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Le Mura da Sole (Zérus – le soupir emmuré n. 69)

01 dimanche Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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ghislain, giardino, henriette, luglio 1928, Macerata, Marche, Mura da Sole, Nino, Orso, Regina Cohen, Zérus 69, Zérus le soupir emmuré 69

001_quadro-Fata-Iphoto A 180

(cliquer sur la photo pour agrandir)

Le Mura da Sole n. 69, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 264-266, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Cet après-midi-là, Henriette prit la main de Ghislain en lui murmurant à l’oreille :
— Nous allons manger des figues dans un jardin.
— Je ne sais pas ce que c’est.
— Quoi, les figues ? lui murmura-t-elle à l’oreille. En voyant son air désolé, elle ajouta :— Une dame veut faire ta connaissance.
— Quelle dame ?
— Une vraie dame ! Il y a aussi des bicyclettes.
— Je ne sais pas y aller.
Sa sœur lui rit au visage. Puis elle s’engouffra dans l’escalier en bois.
— Fais attention à ne pas te prendre les pieds dans la soutane ! s’écria-t-elle avant de disparaître à l’étage en dessous.
Elle était maintenant au cœur de l’usine de bière.
— Arrête-toi, Henriette ! Ne cours pas si vite ! haletait-il. Le vrombissement des moteurs recouvrait sa voix.
Ghislain n’aimait pas les escaliers et les galeries souterraines de l’usine, les soupentes de bois avec les poutres disjointes, le fracas des embouteilleuses, l’odeur de fermentation de la bière avec ses exhalaisons sucrées d’alcool et d’anhydride carbonique, le sol glissant et toujours trempé par les éclaboussures. Seule la balance en fer l’enchantait, pareille à une vieille guillotine, où se pesaient tour à tour Henriette et Nino.
Sa petite sœur, au contraire, voletait entre les gouttes des chaudières, frôlant les cuves de fermentation et les coins rouillés imprégnés de tétanos de l’embouteilleuse sans se tacher ou se blesser de manière grave. C’était une mangouste à la chasse aux rats et aux serpents, à la recherche d’anfractuosités et de tanièqres secrètes. Elle s’arrêta à mi-parcours : — Cours Ghillino, l’oncle Orso nous attend avec le camion !
« Jésus, où est-elle passée ? Je ne la retrouve plus… »
Un instant plus tard, un casque noir pointa depuis la fenêtre du camion :— Cours ! Monte ! Ghislain eut juste le temps de saisir d’abord la petite main tendue vers lui et puis la large patte d’Orso… le camion le traînait déjà en dehors de la cour.

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Le Mura da Sole: les ramparts sud de Macerata.(cliquer pour agrandir)

Orso portait les lunettes de soleil. Ses cheveux resplendissaient contre la tôle du camion comme du cuir vernissé. Il souriait sans raison. Henriette et Ghislain se retrouvèrent comprimés dans la cabine avec la sensation de piloter un avion. Dans le fracas tourbillonnant des roues, l’Institut et ses souvenirs furent déchirés par le vent, pour s’évanouir dans les fumées du tuyau d’échappement. Arrivé sur une place, le camion frôla le monument de bronze de Garibaldi.
— Celui-ci est le fils d’un démon et d’une sainte, s’écria Orso, avant d’appuyer avec plus de force sur l’accélérateur.
Le camion s’arrêta devant les Mura da Sole :
— Nous voici au bout ! hurla Orso en les jetant brusquement par terre.
— Allons dans le jardin ! s’écria Henriette.

003_giardino Coen 180Henriette dans le jardin de Regina Cohen.(cliquer pour agrandir)

Ghislain resta seul. Le camion était déjà parti et le silence s’étendait sur la route comme un calque. Il sentit la densité étouffante de l’air et un bruit de tambour, un grondement sourd qui martelait en lui. C’était son cœur. Avec un effort surhumain, il atteignit le portail mi-clos. Son ombre le recouvrit entièrement. Avec sa soutane et son chapeau, personne n’aurait pu le distinguer. Pendant plusieurs minutes, il resta immobile sous l’arche, dans la fraîcheur humide de la pierre. Que devait-il faire ? Où était ce jardin ?

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Henriette avec une amie à la campagne.

Claudia Patuzzi

Les voici mes bijoux à moi ! (Zérus – le soupir emmuré n. 61)

23 samedi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ 2 Commentaires

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1928-29, Annibale Fata, Celeste, Cornélie mère des gracques, Ettore, i fratelli Fata, Macerata, Marche, Orso, Perla, Sebastiano, Sirio, Teresa Amadori, Zérus 61, Zérus le soupir emmuré n 61

001_I fratelli 180.jpeg- Version 2Les six frères : Niba, Sirio, Sebastiano, Ettore, Orso, Bartolomeo.
(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Les voici mes bijoux à moi ! I-b/IV n. 61, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.234-238, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

