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décalages et metamorphoses

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Au cimetière (Zérus – le soupir emmuré n. 75)

11 mercredi Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Au cimetière  n. 75, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 292-298, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Dès qu’il eut franchi l’entrée du cimetière, une émotion profonde s’empara de Ghislain. Ce n’était pas la mort, mais la vie. Un cloître entouré d’arcades et de colonnades délimitait un petit paradis terrestre. « Voici un au-delà à taille humaine ! Il n’est ni trop grand ni trop petit… »
Ils étaient sous les arcades. Ghislain remarqua la couleur rouge brique des murs et des colonnes jaspées par le blanc des pierres et par l’ivoire des chapiteaux. Les visages de porcelaine se succédaient comme les personnages d’un roman. On voyait d’abord des nouveaux nés joufflus et bons vivants qui riaient ; puis des adolescentes dans la fleur de l’âge, de jeunes filles provocantes, des vieillards moustachus à demi ivres, des bourgeois aux vestons croisés et des dames grasses et satisfaites ; on voyait en fin de timides forts myopes et indécis, des sœurs obèses et heureuses, de sinistres individus en uniforme, des barbouilleurs et des professeurs retraités. Tous chantaient un hosanna à la bonne santé en oubliant la mort. Tous, sans exception, semblaient les rescapés de copieux banquets. Ils s’arrêtèrent pour lire une inscription :

Pense que l’autre monde ne sera pas
comme ce triste monde !
Il ne sera pas comme ce triste
et sale monde-ci.
Ici, on subit le mal
pour faire du bien !
Seul à recevoir du bien
est celui qui a fait le plus de mal !

Ghislain ne comprenait pas, alors Céleste lança un regard panoramique sur le cimetière et dit :— Cela veut dire qu’au moins dans l’au-delà il y aura de la justice.
Au milieu du cloître apparaissaient les tombes des plus nobles et des plus riches, de petits temples néoclassiques, des cubes fascistes, des victoires ailées, des étreintes voluptueuses, des anges et des calvaires, de rares squelettes… Pas un seul petit diable. « Il y a même une pyramide et un vélodrome…» pensa stupéfait Ghislain.

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Partout, ce n’était qu’abondance de fleurs et gazouillis d’oiseaux ; que de rumeur de fontaines et courses d’enfants et de petites vieilles à la recherche d’eau. Mais quand ils arrivèrent près de la chapelle des Fata — une maisonnette avec un toit de briques —, Ghislain sentit qu’il lui manquait le souffle…
— Voilà, nous sommes arrivés ! dit Céleste.
Le ciel était devenu noir, les oiseaux ne chantaient plus. Les fleurs avaient cessé d’émettre leurs parfums et les couleurs s’étaient diluées dans une mer de larmes. Ghislain la vit immédiatement : derrière la petite colonne de gauche, avec les cheveux rassemblés sur les côtés et son profil incontournable, il y avait sa mère, Eugénie Balthasar ! Sur la pierre, enfermé dans un cadre ovale, son visage, tourné de trois quarts, lui souriait comme si la vie était encore une surprise. Sa grâce désinvolte et la naïveté de sa nuque le firent vaciller.

006_GenyCim-180( cliquer sur la photo pour agrandir )

— C’est toi, maman ! murmura-t-il en français.
— Ghillino, qu’as-tu ? Henriette s’était approchée de lui avec des chrysanthèmes dans une main et un arrosoir dans l’autre.
Ghislain dégagea son regard de l’image de sa mère et, finalement, il murmura, toujours en français :
— Ce n’est rien…
— Tatie, Ghillino se sent mal… cria Henriette.
Ghislain était assis sur les marches entre deux colonnes. Des moucherons rouges, petits comme des têtes d’épingle, tournaient autour de ses pieds. Il les écrasa du doigt, un par un, en laissant sur la pierre de minuscules taches de sang.
« Ici même, les anges sont des fantoches…Il n’y a que maman… Elle est un vrai ange ! » D’un coup, il vit Céleste, droite comme une statue.
— Que se passe-t-il, Ghislain, tu te sens mal ?
Il ne répondit pas.
— Henriette, Nino, il faut un mouchoir mouillé !
Les deux petits se bousculèrent un peu en trébuchant, puis ils disparurent derrière une Victoire ailée.
— Qu’est-ce que tu as ? Qu’as-tu vu ?
— Elle…
— Elle… ? Céleste lui enleva le chapeau. Qui est-ce que tu as vu, enfin ?
— Ma mère !
— Quelle mère ? Où ?
Ghislain tendit l’index vers cette image couleur sépia.
Céleste demeura immobile, en essayant de cacher sa fébrilité. D’un coup, elle décida de parler : — Eugénie Balthasar était ta mère ?
— Oui… balbutia Ghislain.
— Et alors, bon Dieu, Henriette et Nino sont ta sœur et ton frère ?
— Oui…
— Mais qui est ton père ?
— Il est mort. Il s’appelait Paul Mancini. Un Corse.
— Un Corse ? Et qu’est-ce qu’a dit Niba ? Qu’a-t-il fait ?
— Il m’a reconnu comme son fils…
— Mais Eugénie ne nous a jamais rien dit. Niba, non plus. Toi, on savait juste que tu étais un orphelin, un neveu d’Eugénie, un de ses parents nombreux… Céleste se tut. Elle avait peut-être proféré un sacrilège.
Ghislain émit un sanglot convulsif et martela de toutes ses forces les colonnes de la chapelle :
— Alors, personne ne le savait… Niba ne vous l’a jamais dit ! Ma mère non plus n’en a pas eu le courage ! Deux menteurs… Je suis le fils aîné d’Eugénie, je suis le grand frère d’Henriette et de Nino, je m’appelle Fata comme eux… Henriette ne peut se souvenir de rien. Elle était trop petite alors. Nino ne l’a jamais su… On m’a effacé… et les autres ? Ils m’ont oublié, comme si je n’existais pas…

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En ce moment-là il comprenait tout : les mots allusifs, les regards embarrassés, les longs silences…
« Voilà pourquoi Regina Coen s’était tue après avoir appelé Henriette ma « sœur »… Personne ne devait le savoir ! Voilà pourquoi ils ne m’ont jamais appelé frère… mais seulement Ghillino ! Voilà pourquoi Niba disait, “c’est mon neveu, un parent de Bruxelles”, quand il me présentait à quelqu’un dans la rue. Trompé par les nuances de la conversation italienne, je n’avais même pas eu le courage de demander… Et toutes les lettres que j’ai écrites à Nino et Henriette ? Quelqu’un les a cachées ou détruites… »
— Ghillino…
Il se tourna d’un coup, tandis qu’Henriette lui tendait un mouchoir imbibé d’eau.
— Merci, petite sœur… murmura-t-il.
— Sœur ? Elle le regarda, surprise.
Quand ils se dirigèrent vers la sortie, rien ne semblait avoir changé. Cependant, Henriette et Nino ne voulurent plus jouer à cache-cache. Comme les animaux avant l’arrivée d’une tempête, ils se tenaient à distance, le devançant pour rapporter les arrosoirs. Céleste fermait la marche en comptant sur ses doigts quelques nombres comme si elle priait. Ou peut-être essayait-elle de se souvenir. Au milieu du groupe, perdu parmi les cyprès et les pierres roses, Ghislain avançait dans son habit noir comme un oiseau perdu. Son regard était hanté par un drame surhumain. Glissant entre les visages inconnus, vivants autrefois et morts désormais, il se sentait trahi et désespéré.
« Pourquoi m’as-tu fait ça ? Pourquoi ne leur as-tu rien dit ? »

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Henriette

Claudia Patuzzi

La petite tasse (Zérus – le soupir emmuré n. 73)

06 vendredi Déc 2013

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caprera, ghislain, Giuseppe Garibaldi, luglio 1928, Macerata, Marche, Nino, Santina, voyage en Italie, Zérus 73, Zérus le soupir emmuré 73

