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Paul II/V (Zérus – le soupir emmuré n. 13)

04 mercredi Sep 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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bruxelles, Corse, ghislain, Mancini, Paris, Zérus le soupir emmuré

001 les mancini, 740-jpeg.copiePaul II/V, traduction et nouvelle adaptation du chapitre V de La stanza di Garibaldi, pp. 64-65, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus (le soupir emmuré). Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

 Bruxelles, le 9 juin 1979

Chère petite fée,
Tu as reçu la photographie de la famille Mancini ? Regarde ces visages avec beaucoup d’attention. Que vois-tu ? Dis-le-moi au plus tôt parce que j’ai besoin d’être rassuré. Je n’y vois rien de bon, sauf la douceur de ma mère et de Paul. Et pourtant, cette étrange famille française a toléré de vivre avec mon père, ma mère et moi à Paris, jusqu’à sa mort soudaine. Je n’étais alors qu’un nouveau-né et maintenant tout m’apparaît confusément. De mes premières quatre années,
dans cette grande maison, le seul témoignage que je possède est cette vieille photographie de dix-sept personnes…

Un intrus

Sur la photo, les Mancini posent en groupe dans le jardin, devant un mur blanc revêtu d’une épaisse végétation. Paul est debout à l’extrémité du groupe. Il semble avoir grossi, les yeux creusés et les moustaches retroussés. (Dans une autre photo il porte un grand chapeau rappelant les pampas argentines). La main droite est cachée sous sa veste : soit son cœur lui fait mal, soit il veut se donner des airs de Napoléon.
Gény se tient assise à côté de lui sur un siège en osier. Elle n’a que vingt-et-un ans. Son buste est tendu vers l’avant, ses jambes croisées sont cachées sous une robe sombre avec une cape de satin ou de velours. Ses cheveux tombent sur ses joues en deux bandes bouclées. Un haut chignon lui découvre le front entouré d’un invisible duvet doré. Ses yeux confiants regardent sans soucis apparents au-delà de la suite punctiforme du temps.
Tous les autres sont debout, à l’exception d’un chien noir et du groupe des petits, dont Ghislain occupe la première place sur la droite. Mais quelque chose d’étrange défigure ces visages. Un frémissement qui n’est pas celui de la jeunesse… C’est l’avidité, un mastic puissant qui recouvre chaque fente, chaque relief du visage. Il n’y a plus rien de vivant dans ces bouches tendues. Paul est le seul qui conserve quelque chose de révolutionnaire dans la pose et dans l’habillement. Mon oncle a raison d’avoir peur. Sur les fronts des Mancini, le vent de la Corse est devenu un tourbillon avide de bien-être, un cloaque de déchets urbains. Pourtant, un jeune homme se souvient des rêves de Siscu. Il est le seul qui soit favorable au mariage de Paul. Entièrement absorbé par le cigare qu’il allume, il ne regarde pas l’objectif. Il a la petite cravate de travers, les cheveux décoiffés, les moustaches retroussées. Il est Laurent, un aimable blagueur, selon mon oncle Ghislain.
Sur la photographie, le groupe est disposé en cœur. En haut, au centre de la courbe, là où les amants dessinent les flèches, il y a une femme maigre et osseuse. C’est la sœur la plus âgée : la Douairière. Son prénom, Agathe, est craint et honoré par tous les membres de la famille. Mon oncle l’appelait « la tigresse »…

Claudia Patuzzi

Eugénie IV/IV – Zérus ( le soupir emmuré – n.11)

27 mardi Août 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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amélie, bruxelles, cyrille, eugénie, henriette, Mancini, mémoire, Zérus le soupir emmuré

001_fiocco-neve-740

Eugénie IV/IV, traduction et nouvelle adaptation du chapitre IV de La stanza di Garibaldi, pp. 55-59, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus (le soupir emmuré). Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

