDEFlungo

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Finalement, je la vois ! Elle m’attend fidèle, elle me voit… Je cours, cours, je l’embrasse en la faisant virevolter dans l’air comme un oiseau… ça y est ! Maintenant, elle ne peut plus s’échapper. Je la tiens liée contre moi, stricte comme dans un étau…

012_portone72DEF

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Mais quelque chose ne marche pas, mon front gèle, les bras de ma femme se clouent, rigides, sur les miens désormais raids et froids. Une torpeur pétrifie nos jambes, tandis que les membres supérieurs s’aplatissent sous le poids d’un gigantesque fer à repassage… jusqu’au moment où on nous arrête le cœur pour toujours !
Avec la complicité d’Ovide, nous sommes devenus le lieu de notre rendez-vous. Finalement, tout le monde peut se réjouir de notre étreinte éternelle !
—Tiens, regarde ces deux, dit un type de passage. On en invente des belles pour embellir un portail !

Claudia Patuzzi

P.-S. Un paquet gît sur le trottoir. Une femme âgée mal mise le ramasse et l’ouvre. Elle caresse la soie du foulard bleu. Tout autour d’elle, il n’y a personne, juste cette étrange porte peinte et cette peau de banane. Le foulard disparaît dans la bourse des courses. Le bruit d’une sirène retentit dans le boulevard Saint-Denis, bruyant comme d’habitude.

 

 

 

 

« Chez le coiffeur » (dessins et caricatures n.12 )

01 dimanche Juin 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

Canal Saint Martin, chez le coiffeur, Gare de l'est, Paris

001_Coiffeur 180

cliquer sur l’image pour l’agrandir

À mon arrivée à Paris, j’avais du mal à trouver un coiffeur qui me satisfaisait. D’abord, c’était une question de coupe, ensuite les prix… tout en considérant, il faut le dire, qu’en général, côté coiffeur, Paris était moins cher que Rome… En fait, je changeais d’adresse presque chaque fois que je me rendais chez le coiffeur. Toujours en imaginant de pouvoir deviner – d’en dehors, à travers la vitrine -, si la coupe me convenait et le prix était honnête. Toujours en sortant déçue pour quelque petite chose insignifiante.
Jusqu’à ce que j’ai compris que l’important c’est surtout la juste « atmosphère ». D’abord l’atmosphère du quartier. Ensuite celle de l’atelier du coiffeur.
Il y a trois ans, je me suis aperçue que je n’aime pas trop les beaux quartiers. Par conséquent, j’ai vite établi mon territoire de chasse entre le canal Saint-Martin et la Gare de L’Est, où les coiffeurs affichent des prix pour la plupart abordables. Dès lors, je me rends dans un local assez anonyme et spartiate, illuminé au néon et juste un petit divan pour des attentes brèves… où l’ambiance internationale et souriante me laisse libre de m’évader et de voltiger ailleurs.
Tandis que les autres clientes bavardent avec les jeunes coiffeuses, je demeure silencieuse, les yeux fixés sur un livre, un journal, un cahier ou l’iPhone.

Il y a un mois est entrée une femme qui a immédiatement attiré mon attention. En la regardant, je ne comprenais pas ce qui me repoussait le plus en elle : son visage ? Sa silhouette maigre et osseuse ? Sa façon de s’habiller ? Quelques minutes depuis, j’ai compris la cause de mon embarras : cette femme, ou mieux cette « vieille femme », ce n’était pas une personne âgée quelconque… Il lui manquait le calme, la lenteur, la sagesse, l’habitude à la fatigue ainsi qu’à la douleur, la typique naïveté dans la découverte, comme si c’était la première fois, de petites choses de la vie… Son corps était enveloppé dans un nuage de soie très légère, presque transparente, avec des dentelles en plus d’un vertigineux décolleté sur deux seins flétris. Elle arborait d’ailleurs un gros nez aquilin, une bouche imprégnée de rouge à lèvres, des jambes sèches terminant avec des pieds énormes bien étalés sous les yeux de tout le monde. Pour finir, elle n’avait pas renoncé au charme d’une longue chevelure qu’au moment de son arrivée se présentait comme un mélange décevant de blond et de gris. Elle fumait.
Une heure après, sa voix pleurnicheuse de vieille enfant gâtée ne cessait de frapper dans mes oreilles comme un manteau…
Dès que je suis arrivée chez moi j’ai pris le crayon et le carton : et voilà son portrait-caricature !

Claudia Patuzzi

P.-S. Proverbe italien : « Ce n’est pas beau ce qui est beau, c’est beau ce qui plaît »

← Articles Précédents

Articles récents

  • Un ange pour Francis Royo
  • Le cri de la nature
  • Jugez si c’est un homme (Dessins et caricatures n. 46)
  • « Le petit éléphant et la feuille » (Dessins et caricatures n. 45)
  • « Le miroir noir » (Dessins et caricatures n. 44)

Catégories

  • articles
  • dessins et caricatures
  • dialogues imaginaires
  • histoires drôles
  • interview
  • Non classé
  • poésie
  • voyage à Rome
  • zérus, le soupir emmuré

Archives

  • juillet 2017
  • avril 2017
  • février 2017
  • décembre 2016
  • novembre 2016
  • juillet 2016
  • juin 2016
  • mai 2016
  • avril 2016
  • mars 2016
  • mai 2015
  • avril 2015
  • mars 2015
  • février 2015
  • janvier 2015
  • décembre 2014
  • novembre 2014
  • octobre 2014
  • septembre 2014
  • août 2014
  • juillet 2014
  • juin 2014
  • mai 2014
  • avril 2014
  • mars 2014
  • février 2014
  • janvier 2014
  • décembre 2013
  • novembre 2013
  • octobre 2013
  • septembre 2013
  • août 2013
  • juillet 2013
  • juin 2013
  • avril 2013
  • mars 2013

Liens sélectionnés

  • analogos
  • anthropia
  • aux bords des mondes
  • blog de claudia patuzzi
  • colors and pastels
  • confins
  • era da dire
  • flaneriequotidienne.
  • Floz
  • il ritratto incosciente
  • j'ai un accent !
  • l'atelier de paolo
  • L'éparvier incassable
  • L'OEil et l'Esprit
  • le curator des contes
  • le portrait inconscient
  • le quatrain quotidien
  • le tiers livre
  • le tourne à gauche
  • le vent qui souffle
  • les cosaques des frontières
  • les nuits échouées
  • Marie Christine Grimard
  • marlensauvage
  • métronomiques
  • mots sous l'aube
  • passages
  • paumée
  • Serge Bonnery
  • silo
  • Sue Vincent
  • tentatives
  • trattiespunti

Méta

  • Inscription
  • Connexion
  • Flux des publications
  • Flux des commentaires
  • WordPress.com

Propulsé par WordPress.com.

  • Suivre Abonné
    • décalages et metamorphoses
    • Rejoignez 2 122 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • décalages et metamorphoses
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…