001_Museo_Garibaldino_di_Caprera_2Sardaigne, île de Caprera: la maison-musée de Giuseppe Garibaldi
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La petite tasse  n. 73, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 280-283, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Ghislain rêva d’un rocher solitaire, un avant-poste frappé par la force de la Méditerranée, allant à la dérive comme un radeau parmi les courants. C’était l’île de Caprera. Il se trouvait dans le village peint en blanc de Garibaldi, entre la commode, les tasses de porcelaine, un voilier en bouteille et son dernier fauteuil. Il sortit dans l’air battu de violentes rafales et vit un moulin, un four et le pin ondoyant par le vent ; puis la charrue, l’établi du menuisier et la barque et, sous les pins sauvages et les palmiers nains, un monument tapageur : une triste tombe de granit où une étoile était gravée. « Pourquoi ne m’a-t-on pas brûlé sur un bûcher d’aloès et de myrte ? » protestait la voix de Garibaldi du fond de la pierre. Ghislain prit entre ses mains un tas de terre friable, moelleuse et blanche. Il resta un instant à écouter si par hasard une plainte ne jaillissait pas de cette terre, puis la jeta en l’éparpillant.
Le lendemain, quand il se réveilla, il était tard et il avait froid. Il serrait encore la petite  tasse.
— Je te remercie mon Dieu, elle est intacte, murmura-t-il.
Près de lui, il y avait le tableau d’Icare et la lettre froissée de sa mère. « J’emmènerai à Bruxelles tout ça ».
Il s’arrêta haletant au milieu de la chambre. « Caprera ? C’était l’île où Garibaldi était allé pour y vivre et y mourir… Niba m’avait dit… »
« Qui est-ce ? Qui était-ce ? » Le même craquement de bois, le même pas léger.
Il ouvrit la porte. Personne. Rien qu’une jupe soulevée par le vent.
« Peut-être… »
— Maman, maman ! s’écria-t-il.
Trois fois, il essaya de l’embrasser, trois fois elle fuit cette étreinte.
— Où es-tu ? murmura-t-il. Le couloir était vide. Le soleil entrait violemment en créant de fausses portes de lumière vers l’Au-delà.
— Ghillino ?
« Qui m’appelle ? »
Il vit une chose accroupie sur le côté droit, près de l’embrasure de la porte. Derrière un tissu noir, il y avait Nino, les yeux pleins de larmes.
— C’est toi, Nino… pourquoi pleures-tu ?
— Parce que tu hurlais « maman ».
Ghislain ne parvint pas à répondre. « Ai-je vraiment vu ma mère ? »
— Moi aussi j’ai perdu ma mère, sanglotait Nino s’essuyant le nez avec le bras.
Ghislain resta pétrifié. « Leur mère… »
Nino changea d’expression. Ses yeux brillaient à nouveau.
— Tiens, Céleste t’envoie la soutane et le chapeau. Maintenant, ils sont propres.
Ghislain prit cette robe pliée avec soin, ce chapeau luisant comme un rapace endormi…
« La Règle, j’ai oublié la Règle ! »
— Voilà tes chaussures bien nettoyées ! Nino lui montrait des brodequins de cuir plus brillants que ses cheveux. Les chaussures du grand-père Cyrille. Ghislain les regarda avec haine.
— Viens, entre…
— Henriette est dehors avec ses amies.
— Et toi ?
— Je ne sais pas quoi faire. Après avoir flâné autour de l’homme de bois, Nino se hissa sur la pointe des pieds et posa le tricorne sur sa tête.  Il lui manque une plume, dit-il, en le remettant à sa place. Ah, j’oubliais, tu dois me donner la robe de chambre de papa, sinon il va se mettre en colère !
Ghislain enleva la robe de chambre et resta en maillot de corps et caleçons.
— Comme tu es drôle !
Ghislain aurait voulu chasser ce petit frère infernal. Cependant…
— Ne t’en va pas, lui dit-il, j’ai une petite faveur à te demander. Tu ferais cela pour moi ?
— De quoi s’agit-il ?
— De l’oncle Bartolomeo. Tu sais qu’il reste toujours à travailler, dans sa chambre là-haut ?
— Grand-mère ne veut pas. Parfois, il y dort jusqu’à l’aube en faisant brûler des essences qui puent.
— Tu peux lui amener cette petite tasse ?
— À quoi ça sert une tasse vide ?
— Amène-lui ça, je t’en prie.
— Que dois-je dire à Bartolomeo ?
— Donne-lui la tasse, dis-lui que c’est moi qui l’envoie et qu’il me fasse savoir. Rappelle-lui que je dois partir bientôt.
— J’y vais.
— Tu me le promets ?
— Je te le promets, Cellino.
— Prends aussi cette robe de chambre !
En un éclair, Nino avait disparu dans le couloir.

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Ghislain (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Ghislain se retrouva seul. Il leva le bras et laissa glisser la soutane sur son visage. Il sentit l’étoffe effleurer ses paupières et tomber sur son corps comme un suaire. Il prit les deux rabats qui restaient sur la commode et les boutonna sur son col, puis il prit le tricorne sur le mannequin de l’homme mort et le posa sur sa tête. « Mon Dieu, il m’étouffe ! Ai-je déjà perdu l’habitude ? » Il agita ses jambes nues dans la soutane. L’air lui caressait les fesses et les cuisses. Seuls ses pieds sortaient de ce cilice mortel. « Demain, je dois partir, je dois rentrer à l’Institut… »
— Tu veux du café ?
Santina était sur le pas de la porte. Elle portait un tablier à manches courtes et sa poitrine, couverte de taches de rousseur, débordait copieusement de son soutien-gorge.
Ghislain sursauta de peur, puis chuchota : — Oui, merci… en essayant de se couvrir les pieds sous le bord de la couverture rouge.
— Pourquoi as-tu honte, petit curé ? dit-elle en riant. Elle avait posé la tasse sur la commode.
« Qu’est-ce qu’elle veut ? Quel âge a-t-elle ? Vingt ans peut-être… »
— Je te fais une photo ! Santina prit une boîte noire et lui fit un clin d’œil. C’était l’appareil photo d’Ettore.
Ghislain la fixait interdit.
— Va sur le lit, près de Garibaldi, ricana la jeune fille, en le poussant sur le catafalque rouge. Monte !
Ghislain se retrouva à genoux devant l’image en papier de Garibaldi, qui semblait approuver d’une grimace cette mise en scène.
Clic ! — Et voilà !
Maintenant, Santina était devant lui, les mains sur les hanches. Elle continuait à rire et à parler : Bois le café, mon curé, cela te fera du bien. Tu es tout fripé. Elle caressa avec le pouce, de haut en bas, la naissance des seins. Elle fit un pas et murmura : Tu n’es pas comme cet effronté d’Ettore.
Ghislain recula vers la tête du lit. Son corps basculait en arrière. Il posa les coudes sur la couverture rouge :  — Arrêtez-vous, je vous en prie… Le souffle qui sortit de ses lèvres était à peine audible. Il regarda le buste de Garibaldi. On entendit le héros donnant les ordres pour ce énième combat : «  Bon courage ! »
Santina avança à nouveau et lui sourit : C’est un vrai asile de fous, ici, mais l’amour ne finit jamais !
Elle était désormais sur lui. Après avoir relevé sa robe sur ses cuisses, sa main petite et calleuse se glissa furtivement sous la soutane de laine brute.
— Tiens-toi tranquille, curé… Santina est avec toi. Elle te veut du bien. Ainsi va la vie ! Tous les chagrins sont finis…
Ghislain sentit une forte odeur d’eau de Javel et vit la main de la jeune fille saisir l’organe innommable et onduler sur lui comme si elle dansait. Il sentit son sang bouillonner et s’engorger de manière incontrôlable dans les recoins secrets et interdits de son ventre, tandis que l’objet suprême du péché durcissait comme un bâton de chêne, avant d’exploser.
— Pauvre garçon, qu’est-ce que tu fais ? On dirait un chat en chaleur !
Il retomba à la renverse sur le lit, serrant avec les mains le pan de sa soutane. D’un coup, Santina se détacha de lui en s’essuyant les mains sur le tablier. Elle baissa sa jupe, ferma un bouton en disant :
On a fini curé. Et elle s’en alla tranquille vers la porte. Puis elle se retourna rayonnante : N’es-tu pas content ?

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Claudia Patuzzi

Regina Coen (Zérus – le soupir emmuré n. 70 )

03 mardi Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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ghislain, henriette, Macerata, Macerata luglio 1928, Marche, Mura da Sole, Nino, Regina Coen, Zérus 70, Zérus le soupir emmuré 70

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« Le féminin éternel« , Roma, 1906, illustration de Aleardo Terzi.