 La mémoire d’Eugénie ne ressemblait ni au cul-de-sac de son fils aîné Ghislain, ni au labyrinthe — déformé par les feux d’artifice — d’Henriette, sa fille cadette. Sa mémoire n’était pas horizontale, mais circulaire et géométrique comme un flocon de neige. Elle n’avait pas de vraies directions, mais plutôt des lignes de fuite. Elle n’avait pas de certitudes, seulement des possibilités…
La nuit après les murmures, tout était devenu blanc et silencieux. Les vitres de la chambre de Prosper et Léopold étaient couvertes de buée. La maison plongeait dans le sommeil. Eugénie y repensait à présent avec peur : ils avaient été pris par un besoin frénétique et elle lui avait cédé. Quelques secondes lui avaient suffi pour être déjà amoureuse. Le lendemain matin, quand elle s’était réveillée, la chambre de Léopold était vide. Le lit avait été refait.
— Où est parti monsieur Mancini ? Avait-elle demandé à sa mère.
— Il est parti très tôt, il était pressé. Qu’est-ce que tu as ?
De ce moment-là, elle était devenue l’esclave du temps, elle ne faisait que compter (comptait) les jours et les semaines ou bien elle scandait de folles célébrations solitaires, avec d’étranges contraintes.
« Si je dis cent litanies, il reviendra… Si je m’habille de noir, il reviendra. »
« Si pendant une semaine, je ne mange pas de viande, il reviendra. »
« Si je ne ris plus, il reviendra. »
« Si je ne sors pas pendant une semaine, il reviendra. »
Parmi ces superstitions, elle l’avait inutilement attendu jusqu’au retour des pluies. La nuit, descendait en pleurant dans l’obscurité, devant le miroir. Ou bien elle s’asseyait sur le fauteuil de Cyrille en regardant les rideaux de brouillard éclairés par les réverbères. Deux cernes profonds assombrissaient son regard.
— Tu as vraiment une sale mine, lui disait Amélie, tu dois manger davantage.
Elle se tournait de l’autre côté pour ne pas pleurer. Si par hasard Cyrille parlait de Paul, elle dressait les oreilles, prête à arracher une adresse, le nom d’une rue. Si Amélie revenait de ses courses, elle restait la gorge nouée, le souffle suspendu, dans l’attente de quelque chose.
Un jour, Cyrille ne s’était pas retenu : — Monsieur Mancini vient de s’installer près d’ici…
Elle était sortie en courant, sous la pluie, deux ou trois fois. Mais dans la rue les concierges – en la regardant longtemps avant de lui répondre : « Que cherchez-vous ? » — avaient laissé s’installer un silence plein de sous-entendus…
— On dirait un chien mouillé, avait ri Germaine, en la voyant rentrer.
— Tu as attrapé la scarlatine ? avait ajouté Irma.
Mais Eugénie ne les écoutait pas. Elle se sentait fiévreuse. Elle l’était vraiment, peut-être. À la mi-février, elle commença à aller mal.
— Qu’as-tu, ma chérie ? lui demanda aimablement Amélie en lui portant une tisane de tilleul.
— Je crois que j’ai pris froid, maman…
Un matin, à la recherche d’air, elle avait mis une robe de chambre pour aller dans le jardin. D’un coup,  elle avait entrevu Paul, debout, à demi caché derrière le lierre, en train de lui sourir.
En peu de temps, elle avait repris des couleurs et commençait à reprendre du poids. Cela était bien compréhensible : ils faisaient l’amour tous les jours. L’après-midi et parfois le matin. Elle s’éclipsait avec une excuse hors de la maison ou profitait de l’obscurité du petit jardin. Il l’attendait derrière la grille qui grinçait à peine et elle se glissait dans la maison voisine. Il ne restait que quelques feuilles de lierre coupées.
— Ce lierre ne vaut rien, renâclait Amélie qui, matin et soir, ramassait les feuilles mortes.
Durant un mois entier, elle avait été heureuse. Si Cyrille invitait Paul à dîner, elle faisait semblant de le connaître à peine, improvisant des conversations cultivées et plaisantes. Si Amélie avait l’intuition de quelque chose, elle répondait à ses questions avec une imprécision étudiée, dissimulant son anxiété sous l’apparence de l’ennui.
— Sors, amuse-toi, lui disait sa pauvre mère, qui ignorait tout. Elle s’échappait dans le petit jardin. Le lierre tremblait sous ses mains d’enfant. Un frémissement morbide envahissait l’air de l’appartement tandis que Paul la serrait contre lui. « Cela ne finira jamais… », pensait-elle, en chassant les mauvaises pensées.
Un matin de mars elle avait eu la nausée.
— Tu te sens mal ? lui avait demandé Amélie.
— Ce n’est rien. Juste un peu l’estomac…
Un jour de la troisième semaine de mars, tandis que Paul dégrafait son corsage, elle s’était donnée du courage et lui avait dit à brûle-pourpoint :
— Je n’ai plus mes règles, je suis enceinte.
Dès lors, elle ne l’avait plus revu. Des mois étaient passés. Le petit jardin d’à côté était désert et la petite porte fermée à clé. Son ventre avait grossi. Cependant, personne ne s’était aperçu de rien.
Aux premiers jours d’octobre, elle ne pouvait plus se cacher pour esquiver le regard de son père. Ses dimensions étaient telles qu’un vendredi Cyrille demanda à sa femme :
— Est-ce qu’Eugénie va mal ? Les titres dans lesquels il avait investi s’étaient écroulés et son esprit était vide.
Sa femme répondit péniblement, baissant les paupières :
— Non, Cyrille, non…, tandis que son mari, glacé, conscient désormais de ce qui s’était produit, détournait le regard.
— Mon Dieu, alors c’est vrai ? Comment avez-vous pu ?
Ce furent les dernières paroles qu’Amélie entendit de Cyrille avant la naissance de l’enfant.

_001_Eugénie def 740

Eugénie Balthasar

Claudia Patuzzi

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