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La petite tasse (Zérus – le soupir emmuré n. 73)

06 vendredi Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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caprera, ghislain, Giuseppe Garibaldi, luglio 1928, Macerata, Marche, Nino, Santina, voyage en Italie, Zérus 73, Zérus le soupir emmuré 73

001_Museo_Garibaldino_di_Caprera_2Sardaigne, île de Caprera: la maison-musée de Giuseppe Garibaldi
(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

La petite tasse  n. 73, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 280-283, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Ghislain rêva d’un rocher solitaire, un avant-poste frappé par la force de la Méditerranée, allant à la dérive comme un radeau parmi les courants. C’était l’île de Caprera. Il se trouvait dans le village peint en blanc de Garibaldi, entre la commode, les tasses de porcelaine, un voilier en bouteille et son dernier fauteuil. Il sortit dans l’air battu de violentes rafales et vit un moulin, un four et le pin ondoyant par le vent ; puis la charrue, l’établi du menuisier et la barque et, sous les pins sauvages et les palmiers nains, un monument tapageur : une triste tombe de granit où une étoile était gravée. « Pourquoi ne m’a-t-on pas brûlé sur un bûcher d’aloès et de myrte ? » protestait la voix de Garibaldi du fond de la pierre. Ghislain prit entre ses mains un tas de terre friable, moelleuse et blanche. Il resta un instant à écouter si par hasard une plainte ne jaillissait pas de cette terre, puis la jeta en l’éparpillant.
Le lendemain, quand il se réveilla, il était tard et il avait froid. Il serrait encore la petite  tasse.
— Je te remercie mon Dieu, elle est intacte, murmura-t-il.
Près de lui, il y avait le tableau d’Icare et la lettre froissée de sa mère. « J’emmènerai à Bruxelles tout ça ».
Il s’arrêta haletant au milieu de la chambre. « Caprera ? C’était l’île où Garibaldi était allé pour y vivre et y mourir… Niba m’avait dit… »
« Qui est-ce ? Qui était-ce ? » Le même craquement de bois, le même pas léger.
Il ouvrit la porte. Personne. Rien qu’une jupe soulevée par le vent.
« Peut-être… »
— Maman, maman ! s’écria-t-il.
Trois fois, il essaya de l’embrasser, trois fois elle fuit cette étreinte.
— Où es-tu ? murmura-t-il. Le couloir était vide. Le soleil entrait violemment en créant de fausses portes de lumière vers l’Au-delà.
— Ghillino ?
« Qui m’appelle ? »
Il vit une chose accroupie sur le côté droit, près de l’embrasure de la porte. Derrière un tissu noir, il y avait Nino, les yeux pleins de larmes.
— C’est toi, Nino… pourquoi pleures-tu ?
— Parce que tu hurlais « maman ».
Ghislain ne parvint pas à répondre. « Ai-je vraiment vu ma mère ? »
— Moi aussi j’ai perdu ma mère, sanglotait Nino s’essuyant le nez avec le bras.
Ghislain resta pétrifié. « Leur mère… »
Nino changea d’expression. Ses yeux brillaient à nouveau.
— Tiens, Céleste t’envoie la soutane et le chapeau. Maintenant, ils sont propres.
Ghislain prit cette robe pliée avec soin, ce chapeau luisant comme un rapace endormi…
« La Règle, j’ai oublié la Règle ! »
— Voilà tes chaussures bien nettoyées ! Nino lui montrait des brodequins de cuir plus brillants que ses cheveux. Les chaussures du grand-père Cyrille. Ghislain les regarda avec haine.
— Viens, entre…
— Henriette est dehors avec ses amies.
— Et toi ?
— Je ne sais pas quoi faire. Après avoir flâné autour de l’homme de bois, Nino se hissa sur la pointe des pieds et posa le tricorne sur sa tête.  Il lui manque une plume, dit-il, en le remettant à sa place. Ah, j’oubliais, tu dois me donner la robe de chambre de papa, sinon il va se mettre en colère !
Ghislain enleva la robe de chambre et resta en maillot de corps et caleçons.
— Comme tu es drôle !
Ghislain aurait voulu chasser ce petit frère infernal. Cependant…
— Ne t’en va pas, lui dit-il, j’ai une petite faveur à te demander. Tu ferais cela pour moi ?
— De quoi s’agit-il ?
— De l’oncle Bartolomeo. Tu sais qu’il reste toujours à travailler, dans sa chambre là-haut ?
— Grand-mère ne veut pas. Parfois, il y dort jusqu’à l’aube en faisant brûler des essences qui puent.
— Tu peux lui amener cette petite tasse ?
— À quoi ça sert une tasse vide ?
— Amène-lui ça, je t’en prie.
— Que dois-je dire à Bartolomeo ?
— Donne-lui la tasse, dis-lui que c’est moi qui l’envoie et qu’il me fasse savoir. Rappelle-lui que je dois partir bientôt.
— J’y vais.
— Tu me le promets ?
— Je te le promets, Cellino.
— Prends aussi cette robe de chambre !
En un éclair, Nino avait disparu dans le couloir.