Regina Coen n. 70, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 266-274, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Après une entrée entourée de glaces et les vingt marches de l’escalier en colimaçon, Ghislain fut introduit dans un salon parsemé de livres, qui semblait occuper à lui seul tout le premier étage. À travers les trois portes-fenêtres grandes ouvertes, le vent soufflait sur les rideaux de mousseline couleur lilas.
En descendant l’escalier de pierre, on tombait sur une petite étendue de graviers, où trônait un figuier. « C’est un immense jardin suspendu, une île au milieu du ciel ! » pensa-t-il, égaré, tandis qu’Henriette et ses amies, désinvoltes, disparaissaient parmi les plantes et les sentiers…

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Henriette dans le jardin de Regina Coen.(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Entre-temps, Madame errait au loin, habillée de blanc, avec un panier à la main, le buste droit serré par une centaine de petits boutons. Elle cueillait les fruits un à un, tandis que le soleil éclairait sa mèche gris-bleu… « C’est bien lui… », sursauta-t-elle en se dirigeant vers le salon où l’on avait introduit Ghislain. « Mon Dieu, dans quel état il est ! Où est-il le petit garçon tendre que j’avais connu au café chantant ? Qu’est-ce qu’on lui a fait ? » Comme si c’était hier, elle se rappela ce petit être en proie à la panique, qui s’était finalement calmé en entendant la voix de sa mère. Elle perçut de nouveau son soupir de soulagement : « J’ai retrouvé maman… ! »

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Ghislain (cliquer sur la photo pour l’agrandir )

Ils se rencontrèrent dans le salon. Ghislain entendit son souffle anxieux.
— Mets-toi à l’aise, Ghislain, bredouilla-t-elle en français.
Il leva brutalement la tête tout en ôtant son chapeau. « Qui est cette femme qui m’appelle par mon prénom ? »
Il y eut d’abord un moment d’embarras. « Noir et blanc, quelle horreur ! » ne cessait-elle de penser tout en observant cette soutane de prêtre se détachant brusquement du fond de mousseline. Ensuite, elle s’arma du courage d’accueillir ce malchanceux par l’indulgence d’une princesse distraite. Pourtant cette attitude bienveillante cachait une pensée en cage… Dans un élan, elle saisit sa main et dit : — j’ai connu ta mère à Bruxelles ! Nous étions jeunes alors… lui murmura-t-elle avec l’indulgence d’une princesse distraite, tu me reconnais ?
Ghislain sourit faiblement. Il s’était parfaitement souvenu de la scène du café-concert : sa mère et cette dame toujours élégante étaient dans une loge. Elles parlaient sans relâche… il n’arrivait pas à se frayer un chemin entre les chaises tandis que Germaine, sa tante, dansait sur l’estrade. Puis le son revint aussi, d’abord léger et peu à peu plus scandé, du nom de la dame inconnue : « Regina Coen.»
— Tu me reconnais ?
— Oui.
— Tu te souviens ?
— Oui…
Les mots sortirent sans effort. Ils parlaient français. La peur disparaissait peu à peu avec le salon et le jardin. C’était comme si sa mère était là avec eux et qu’elle n’était pas morte. Ghislain remercia Dieu, Saint-Nicolas et Sainte-Gudule. Cette dame avait connu sa mère, elle était en train de lui parler d’elle…
Regina le conduisit vers un secrétaire où des photos s’étalaient.
— Tu sais Ghislain, avant le début de la guerre, à Bruxelles, je voyais Genny et Niba tous les jours. Puis j’ai dû partir. Tu vois cette photo ? C’est nous — Eugénie, Germaine et moi — au café-concert. Ta mère a ouvert son ombrelle… Après, je l’ai revue ici, en Italie, en octobre 1915. Et plus tard aussi, en 1919. Elle regarda dehors, à travers la porte vitrée. Personne ne pouvait les entendre. Cependant, elle parlait avec effort : — j’ai rencontré Geny dans la maison des Fata, avant son départ pour Bruxelles. Elle se faisait beaucoup de soucis pour toi… Tu m’écoutes ?
Ghislain ne pouvait pas parler. Un nœud lui serrait la gorge.
— Ta mère avait peur de mourir… continua la femme, avec un effort visible.
— Mais….
— Écoute !
Maintenant, la dame faisait les cent pas dans le salon, en frottant les mains sur sa robe comme si elles étaient trempées.
Ghislain était debout au-dessous du lustre vénitien. Les courants d’air faisaient tinter les pendants de verre sur un fond irréel. La lumière du soleil et l’ombre du jardin projetaient d’étranges formes dans le salon. Tout y bougeait et en même temps tout y demeurait immobile, depuis des siècles peut-être.

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Geny Balthasar.(cliquer sur la photo pour agrandir)

Regina Coen ne dit rien. Elle revint d’un pas décidé vers le secrétaire. Elle ouvrit le tiroir de gauche avant d’en sortir un petit paquet :
— Elle m’avait dit de te donner ceci si jamais il lui arrivait quelque chose, proféra-t-elle en hâte. Je ne savais pas comment faire pour me mettre en contact avec toi. Je pensais que tu viendrais vivre en Italie…
— Mais mon grand-père…
— Tiens.
Le paquet était lourd, pourtant vaguement familier dans la forme. Étaient-ce des lettres ? Mais c’était trop dur, il y avait quelque chose qui pointait au milieu.
— Ta mère ne m’a rien dit sur son contenu… elle chuchota, comme pour s’excuser. « Mais, qu’est-ce qu’il fait ce garçon ? m’entend-il ? Il fait trop chaud, aurais-je dû peut-être aérer le salon… »
Ghislain vacilla et saisit le bras de la dame : — ma mère…, il murmura, en étouffant ses sanglots sur sa poitrine.
Après une seconde, Regina se raidit. Maintenant, elle voulait s’écarter : — excuse-moi ! J’ai peut-être trop parlé… Où est ta sœur ?
À ce dernier mot — ta « sœur » —, elle rougit visiblement. Ses lèvres restèrent suspendues sur un son qui ne voulait pas sortir et ses paupières cachèrent son regard, devenu tout à coup fuyant.
Ghislain frissonna. Une distance infranchissable le séparait pour toujours de cette femme. « Elle sait très bien ce que ce paquet contient » !
— Va jouer, va chercher Henriette…
« Elle ne veut pas que je sache… quoi ? » pensa-t-il avec horreur.
— Qu’attends-tu ? Dépêche-toi… s’écria Regina, le poussant vers la porte vitrée donnant sur le jardin. Ghislain leva la tête pour répondre, pour lui demander… mais déjà elle lui tournait les épaules, en train de monter à la hâte à l’étage supérieur. Il se retrouva tout seul en face du jardin inconnu. Ce brusque refus l’empêchait de se déplacer et de sortir… « Que s’était-il passé ? Où dois-je aller ? Pourquoi cette femme s’est-elle comportée de cette manière ? »
D’un coup, l’image souriante de sa mère s’interposa. Il se tourna et revint en arrière, jusqu’à l’étagère en acajou. Une bouffée de chaleur lui rougit les joues alors qu’il voulut observer, seul, l’image d’Eugénie qui brandissait son ombrelle avec nonchalance. « Où est-elle cette image ? Oui, je m’en souviens maintenant, au bout du secrétaire, sur la droite. » Sa main tâtonna dans le vide : la photo qu’il avait vue juste avant, alignée avec les autres, la photo de Gény que Regina avait apportée de la Belgique avait disparu ! À sa place, il y avait une tache sombre, à peine effleurée par un voile de poussière.

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Henriette,avec le chapeau blanc, en présence de ses amies. (cliquer pour agrandir)

Ghislain était planté sous le figuier, quand Henriette se dessina en contrejour et lui cria :
— Qu’est-ce que tu fais cafard ? Viens jouer avec nous !
Il était si drôle dans sa soutane noire, et encore plus étrange avec ce lourd chapeau parmi le jaune tapageur des frésias et les grappes rouges des groseilliers. On l’entraîna dans la serre, on l’obligea à grimper sur le figuier, on lui fit manger du muscat, on l’aspergea de véritable eau de source et, sans aucune honte, on salit son chapeau. Quand ils arrivèrent aux Remparts, Ghislain essaya de se pencher au-delà de la mince barrière de fer, mais il fut près de s’évanouir. Croyant que c’était une blague, les enfants le recouvrirent de fleurs de câprier, en chantant : « Le cafard est mort ! Vive le cafard ! »
Avant que les fourmis et les insectes ne le dévorent, tandis que le soleil frappait sur son front et que les monts Sibyllins s’évaporaient, Madame daigna le secourir, en l’emmenant à l’intérieur, où elle le fit asseoir sur un coussin.
À compter de ce jour-là, ils ne revinrent plus dans le jardin, et la dame ne les invita plus à prendre le thé avec les petits fours. S’ils la croisaient dans la rue, elle se montrait toujours très pressée. Mais elle évitait surtout de regarder Ghislain dans les yeux.
À chaque rencontre, un malaise général s’emparait de lui. Il avait ouvert le paquet, désormais. Lui aussi savait. Mais pourquoi s’était-elle comportée ainsi ? Pourquoi avait-elle enlevé la photo de sa mère du secrétaire ? Pourquoi ?