« Un an plus tard naissait Annibale… » continuait à rêver Teresa.
— Celui-ci est un révolutionnaire, un esprit aventureux, lui avait dit la sage-femme. Il a la tête à l’envers et je dois le tirer par les pieds…
— Non, je ne veux pas de forceps ! Elle avait tremblé, parce qu’elle avait vu des centaines de jeunes filles mourir ainsi…
— Il faut les forceps, sinon la Mort le mangera.
Teresa n’y croyait pas : — Il est plus gros que le premier. Il naîtra tout seul.
— Sans le forceps, le diable l’emmène en landau ! marmonnait la sage-femme en secouant la tête, puis elle répétait comme une berceuse : — Non, la Mort va le manger !
Teresa se couvrait le ventre pour protéger ce malheureux. Elle regardait cette vieille serrurière avec les yeux enflammés d’un loup sous la neige. Mais l’accoucheuse ne faiblissait pas.
— Et alors ? Pourquoi ces protestations ? C’est qu’il ne veut pas sortir, celui-là. Allez, il faut passer les Alpes ! Et elle riait entre ses dents.
Ce fut alors que Teresa vit le côté nocturne de sa vie. Elle s’allongea calmement sur le lit en disant :
— Je le jure sur Dieu, ce fils franchira les Alpes.
L’accoucheuse ouvrit les bras : — Priez Dieu qu’il en soit ainsi.
Annibale Fata saisit le message et se retourna d’une pirouette dans le liquide amniotique. C’était vrai. Il ne voulait pas naître. C’était trop beau de continuer à naviguer en tout sens dans cette eau chaude et tranquille. Qui avait dit qu’il ne savait pas nager ? Il ondoyait dans ce bouillon par les seuls déplacements de son buste et en donnant un coup de hanche… Il ouvrit sa bouche encore dépourvue de dents en avalant cette eau primordiale jusqu’à s’en remplir les poumons et l’estomac. Puis il se dirigea en hurlant vers la bouche de l’utérus : — la mer, où est la mer ? Mais personne ne le comprit.
Teresa était une femme intelligente. Trop intelligente, donc incapable d’accepter le monde tel qu’il est et de se contenter des prénoms extravagants qu’elle avait donnés à sa progéniture. Elle avait fait comme Moïse. Elle avait cherché sa terre promise, elle avait obtenu un prêt, avait laissé la campagne de la Pieve et la ferme, et elle avait déménagé en ville, au Palais. Mais avaient-ils vraiment trouvé la terre promise, elle et ses neuf enfants ?
À en juger comment Sirio errait dans la maison, on répondrait non. Il avait changé depuis qu’il avait renoncé à l’amour. Il suffisait qu’il se montre à une fenêtre dans la cour pour que la panique se crée : le bruit de l’Usine et les battements de cœur étaient multipliés pour cent, le travail des ouvriers s’accélérait dans un rythme convulsif par peur qu’il ne parle ou qu’il éternue.
Par contre, Niba n’avait pas changé. Même s’il était la tête pensante de l’Usine il n’attendait que le moment de quitter son tablier pour se lancer à la poursuite de la mer, des batailles et de l’escrime, pour courir au Théâtre, voir des pièces, entendre des concerts, ou aller au club du bridge, où des veuves disponibles rivalisaient pour lui. Ses fils, il les avait laissés à Céleste et à elle, Teresa. Et maintenant, il était sorti avec cet étrange cousin éloigné…

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Dessin de Paolo Merloni, cliquer sur la photo pour l’agrandir

C’étaient Sirio et lui qui avaient eu l’idée de reprendre le Palais et l’Usine, ils en surveillaient le bon fonctionnement comme deux aigles…
Et Orso ? Beau comme Adonis et ombrageux comme une bête sauvage, c’était le seul qui n’avait pas étudié. Il conduisait les camions, courait comme un fou, riait sans raison, couchait avec les femmes de mauvaise vie et ne se levait plus le matin. Maintenant, il jouait au fasciste parce que la chemise noire lui allait bien.
Le quatrième, Ettore, faisait l’amour avec les paysans et les ouvrières. Mais il était indispensable : il savait travailler le fer et le bois mieux que Vulcain et il réussissait à réparer les machines et à installer un équipement en une seule nuit.
Bartolomeo, l’avant-dernier, détestait la bière et fuyait la saleté des machines en s’échappant au quatrième étage. Il faisait des études de géomètre, mais il avait la passion de la chimie. La nuit, c’était comme s’il veillait, aussi de jour leur semblait-il usé.
Elle l’avait dit : — Ce fils a les yeux trop bleus, trop clairs, du sang normand doit couler dans ses veines. Un mauvais présage…
Il lui restait seulement le dernier, Sebastiano, qui lui ressemblait comme une goutte d’eau. En lui, elle retrouvait sa mélancolie, sa façon de reconnaître l’autre côté de la vie. Mais il était un athlète : sur les barres parallèles, il volait ; il faisait du ski comme un Dieu. Elle l’avait envoyé en Norvège parce qu’il aimait la neige et qu’il voulait apprendre le style de Kristiania. Il en était revenu avec dix boîtes de saumon fumé… Il était un champion et tenait la comptabilité de l’usine.
« Que disait-elle, Cornélie, mère des gracques ? Ah, je me souviens, elle disait : – Les voici mes bijoux à moi ! »

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Perla et Celeste (cliquer pour agrandir la photo)

Les femmes ? Seule Perla lui faisait du souci avec les fantaisies remplissant sa belle tête. Elle réclamait du matin au soir : « je veux ce vêtement, je veux cet autre chapeau, la couturière s’est trompée, je ne veux pas de passatelli [1], je veux de la soupe… »
Mipento était tellement laide qu’elle ne pouvait pas la regarder. Ébouriffée comme une chouette effrayée, elle volait sans bruit dans ses clochers remplis d’au-delà. Quand elle arrivait, on ne l’entendait jamais et en avait peur.
— Où es-tu allée ? lui demandait toute la famille.
— Voir le jardin de l’archiprêtre ! répondait-elle. Puis, silencieuse, elle recommençait à nager dans l’air.
Sans l’aide de Céleste, elle, Teresa serait devenue folle avec tout ce déchet d’enfants entre ses bras. Et pourtant, elle n’avait pas voulu capituler : après la limonade et la glace, ils avaient produit de la bière et du jus d’orange ; le nom « FATA » apparaissait en relief sur les bouteilles et aussi sur le camion et le jour de marché la cour fourmillait comme une assemblée. Elle avait poursuivi son chemin, sans jamais s’arrêter…

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Bartolomeo et Sebastiano (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi


[1] Pâtes italiennes.

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