002_Ghislainseduto180 - Version 2

Ghislain (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Ghislain se retrouva seul. Il leva le bras et laissa glisser la soutane sur son visage. Il sentit l’étoffe effleurer ses paupières et tomber sur son corps comme un suaire. Il prit les deux rabats qui restaient sur la commode et les boutonna sur son col, puis il prit le tricorne sur le mannequin de l’homme mort et le posa sur sa tête. « Mon Dieu, il m’étouffe ! Ai-je déjà perdu l’habitude ? » Il agita ses jambes nues dans la soutane. L’air lui caressait les fesses et les cuisses. Seuls ses pieds sortaient de ce cilice mortel. « Demain, je dois partir, je dois rentrer à l’Institut… »
— Tu veux du café ?
Santina était sur le pas de la porte. Elle portait un tablier à manches courtes et sa poitrine, couverte de taches de rousseur, débordait copieusement de son soutien-gorge.
Ghislain sursauta de peur, puis chuchota : — Oui, merci… en essayant de se couvrir les pieds sous le bord de la couverture rouge.
— Pourquoi as-tu honte, petit curé ? dit-elle en riant. Elle avait posé la tasse sur la commode.
« Qu’est-ce qu’elle veut ? Quel âge a-t-elle ? Vingt ans peut-être… »
— Je te fais une photo ! Santina prit une boîte noire et lui fit un clin d’œil. C’était l’appareil photo d’Ettore.
Ghislain la fixait interdit.
— Va sur le lit, près de Garibaldi, ricana la jeune fille, en le poussant sur le catafalque rouge. Monte !
Ghislain se retrouva à genoux devant l’image en papier de Garibaldi, qui semblait approuver d’une grimace cette mise en scène.
Clic ! — Et voilà !
Maintenant, Santina était devant lui, les mains sur les hanches. Elle continuait à rire et à parler : Bois le café, mon curé, cela te fera du bien. Tu es tout fripé. Elle caressa avec le pouce, de haut en bas, la naissance des seins. Elle fit un pas et murmura : Tu n’es pas comme cet effronté d’Ettore.
Ghislain recula vers la tête du lit. Son corps basculait en arrière. Il posa les coudes sur la couverture rouge :  — Arrêtez-vous, je vous en prie… Le souffle qui sortit de ses lèvres était à peine audible. Il regarda le buste de Garibaldi. On entendit le héros donnant les ordres pour ce énième combat : «  Bon courage ! »
Santina avança à nouveau et lui sourit : C’est un vrai asile de fous, ici, mais l’amour ne finit jamais !
Elle était désormais sur lui. Après avoir relevé sa robe sur ses cuisses, sa main petite et calleuse se glissa furtivement sous la soutane de laine brute.
— Tiens-toi tranquille, curé… Santina est avec toi. Elle te veut du bien. Ainsi va la vie ! Tous les chagrins sont finis…
Ghislain sentit une forte odeur d’eau de Javel et vit la main de la jeune fille saisir l’organe innommable et onduler sur lui comme si elle dansait. Il sentit son sang bouillonner et s’engorger de manière incontrôlable dans les recoins secrets et interdits de son ventre, tandis que l’objet suprême du péché durcissait comme un bâton de chêne, avant d’exploser.
— Pauvre garçon, qu’est-ce que tu fais ? On dirait un chat en chaleur !
Il retomba à la renverse sur le lit, serrant avec les mains le pan de sa soutane. D’un coup, Santina se détacha de lui en s’essuyant les mains sur le tablier. Elle baissa sa jupe, ferma un bouton en disant :
On a fini curé. Et elle s’en alla tranquille vers la porte. Puis elle se retourna rayonnante : N’es-tu pas content ?