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Claudia Patuzzi

Le Mura da Sole (Zérus – le soupir emmuré n. 69)

01 dimanche Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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ghislain, giardino, henriette, luglio 1928, Macerata, Marche, Mura da Sole, Nino, Orso, Regina Cohen, Zérus 69, Zérus le soupir emmuré 69

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Le Mura da Sole n. 69, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 264-266, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Cet après-midi-là, Henriette prit la main de Ghislain en lui murmurant à l’oreille :
— Nous allons manger des figues dans un jardin.
— Je ne sais pas ce que c’est.
— Quoi, les figues ? lui murmura-t-elle à l’oreille. En voyant son air désolé, elle ajouta :— Une dame veut faire ta connaissance.
— Quelle dame ?
— Une vraie dame ! Il y a aussi des bicyclettes.
— Je ne sais pas y aller.
Sa sœur lui rit au visage. Puis elle s’engouffra dans l’escalier en bois.
— Fais attention à ne pas te prendre les pieds dans la soutane ! s’écria-t-elle avant de disparaître à l’étage en dessous.
Elle était maintenant au cœur de l’usine de bière.
— Arrête-toi, Henriette ! Ne cours pas si vite ! haletait-il. Le vrombissement des moteurs recouvrait sa voix.
Ghislain n’aimait pas les escaliers et les galeries souterraines de l’usine, les soupentes de bois avec les poutres disjointes, le fracas des embouteilleuses, l’odeur de fermentation de la bière avec ses exhalaisons sucrées d’alcool et d’anhydride carbonique, le sol glissant et toujours trempé par les éclaboussures. Seule la balance en fer l’enchantait, pareille à une vieille guillotine, où se pesaient tour à tour Henriette et Nino.
Sa petite sœur, au contraire, voletait entre les gouttes des chaudières, frôlant les cuves de fermentation et les coins rouillés imprégnés de tétanos de l’embouteilleuse sans se tacher ou se blesser de manière grave. C’était une mangouste à la chasse aux rats et aux serpents, à la recherche d’anfractuosités et de tanièqres secrètes. Elle s’arrêta à mi-parcours : — Cours Ghillino, l’oncle Orso nous attend avec le camion !
« Jésus, où est-elle passée ? Je ne la retrouve plus… »
Un instant plus tard, un casque noir pointa depuis la fenêtre du camion :— Cours ! Monte ! Ghislain eut juste le temps de saisir d’abord la petite main tendue vers lui et puis la large patte d’Orso… le camion le traînait déjà en dehors de la cour.

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Le Mura da Sole: les ramparts sud de Macerata.(cliquer pour agrandir)

Orso portait les lunettes de soleil. Ses cheveux resplendissaient contre la tôle du camion comme du cuir vernissé. Il souriait sans raison. Henriette et Ghislain se retrouvèrent comprimés dans la cabine avec la sensation de piloter un avion. Dans le fracas tourbillonnant des roues, l’Institut et ses souvenirs furent déchirés par le vent, pour s’évanouir dans les fumées du tuyau d’échappement. Arrivé sur une place, le camion frôla le monument de bronze de Garibaldi.
— Celui-ci est le fils d’un démon et d’une sainte, s’écria Orso, avant d’appuyer avec plus de force sur l’accélérateur.
Le camion s’arrêta devant les Mura da Sole :
— Nous voici au bout ! hurla Orso en les jetant brusquement par terre.
— Allons dans le jardin ! s’écria Henriette.

003_giardino Coen 180Henriette dans le jardin de Regina Cohen.(cliquer pour agrandir)

Ghislain resta seul. Le camion était déjà parti et le silence s’étendait sur la route comme un calque. Il sentit la densité étouffante de l’air et un bruit de tambour, un grondement sourd qui martelait en lui. C’était son cœur. Avec un effort surhumain, il atteignit le portail mi-clos. Son ombre le recouvrit entièrement. Avec sa soutane et son chapeau, personne n’aurait pu le distinguer. Pendant plusieurs minutes, il resta immobile sous l’arche, dans la fraîcheur humide de la pierre. Que devait-il faire ? Où était ce jardin ?

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Henriette avec une amie à la campagne.

Claudia Patuzzi

Bartolomeo Fata ( Zérus – le soupir emmuré n. 68 )

30 samedi Nov 2013

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À partir du coté gauche: Bartolomeo avec sa chienne; au centre, Nino avec un poupon, Henriette est appuyée contre une colonne.(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Bartolomeo Fata n. 68, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.259-263, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Ce n’était pas le bruissement des pigeons sur les tuiles, ni le bruit des machines réduit à néant par la hauteur de la tour ni même le tintement des cloches de l’église de San Giorgio, qui avait réveillé Ghislain. C’était le bruit d’un pas — humain ? — qui craquait sur le plancher parmi des cris plaintifs.
« Qui est-ce ? Qui était-ce ? »
Quand il ouvrit le yeux, le petit homme de bois était à son coté. À travers les persiennes les rayons du petit matin zébraient la chemise rouge, lui ôtant tout éclat de couleur.
« — C’est un pauvre forçat, comme moi du reste ! »
Il regarda la porte fermée. Excepté ce bruit, tout semblait immobile. Le soleil filtrant annonçait un beau dimanche de juillet. Aucun son de cloche. Il n’était pas encore sept heures. La pendule restait aussi silencieuse, oubliant les minutes. Là-haut ne parvenaient ni les glapissements des chiens errants dans la cour, ni le fracas de l’Usine, ni le roulis de la pompe qui forgeait des parallélépipèdes de glace dans les entrailles de la terre, ni même les relents pestilentiels de l’ammoniaque. Là-haut, l’air était pur comme à la montagne, la cornée restait claire. « Voici pourquoi Garibaldi avait choisi cette chambre : parce qu’on y arrivait en grimpant vers les nuages, sur les restes d’une tour du XIVe siècle ayant survécu au temps.» Ghislain se leva. Il toucha son corps poisseux où l’orangeade avait déposé un voile jaune. « Je dois me laver… », pensa-t-il, tandis qu’il gravissait le petit escalier qui menait à la terrasse sur le toit.
La nuit cédait la place au soleil. Un rayon s’arrêtait sur la droite, au nord-est, sur le dos d’une montagne. Qu’est-ce qu’il y avait là-bas ? Un monstrueux cétacé ? Étaient-ce des mouettes ces petits points qui filaient dans la brume de l’aube ? Était-ce la mer ou le ciel ?

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La campagne de Macerata depuis le balcon de Fata (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Ghislain regarda cette étendue de collines qui recouvrait d’un manteau ondulé les roches sorties des fonds marins depuis des millions d’années. Il ne voyait que dépressions et douces crêtes dans un enchevêtrement de fermes, de hameaux et de vallées sans que rien ne vienne y poser une limite. Il éprouva une sensation de vertige. « Ce n’est pas une terrasse, c’est la proue d’un navire. Ces collines sont une mer qui avance… De là-haut, Garibaldi a vu Taganrog, Tunis, Tanger, Rio de Janeiro, le Rio Grande do Sul… »
Il pencha la tête vers les remparts en dessous de lui : une rangée de tilleuls longeait la promenade en ceignant sa crête d’une chaîne de feuillages. Il toucha son front pour réajuster un chapeau, mais sa tête était nue et un vent froid lui ébouriffait les cheveux. « Il s’était baigné dans l’orangeade…» Ce souvenir lui fut comme une brûlure. « Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait » ? D’un coup, les bras serrés autour du corps, il se lança dans l’escalier… En quelques instants, il était déjà au bord du lit, évitant soigneusement de regarder le buste de Garibaldi ou de se faire toucher par le bredouillement de l’homme qui avait bougé, ou pas ?
« Qui est-ce ? Qui était-ce ? »
De nouveau, ce pas derrière la porte, de nouveau le gémissement étouffé du bois sous la plante d’un pied…
Ghislain se déplaça lentement. Il fit glisser sa tunique sur son corps, enfila les chaussettes et les chaussures de cuir. Il accrocha les rabats sur son cou et, d’un seul bond, ouvrit la porte. Il eut à peine le temps de voir les reflets cuivrés des cheveux de sa mère et de s’apercevoir de son geste furtif — voulait-elle l’inviter à la suivre ? —, que sa jupe disparut derrière un mur blanc. Mais il entendit sa voix : « As-tu vu ? Je te l’avais promis…»
— Maman, cria-t-il, en se lançant derrière elle. Arrête-toi, maman !

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Sebastiano et Ettore. (cliquer la photo pour l’agrandir)

Mais dans le couloir, il n’y avait personne et il fut stoppé dans son élan par des draps tendus devant une fenêtre grande ouverte. Un bruyant claquement de portières venait de la cour. Il vit Niba discutant avec un ouvrier. Il portait un tablier sale de graisse et un pantalon de toile. Plus loin, nu jusqu’à la taille, Ettore s’activait dans la boutique du forgeron. La cour était un petit carré qui ressemblait à un modèle réduit où Niba mesurait trois centimètres et Ettore deux. Seul le camion, luisant comme un scarabée, gardait sa masse inhumaine. Sous cette lumière, on voyait la queue de la chienne qui allait se cacher en se dandinant dans l’obscurité des boutiques.
Une caresse lui frôla le cou. Ghislain se retourna brusquement.

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Bartolomeo Fata ( cliquer sur la photo pour l’agrandir)

— Bonjour ! En se promenant au milieu du linge, Bartolomeo Fata le fixait des yeux bleus.
— Bonjour, balbutia Ghislain, se remettant de ses frayeurs.
En posant le doigt sur ses lèvres, Bartolomeo chuchota : — Ne dis pas à ma mère que tu m’as vu ! Puis, il le conduisit au-delà du rideau amidonné des draps, parmi les dentelles des chemises de Perla et les pudiques voiles de lin chiffonné de Mipento. Il s’arrêta devant une petite porte. — Ma mère ne veut pas que je vienne ici. Il indiqua à Ghislain un grenier tout empli de flacons, d’alambics, de réchauds, de cages à lapins et à souris : Là, j’ai rangé les poisons, et là les cobayes…
— Les poisons ? Ghislain observait ce fatras de flacons.
— Oui. Ce sont des alcaloïdes de nombreuses plantes supérieures qui, administrées à petites doses, ont des fonctions curatives. Curare, mescaline, quinine. Celle-ci c’est la strychnine. Bartolomeo lui montra des octaèdres incolores. Ce poison résiste à tout processus de putréfaction… on peut le retrouver sur un cadavre bien après sa mort. Il a une odeur particulière… Puis il lui montra un autre flacon.
— Celui-ci c’est l’oxyde de carbone, il ne laisse aucune trace visible.
— Et tu passes la nuit ici ?
— La chimie me plaît. Je ne veux pas être géomètre ou penser à l’usine. Je veux être médecin légiste.
— Et c’est pour ça que tu étudies ces choses ?
— Je sais tout sur les poisons.
Ghislain eut une illumination :— Tu pourrais distinguer un poison mortel après beaucoup de temps ?
— Cela dépend du type de poison. Mais qu’est-ce que tu as ?
— Il n’y a pas d’espace, ici…
Ils revinrent vers la fenêtre. Ghislain respirait mal. Au-dessus du carré bleu de la cour, les nuages dessinaient un plafond illusoire.
— Là-haut, je me sens libre, dit Bartolomeo.
— Moi à l’Institut j’étouffe comme ça… tous les jours !

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La court intérieure du Palais Fata avec l’église de San Giorgio. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

— Pour ne pas avoir peur, tu dois toujours regarder vers le haut. Le ciel est une fenêtre ouverte sur le monde, il ne faut pas se déplacer. La couleur et les nuages changent tout le temps, comme la vie !
Ghislain regarda le panneau bleu foncé que les tuiles ocre rendaient encore plus lumineux. Il comprit que les étoiles étaient là, même avec cette lumière aveuglante du Soleil. « Moi aussi je bouge toujours, comme les étoiles. Je ne suis pas seul… »
Quand il se retourna, Bartolomeo avait disparu.

Au petit déjeuner, Ghislain, Henriette et Nino ne voulaient pas boire d’orangeade.
— Si tu la bois, tu deviendras fort ! insistait Santina, mais ces trois obstinés secouaient la tête. Même le petit prêtre au visage pâle. Résignée, Santina posa sur la table trois grandes tasses de lait.
Au déjeuner, Sirio but l’orangeade en premier. Après avoir trempé deux ou trois fois les lèvres sur le bord du verre, il déclara :— Elle est parfaitement réussie.
Quand il donna la permission de boire, les enfants et le prêtre s’abstinrent.
— Pourquoi ne buvez-vous pas ?
— J’ai mal au ventre, jura Nino.
Henriette et Ghislain étaient « malades » aussi. Mais Teresa remarqua quelque chose d’insolite dans le goût :— Santina, ne te semble-t-il pas que cette orangeade ait un certain goût d’ammoniaque ?
La servante ouvrit les bras d’un air désolé.
Alors, Teresa souleva le verre pour l’observer à contrejour : — Elle est un peu trouble, n’est-ce pas ? Puis elle se tourna vers Guillaume, ou Gérard, ou peut-être Gustave. Tu te sens mal, mon fils ?
Ghislain écarquilla les yeux. Un sanglot désespéré lui sortit de la gorge : — J’ai eu froid…
— Tu as le teint un peu jaune, continua la grand-mère. Par un de ses gestes rituels, elle mit fin à son examen : — Pauvre garçon, c’était trop pour toi… Et après avoir bu une dernière gorgée, elle se trouva au-dessus de la table, entre ses deux fils qui l’emmenaient sur la chaise du pape.
Près de la porte, Bartolomeo se retourna. Il avait un étrange sourire.
— L’orangeade était parfaite, n’est-ce pas Nino ?

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La gazeuse de l’Usine de Fata. (cliquer pour agrandir la photo)

Claudia Patuzzi

L’orangeade (Zérus – le soupir emmuré n.67)

29 vendredi Nov 2013

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Bouteille pour le Seltz (cliquer pour agrandir)

L’orangeade n. 67, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.254-258, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionn pour le prix Strega 2006.

Quand il rouvrit les yeux, il vit son père Paul en train d’agiter les bras hors de la couverture : « Où est le pied de lit, Ghislain ? »
Il fixa son père en silence : pourquoi donnait-il signe de vie juste ici, en Italie ? Certes, il ne pouvait pas rêver de lui dans le dortoir de l’institut, toujours plein de monde.
« Quelle espèce de lit est-ce donc, Ghislain ? » continuait à pleurer Paul.
— C’est le lit de Garibaldi papa…, chuchota-t-il.
Paul pâlit et cessa de pleurer. Il saisit la couverture et cria : — Trouve-la, Ghislain !
« Que dois-je chercher ? »
Ghislain sentit soudain le souffle lui manquer : un corps immense était tombé sur lui et l’étouffait… Il ouvrit la bouche et une langue râpeuse entra dans son palais. Une paire de jambes molles s’enroulèrent sur lui comme une camisole de force l’empêchant de bouger les bras.
— Ghillino, Ghillino ! Les voix d’Henriette et de Nino l’appelaient depuis l’Au-delà. Il allait rejoindre son père…
— Viens Ghillino, réveille-toi !
Ghislain écarquilla les yeux. Un lourd tissu vert lui couvrait le visage. Il le souleva avec peine en mastiquant des grains de poussière. Enfin, il se libéra.
Henriette et Nino le fixaient contrits.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il.
— On voulait te réveiller, mais le drapeau est tombé sur toi… Ils s’excusèrent en chœur.
— Quelle heure est-il ?
— Il est minuit… murmura Henriette avec un air de complice.
— Et pourquoi m’avez-vous réveillé ?
— On va voir notre oncle, Sirio. Il fait de l’orangeade, soupira sa sœur.
— Viens, viens… répéta Nino en le tirant au bas du lit.
— Et la tante ?
— Elle dort. Dépêchons-nous. Si elle se réveille, elle va nous voir.

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Sirio (cliquer pour agrandir la photo)

Dix minutes plus tard, ils étaient dans une pièce en forme de demi-cercle près de la cuisine.
— Chut ! Pas de bruit, murmura Henriette.
Sirio, entouré d’enveloppes de sucre, était assis sur un tabouret à côté d’une grande bassine en cuivre pleine d’eau minérale. Avec la précision d’un orfèvre, il faisait tomber de ses doigts une mystérieuse poudre qui formait un sirop rouge orange, très dense, à l’odeur forte. Il s’interrompait de temps en temps pour mélanger de nouveau le liquide avec une pelle en bois, puis il plongeait l’index et goûtait. Il laissait s’écouler la poudre, ajoutait du sucre, mélangeait avec la pelle, mettait le doigt dans le jus, goûtait et ainsi de suite jusqu’à ce que le liquide devienne fluorescent comme une peinture acrylique. Une lampe oscillait au-dessus de ce sirop couleur de bégonia, en déversant sur sa tête un reflet doré. Soudain, l’enveloppe du sucre lui échappa des mains et flotta sur le sirop comme une petite barque. Ses yeux se remplirent de larmes.
— Il pleure toujours quand il fait de l’orangeade, dit Henriette.
— Pourquoi ?
— Il pense à l’ouvrière qu’il voulait épouser… Grand-mère le lui a interdit !
— Et lui ?
— Il n’a plus mangé ni dormi… puis il est devenu comme ça!
— Tais-toi ! Notre oncle s’en va, murmura Nino.
Ghislain vit Sirio pencher la tête sur l’enveloppe de sucre, soulever cette épave, en faire une boule avec un geste de colère et la mettre dans sa poche. Il sursauta en reconnaissant le même regard vitreux que son grand-père Cyrille. « Frangar, non flectar ! »