003_manichino 180

Claudia Patuzzi

Le Mura da Sole (Zérus – le soupir emmuré n. 69)

01 dimanche Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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ghislain, giardino, henriette, luglio 1928, Macerata, Marche, Mura da Sole, Nino, Orso, Regina Cohen, Zérus 69, Zérus le soupir emmuré 69

001_quadro-Fata-Iphoto A 180

(cliquer sur la photo pour agrandir)

Le Mura da Sole n. 69, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 264-266, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Cet après-midi-là, Henriette prit la main de Ghislain en lui murmurant à l’oreille :
— Nous allons manger des figues dans un jardin.
— Je ne sais pas ce que c’est.
— Quoi, les figues ? lui murmura-t-elle à l’oreille. En voyant son air désolé, elle ajouta :— Une dame veut faire ta connaissance.
— Quelle dame ?
— Une vraie dame ! Il y a aussi des bicyclettes.
— Je ne sais pas y aller.
Sa sœur lui rit au visage. Puis elle s’engouffra dans l’escalier en bois.
— Fais attention à ne pas te prendre les pieds dans la soutane ! s’écria-t-elle avant de disparaître à l’étage en dessous.
Elle était maintenant au cœur de l’usine de bière.
— Arrête-toi, Henriette ! Ne cours pas si vite ! haletait-il. Le vrombissement des moteurs recouvrait sa voix.
Ghislain n’aimait pas les escaliers et les galeries souterraines de l’usine, les soupentes de bois avec les poutres disjointes, le fracas des embouteilleuses, l’odeur de fermentation de la bière avec ses exhalaisons sucrées d’alcool et d’anhydride carbonique, le sol glissant et toujours trempé par les éclaboussures. Seule la balance en fer l’enchantait, pareille à une vieille guillotine, où se pesaient tour à tour Henriette et Nino.
Sa petite sœur, au contraire, voletait entre les gouttes des chaudières, frôlant les cuves de fermentation et les coins rouillés imprégnés de tétanos de l’embouteilleuse sans se tacher ou se blesser de manière grave. C’était une mangouste à la chasse aux rats et aux serpents, à la recherche d’anfractuosités et de tanièqres secrètes. Elle s’arrêta à mi-parcours : — Cours Ghillino, l’oncle Orso nous attend avec le camion !
« Jésus, où est-elle passée ? Je ne la retrouve plus… »
Un instant plus tard, un casque noir pointa depuis la fenêtre du camion :— Cours ! Monte ! Ghislain eut juste le temps de saisir d’abord la petite main tendue vers lui et puis la large patte d’Orso… le camion le traînait déjà en dehors de la cour.

002_Le Mura da sole 180

Le Mura da Sole: les ramparts sud de Macerata.(cliquer pour agrandir)

Orso portait les lunettes de soleil. Ses cheveux resplendissaient contre la tôle du camion comme du cuir vernissé. Il souriait sans raison. Henriette et Ghislain se retrouvèrent comprimés dans la cabine avec la sensation de piloter un avion. Dans le fracas tourbillonnant des roues, l’Institut et ses souvenirs furent déchirés par le vent, pour s’évanouir dans les fumées du tuyau d’échappement. Arrivé sur une place, le camion frôla le monument de bronze de Garibaldi.
— Celui-ci est le fils d’un démon et d’une sainte, s’écria Orso, avant d’appuyer avec plus de force sur l’accélérateur.
Le camion s’arrêta devant les Mura da Sole :
— Nous voici au bout ! hurla Orso en les jetant brusquement par terre.
— Allons dans le jardin ! s’écria Henriette.

003_giardino Coen 180Henriette dans le jardin de Regina Cohen.(cliquer pour agrandir)

Ghislain resta seul. Le camion était déjà parti et le silence s’étendait sur la route comme un calque. Il sentit la densité étouffante de l’air et un bruit de tambour, un grondement sourd qui martelait en lui. C’était son cœur. Avec un effort surhumain, il atteignit le portail mi-clos. Son ombre le recouvrit entièrement. Avec sa soutane et son chapeau, personne n’aurait pu le distinguer. Pendant plusieurs minutes, il resta immobile sous l’arche, dans la fraîcheur humide de la pierre. Que devait-il faire ? Où était ce jardin ?

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Henriette avec une amie à la campagne.

Claudia Patuzzi

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