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Nino dans la cour du Palais de Fata (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Nino continuait à fixer la bassine de cuivre.
— Tu ne viens pas, Nino ? Henriette l’appelait depuis la petite porte.
Nino était debout sur le tabouret de bois. Tout à coup, ses yeux s’illuminèrent. Henriette et Ghislain n’eurent pas le temps de l’arrêter. Maintenant, il pataugeait dans l’orangeade comme une grenouille.
— Tu es devenu fou, Nino ? siffla sa sœur. Si l’on te voit… mais sa voix trahissait déjà une admiration sans bornes.
Ghislain regardait Nino embarrassé. Ses joues et son cou étaient recouverts de larges plaques rouges. C’était la première fois qu’il voyait un petit garçon nu. À l’Institut, ils prenaient le bain ou la douche en culottes et ses confrères étaient couverts par leurs soutanes de la tête aux pieds. S’il se produisait quelque chose d’étrange, l’Avertissement et l’Accusation révéleraient la vérité, tôt ou tard… Il sentit vibrer son corps malgré lui. Cela faisait quatorze ans, depuis l’époque de la maison d’Alsemberg, qu’il ne connaissait plus ces sensations : quand il avait épié le corps de Christiane et celui, plus mûr, de Catherine, au clair de lune…
Henriette regardait son frère d’un air amusé.
— Comment est-ce ?
— La fin du monde ! gargouilla Nino.
Ghislain regardait sans arrêt l’entrée de la pièce.
— Les chambres à coucher sont trop loin, ils ne peuvent pas nous entendre, le rassurait sa sœur. Entrons nous aussi, déshabillons-nous Ghillino ! En un instant, elle était dans la bassine. Ghislain regarda ses seins plats et rougit.
— Qu’attends-tu pour te déshabiller ? hurlait Nino.
— Je ne peux pas, le Père supérieur…
— Il n’est pas là. Comment pourrait-il savoir ?
Ghislain se retrouva nu comme au temps du plongeon dans l’eau du Zwin. Mais là, il était seul dans la mer. Il se couvrit avec les mains et il entra dans l’orangeade.
— Fais-moi voir, le défiait Nino, n’aie pas honte. Ghislain ôta les mains et montra son organe sans nom.
— Le mien est plus gros, ricana le gamin qui désormais, entre les chiens de chasse et les bêtes des paysans, était habitué à tout. Ghislain se sentit mal. C’était pire que l’Avertissement.
Une ombre de remords traversa le visage d’Henriette : — Arrête-toi Nino, et laisse Ghislain tranquille… nous sommes perdus, s’ils nous voient ! Elle prit sa main et le conduisit dehors.
Quelques minutes plus tard, personne ne riait plus. Ghislain avait le teint terreux, Henriette était abattue. Seul Nino avait gardé son air futé. Il regarda l’orangeade qui faisait des vagues dans la bassine de cuivre, puis il dit : — Maintenant, elle est un peu sale…
— Pourquoi ?
— Devine un peu…

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Henriette et Nino. (cliquer pour grandir la photo)

Claudia Patuzzi

La chambre de Garibaldi III/III (Zérus – le soupir emmuré n.66)

28 jeudi Nov 2013

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1 janvier 1849, Celeste, ghislain, Giuseppe Garibaldi, henriette, la chambre de garibaldi 66, Macerata, Marche, Nino, voyage en Italie, zérus 66, zérus le soupir emmuré 66

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Turin, Musée du Risorgimento, Garibaldien. On voit la figure réfléchie de Giuseppe Garibaldi à cheval. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

La chambre de Garibaldi III/IV n. 66, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.252-254, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionn pour le prix Strega 2006.

— Voilà la chambre où Garibaldi a dormi depuis le 1er janvier 1849, quand il a fondé sa vaillante légion de Macerata ! s’écriait Nino pour le tirer de cette étrange torpeur. Mon arrière-grand-père était un garibaldien avec la chemise rouge !
Henriette interrompit son frère avec le ton d’une moralisatrice:
— C’est moi qui dis cela. À ce temps-là, il y avait ici une petite auberge de poste avec un atelier de couture. Garibaldi y vint, accompagné du capitaine Angelo Masina…
— Et de l’homme noir avec la lance, Abujab… continua Nino enflammé, comme si cette figure au manteau sombre se trouvait devant eux.
Henriette l’interrompit : — Lorsqu’il accepta de dormir à l’hôtel, le Maire ordonna de mettre des lumières dans toutes les rues, sur les balcons et aux fenêtres. Mais ensuite on se comporta mal avec Garibaldi…
Céleste toussa pour montrer sa désapprobation. Au lieu d’entrer dans la chambre, elle était restée à distance respectueuse.
Henriette se tut une seconde, puis, convaincue de sa bienveillance, continua : — La commune ne voulait pas payer l’hôtel et quand Garibaldi partit il donna à la Légion des chaussures se défaisant comme du papier dans la neige.
— Et Garibaldi attrapa de l’arthrite… continua Nino.
— Et les livraisons de pain étaient toutes pourries ! conclut Henriette triomphante.
— Tais-toi, haleta Céleste, vous avez oublié de dire la chose la plus importante : Garibaldi avant de partir fut élu, par cette ville, député de la Constituante romaine…
— Et les partisans du pape se soulevèrent en criant : Vive Pie IX ! hurla Nino.
— À l’arrivée des carabiniers… soupira Henriette, Garibaldi arrêta de jouer aux cartes, jeta son sabre par terre et calma ses légionnaires emportés…
— Il examina toutes les chambres de l’hôtel, poursuivit Henriette. Il disait : celle-ci est sombre, celle-ci est bruyante, celle-là est un « miserere »… Enfin, il choisit juste cette chambre !
— Il y dormit pendant quatorze nuits, puis il déménagea dans l’ancien couvent, conclut Nino.
— Et pourquoi choisit-il cette chambre ? demanda Ghislain à mi-voix.
Céleste se mêla à la conversation : — Parce qu’elle était silencieuse. De là un escalier monte jusqu’à la terrasse…
— Les oncles se disputent tout le temps, l’interrompit Henriette. Ils veulent tous dormir ici à tour de rôle. Mais ce sont Sirio et la grand-mère qui décident. Et Orso ne peut pas y entrer seul.
— Ce n’est pas vrai ! continua son frère. Je l’ai vu entrer en cachette et se coucher nu sur le lit avec la chemise rouge.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Céleste essayait de les traîner tous les deux hors de la chambre. Nino continuait de fixer la chemise rouge comme s’il voyait Orso, en train de rire, à la place du petit homme de bois.
— Je le jure…
— Assez ! Céleste le saisit par l’oreille et lui flanqua une gifle. Puis elle se tourna vers Ghislain, respirant avec peine : si tu as froid, il y a le chauffe-lit… si tu dois faire tes besoins, tu vas au deuxième étage, près de l’entrée il y a les toilettes, sinon sous le lit il y a le pot de chambre… dit-elle avant de disparaître dans l’obscurité de la porte.
Resté seul, Ghislain se tourna vers la fenêtre. Son tricorne était posé sur le petit homme de bois, l’air était immobile et la fenêtre entrouverte. La chemise rouge plongeait dans une poussière dorée… Une fatigue de plomb lui cloua les chevilles au sol. Sans opposer aucune résistance, il se laissa tomber dans ce lac de sang.

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La main droite de Garibaldi reproduite en métal, grandeur nature, avec la signature du chirurgien. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi

Le grand vacarme (Zérus – le soupir emmuré n. 63)

25 lundi Nov 2013

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1928, famille Fata, ghislain, henriette, le grand vacarme II-b, Macerata, Marche, Niba, Nino, Santina, Sirio, voyage en Italie

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Palais des Fata sur les remparts nord de Macerata (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

IIb/IV n. 63, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.242-245, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Ghislain venait de reprendre ses esprits quand le vacarme fit irruption dans la pièce. La salle s’était remplie. Orso et Sebastiano avaient juste déposé Teresa à sa place, près de Céleste, lorsqu’Ettore enjamba Sebastiano pour atteindre Orso et le gifler du revers de main.
— Celui-là a le cœur rempli de merde ! hurlait-il.
— Un poil a poussé sur le tien ! lui répondait Orso en agitant le bras.
— Arrêtez donc, sinon tout le monde va partir. Comme d’habitude, Sebastiano les séparait, tandis que Bartolomeo et Mipento restaient dans leurs Paradis.
— Orso, calme-toi !
Tout le monde attendait Perla qui était en retard.
— C’est une rose faite de cendre et d’os, ricana Mipento.
— Tais-toi ! Sa mère lui lança un regard sévère.
Ettore s’interposa : — Maman, tu l’as vue : Mipento a levé la tête comme si elle était en extase. Elle a écarquillé les yeux, elle a bavé…
— Je suis heureuse de prier, pleurnicha Mipento.
Ghislain ne comprenait rien. Les mots s’entassaient l’un sur l’autre dans un bruit agressif. Instinctivement il chercha la petite main d’Henriette. Elle lui sourit. À ce moment-là, Perla et Sirio entrèrent. Ce fut comme si le soleil et la lune s’affrontaient avant de se tourner le dos dans une éclipse perpétuelle. Dès que Sirio se fut assis au bout de la table, un silence absolu se fit parmi les convives. Mipento continuait à pleurer en silence.
— Santina, les antipasti ! cria Sirio. Où est l’eau distillée ?
Céleste lui tendit son petit pot en verre.
— Le pain grillé ?
— Il est là, à côté, Sirio.
— Que les enfants ne boivent pas avant le second plat.
— J’ai soif, murmura Nino de derrière la chaise.
— Moi aussi… soupira Henriette.
— Santina, apporte les gazeuses, les bières, le Seltz et le vin rouge !
— Que font-ils ? demanda Ghislain.
Amusé, Niba lui répondit : — Personne ne mange sans son autorisation, maintenant tu comprends pourquoi je suis entré dans la marine, n’est-ce pas ?

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Sirio Fata. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Santina entra en sautillant avec les eaux gazeuses et l’orangeade, puis elle posa les antipasti devant le maître de maison : — Les antipasti aiguisent l’appétit ! Et elle, en se déhanchant, s’en alla à la cuisine pour surveiller le bouillon. Ettore la regardait bouche bée tandis que Sebastiano ricanait.
— Taisez-vous, cochons ! ordonna Teresa.
Sirio se leva. Vêtu de gris comme si c’était l’hiver, il était aussi pâle que la nappe.
— Que Dieu bénisse cette table… dit-il, en levant un verre d’eau distillée comme s’il s’agissait d’une hostie consacrée. À ce signal, tous se sentirent libérés.
Les coudes sur la table, la fourchette suspendue en l’air, la poitrine renversée sur la dentelle de son poignet, Perla, qui manquait d’appétit comme une vraie dame, laissa tomber ses cheveux châtains le long de la chaise.
« Elle est mille fois plus belle que Christiane… et le corps, qu’est-ce que doit être son corps, plus beau que celui de Catherine… » Ghislain rougit. Ces pensées-là lui étaient interdites, cependant elle lui souriait. Il sentait que le souffle lui manquait…
Niba vint le sauver : — Nous devons saluer un invité ce soir…
Tous les regards se dirigèrent vers cette tache noire qui ressortait sur le lin immaculé.
— Je vous présente Ghislain !  cria le Niba.
Il s’enfonça dans sa chaise :  — De l’eau… de l’eau.
— Faites-le boire, il a soif !
— Il est épuisé, le pauvre, après un jour de voyage.
— Plus d’un jour, tu veux dire.
— Un parent de Belgique, pas vrai Annibale ?
— Cela aurait fait plaisir à la pauvre Eugénie…
— À qui ressemble-t-il ?
— Il a un œil fermé.
— Pour moi, le Petit-curé est encore vierge.
— Tais-toi Ettore !
— Regarde comme il boit.
— Combien de temps ce garçon reste-t-il chez nous ? demanda la grand-mère.
— Environ quatre jours, répondit Annibale.
Ghislain, rouge de honte, ne ressentait rien, ne comprenait rien, ses oreilles bourdonnaient..
— Voilà le bouillon de poule.
Cette fois, Santina partit de l’autre côté. Ettore réussit à la pincer.
— Tenez-vous tranquille, Monsieur, s’écria-t-elle, en riant. Orso et Sebastiano rirent aussi.
— Bien. Et où allons-nous le coucher ? demanda Teresa.
— Bartolomeo et moi nous pouvons lui céder notre chambre. L’un de nous peut bien dormir en haut.
— Dans la chambre de Garibaldi ? hurla Orso.
— Pourquoi pas ? ricana Niba entre ses moustaches.
— Mais cette chambre n’est pas pour les invités, soupira Sebastiano.
— Silence, éclata Teresa, c’est ton oncle Sirio qui décide.
— Mais j’y veux aller !
— Tais-toi Sebastiano ! Ce n’est pas ton tour. Tu y as dormi il y a un mois, tout seul.
— Et moi ? Quand est-ce que j’y dors ? grommela Ettore.
— Tais-toi Ettore !
— Silence, j’ai dit. Le garçon, le Petit-curé, bref le Belge, il dormira dans la chambre de Garibaldi. Sirio avait parlé et le ton n’admettait pas de répliques.

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Nino, Henriette et Ghislain dans le potager. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi

L’invasion des insectes (Zérus – le soupir emmuré n.58)

19 mardi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Celeste, ghislain, henriette, Macerata, Marche, Niba, Nino, rexisme, voyage en Italie, Zérus 52, Zérus le soupir emmuré

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Macerata, Les jardins (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

L’invasion des insectes VII/VIII n.58, troisième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.224-27, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006

Avant d’arriver à la gare de Milan, un essaim d’abeilles s’amassa contre la vitre du compartiment numéro 7.
— Il y en a plus de cent !
— Que font-elles ?
— Elles nous attaquent…
Ghislain regardait cette agitation avec le calme de quelqu’un qui connaît bien la voix du silence et la solitude. Une invasion d’abeilles ? Mais ne se passait-il pas autre chose, de bien pire ? N’était-ce pas cette même brume silencieuse qui s’était amoncelée dans le ciel ? Cette immobilité qui précède le réveil des monstres ? En plus des abeilles, l’Europe était envahie par les monstres…
— Messieurs, silence ! Ne voyez-vous pas le ciel ?
C’était l’inconnu qui parlait. Une atmosphère stagnante couvrait les pentes des collines sur les premiers contreforts des Alpes. L’homme regarda Ghislain pendant quelque temps, puis scanda :
— Les abeilles, les insectes, on peut les tuer, il existe un excellent poison, très courant dans les maisons envahies par les souris, qui peut tuer aussi un être humain… Et tout en disant cela, il continuait à regarder Ghislain comme si cela ne concernait que lui. Pour finir, il conclut : Toutes les morts ne sont pas aussi naturelles qu’elles le semblent, vous savez… ?
Ghislain ne lui répondit pas. Il se souvint du petit tableau d’Icare, au mort caché dans le buisson. Qu’avait voulu dire cet homme avec son ton passionné ? Qui était ce mort ? Était-ce son père ? Maintenant, il comprenait ces abeilles furieuses, le sens obscur de leur peur. L’Institut, la règle du silence ne l’avait pas empêché de réfléchir : il avait appris à penser de manière cachée, à faire des boules avec les idées comme les miettes de pain qui reposaient en grumeaux sans forme au fond de ses poches. Quand il les sortait, il s’amusait à archiver les pensées — par auteur, sujet, couleur, odeur, son — en installant, petit à petit, une énorme bibliothèque dans l’espace étroit de son cœur.

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Ghislain à la gare de Macerata (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Ghislain ouvrit ses archives et lut le mot « insecte ».
Neuf années étaient passées depuis la mort de sa mère. La guerre était finie, mais les hommes avaient pris désormais l’habitude de tuer. Dans ce paysage de fer et de feu où la loi des grands nombres s’était mêlée à l’odeur rance d’une mort aussi anonyme qu’invisible, la gueule encore vive de la guerre avait léché l’Europe comme un loup furieux, laissant à ses marges une écume qui avait contaminé les rescapés déçus, les vaincus et les bataillons dispersés aux abords de la Baltique ou à la lisière des forêts.
Ghislain en entendit le bruit sourd, bourdonnant comme un peuple entier de blattes. C’était le passage des soldats perdus, égarés, expulsés et déchus, des nostalgiques et intégristes, des catholiques fanatiques et rexistes, des assassins en uniforme, des proscrits, des brigades de Fer. C’était la voix des Ptoléméens fous et autoritaires, des ennemis du troupeau commun, des guerriers exaspérés et des Chevaliers teutoniques brandissant au vent de sombres étendards de pirates, les emblèmes rouges de la Ligue hanséatique, les insignes impeccables des Chevaliers de Saint-Jean, les têtes de mort, les svastikas noirs et argentés et toutes sortes de décorations funèbres. Ghislain vit tous ces gens s’avancer comme les membres d’un crabe bouillonnant aux confins de la guerre…
Enfin il arriva à la gare de Macerata tard dans l’après-midi, dans le crissement des cigales et une chaleur presque africaine. Il avait cherché ses petits frères, qu’il n’avait pas vus depuis dix ans. Mais il n’y avait pas d’enfants. Seulement des hommes en bras de chemise, qui suaient sous le soleil du crépuscule et des paysannes en noir, essoufflées sous leurs gros sacs. Dans cette foule, il n’avait même pas réussi à voir le visage aux traits classiques, un peu trop sérieux, de Niba. Quand le train repartit, il se retrouva sous la marquise, tandis que la chaleur lui faisait bouillir les pieds. Était-il possible qu’ils l’aient abandonné ? Qu’ils l’aient oublié ? Que devait-il faire ? De la langue italienne, il ne connaissait que ce peu dont il pouvait se souvenir de ses études secrètes. Ghislain leva un bras avec peine, toucha le tricorne qui faisait ruisseler son front et se sentit perdu. Il allait demander de l’aide quand il entendit une voix et qu’il sentit une légère pression sur la manche… Il se tourna, prêt à s’enfuir, les mains plaquées sur son chapeau que le scirocco voulait emporter.

003_Nino Enriettegrandi-180Nino et Henriette (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Henriette et Nino le fixaient bouche bée.
Céleste faisait mine de ne pas comprendre : — que faites-vous les enfants ? Arrêtez donc…
En effet, le tricorne ôtait à Ghislain au moins cinq centimètres. La lumière rasante du crépuscule semblait le coller au sol avec la force d’un clou planté dans une croix.
— Enlève ton chapeau, mon fils, tu vas mourir de chaud.
Niba avait parlé le premier, dans un élan de pitié. Son sens esthétique ne pouvait tolérer cette horreur, surtout en été.
Ghislain poussa un profond soupir.
Le petit Nino éclata :  — On dirait un jettatore !
— Non, un cafard, renchérit sa sœur.
— Taisez-vous, pour l’amour de Dieu ! intervint Céleste avec un fil de voix.
— Quel âge as-tu, mon cher ? lui demanda-t-elle aimablement.
— J’aurai vingt-trois ans en octobre… chuchota Ghislain.
— Il semble beaucoup plus jeune, pas vrai Annibale ?
— On dirait un adolescent. Il n’a pas un poil. Les instituts réduisent tous les jeunes gens à cet état…
Sa sœur recula, horrifiée par son cynisme : — Chut ! Annibale !

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Promenade dans  le Corso de Macerata. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi

Henriette et Nino (Zérus- le soupir emmuré n. 56)

16 samedi Nov 2013

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Albert Herter, ghislain, henriette, La Marseillaise, le départ de poilus, Nino, Paul mancini, treno, viaggio in Italia, Zérus 56, Zérus le soupir emmuré n.56

Henriette et Nino IV-V/VIII n.56, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.219-222, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

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Nino, Niba et Henriette à Macerata. (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

 Céleste reposa sur la commode le lys froissé. Pourquoi était-elle aussi distraite ?
— Faites la charité ! criait saint Antoine, tandis que le petit enfant semblait glisser de son bras. Son visage rosé, en terre cuite peinte, la fit sourire… Elle avait fait prendre le bain aux Belges la veille. Ils s’étaient plongés dans la grande vasque de zinc émaillée avec des pattes de laiton. Santina, la bonne, ne les avait pas fait briller, comme elle l’avait ordonné. Elle s’en rendait compte maintenant… Ces deux-là la faisaient marcher, et au lieu de se laver ils jouaient avec la mousse du savon. Elle avait vu Henriette saisir les flocons,  se les mettre sur l’aine et sur ses seins encore plats et faire la bayadère devant son frère qui essayait de recouvrir au mieux son petit zizi en mimant les Peaux-Rouges. « Je dois les séparer. La petite est en train de grandir. C’est la dernière fois qu’ils prennent leur bain ensemble. Si Annibale vient à l’apprendre… »
Puis Henriette était sortie de la baignoire toute ruisselante, elle avait mis une serviette sur la tête et s’était penchée devant Nino, debout dans la baignoire.
— Allons enfants de la patrie…
Les deux enfants avaient chanté en chœur, tandis qu’elle essayait de les essuyer, mais le petit Nino lui avait arraché la serviette pour se l’enrouler autour de la tête, en chantant : — aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons ! Marchons, marchons… qu’un fang dur…
Henriette l’avait interrompu d’un revers de main : — Espèce d’âne, on dit « sang impur » !
— Tantine, je ne suis pas un âne ! avait bronché son frère, les larmes aux yeux.
— J’appelle Santina si vous ne vous tenez pas tranquilles, avait-elle crié, tandis que tous les deux joignaient leurs mains en un geste de prière…

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Henriette et Nino à Macerata (Marche, Italie) (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Ghislain se réveilla d’un coup. Le train était arrivé à la gare de Zurich…
Un monsieur élégant aux moustaches passa devant le compartiment numéro sept du wagon qui allait en Italie. Avant d’entrer, il s’arrêta dans le couloir, en fixant le garçon habillé en prêtre assis près de la fenêtre. L’homme, entre deux âges, la cravate de travers, essaya de cacher sa surprise, puis il esquissa un sourire de circonstance en s’asseyant devant Ghislain.
— C’est libre ? demanda-t-il, en indiquant la place vide. Ghislain leva la tête. Il se produisit dans son esprit un claquement semblable au ressort d’un avion miniature.
— Oui, c’est libre, balbutia-t-il. Il n’avait pas parlé depuis douze heures. L’inconnu ne détacha pas les yeux de lui pendant tout le trajet.
— Cela vous ennuie si je fume ?
Ghislain fit signe que non. Et de toute façon, il n’était pas habitué aux manières, car il devait toujours obéir. À l’institut, fumer était considéré comme un péché capital. Il pensa avec horreur à tous les avertissements qu’il avait subis par le passé. Mais son cœur maintenant battait avec force.
— D’où venez-vous ? Le monsieur, en aspirant la fumée avec volupté, révéla un accent français prononcé.
« Il est de Paris… », pensa Ghislain, avant de lui répondre de manière concise :
— Je viens de Bruxelles.
— Votre mère est de Bruxelles ?
— Oui…
« Mais pourquoi me suis-je laissé aller à la confiance ? »
— Excusez-moi, votre père n’a pas vécu à Paris par hasard ?
« Quel père ? Celui qui chaque nuit pleure au bord de mon lit ? »
— Nous ne nous sommes pas présentés. Vous ne vous appelez pas Paul, par hasard ?
« Pourquoi a-t-il dit Paul ? » Ghislain entendit quelque part le cri déchiré de son père, Paul Mancini, le jour de sa mort : « — Regarde ce qu’ils m’ont fait… »
« Mais qui l’a fait ? Qu’est-ce qu’a voulu me dire mon père ? »
— Je m’appelle Iréné…
— Vous êtes sûr de ne pas vous appeler Paul ?
— Excusez-moi, monsieur. Je ne vois pas ce que vous voulez dire…, essaya-t-il d’esquiver. Mais l’autre, agité, se torturait les moustaches d’une main et manipulait sa canne de l’autre.
« Où ai-je déjà vu ce geste ? »
L’homme se pencha en avant. L’œil droit du jeune prêtre était mi-clos. L’œil gauche, en revanche, brillait comme de la malachite. « Ce garçon ment », pensa-t-il.
— Vous me rappelez quelqu’un. Vous n’êtes jamais allé à Paris ?
Ghislain nia pour la seconde fois.
— Et vous n’avez jamais connu… vous n’êtes pas par hasard d’origine italienne ?
Ghislain détourna le regard vers la fenêtre. « Pourquoi me fixe-t-il de cette façon ? » Son esprit se mit à voltiger… Il courait à présent dans le jardin de la maison d’Auteuil, à Paris. À terre, il y avait quelques souris mortes et devant lui un grand arbre tropical avec beaucoup de glands sombres répandus sur le gravier… Quand il les avait portés à ses lèvres, il avait entendu le hurlement de la nourrice criant son prénom et l’odeur amère de la bouche de son père…
— N’êtes-vous jamais allé à Paris ? répéta l’homme pour la troisième fois.
Ghislain nia et eut le plaisir de voir l’homme s’essuyer le front d’un air résigné.
— Vous descendez à Milan ?
— Non, je dois changer à Bologne…
— Dommage… dit l’inconnu sans s’apercevoir du soulagement de Ghislain.

treno 180

Albert Herter, peintre américain, New York 1871-1950 : « Le départ des poilus », août 1914, Gare de l’Est, Paris (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

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