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décalages et metamorphoses

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Les livres anciens au Grand Palais-2 (histoires drôles n. 36)

05 mardi Mai 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

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Albertine disparue, Annie Le Brun, Antoine de Saint-Exupéry, Celine, Grand Palais, Léon Tolstoj, Les chateaux de la subversion, livres anciens, Marcel Proust, marquis de Sade, mort à crédit, portraits, résurrection

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(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voilà, me voici de nouveau, toute seule dans le Grand Palais ! Après avoir salué mon amie libraire, je me promène curieuse et indécise au milieu des autres stands comblés de livres, gravures, dessins, petites statues ainsi que d’étranges objets. Un labyrinthe géométrique… quelle direction vais-je prendre ?

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Portrait de Marcel Proust. Crayon gras de couleur et gouache, signé en bas à droite et encadré. (cliquer pour agrandir l’image)

Un aimant invisible m’attire vers une colonne… où pointent les portraits d’écrivains célèbres, réalisés à marqueur de couleur ou gouache…
Je m’approche avec précaution au visage violet foncé : « Bonjour, monsieur Proust ! » Il me regarde un instant, ébahi, avant de commencer à parler à voix basse, comme s’il s’adressait à lui-même : « Tâchez de garder toujours un morceau de ciel au-dessus de votre vie (…), car la force qui fait le plus de fois le tour de la terre, en une seconde, ce n’est pas l’électricité, c’est la douleur. » (1) Juste après ces mots il devient à nouveau silencieux et mélancolique…

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Portrait de Léon Tolstoj, l’incontournable auteur de « Guerre et paix » et « Résurrection ». Gouache de couleur, signée en bas à gauche. (cliquer pour agrandir l’image)

Mais les deux portraits, signés « Nabe« , sont assez différents l’un de l’autre ! Le portrait de Tolstoj est l’opposé de celui de Proust : dans le visage de l’écrivain français, les yeux sont deux puits rêveurs pleins de nostalgie enfantine ; les yeux de Tolstoj, vivement marqués de noir, paraissent, au contraire, renfrognés et pensifs, gonflés de responsabilités et, en même temps, imprégnés d’une force retenue… Aux moustaches bien soignées, à la bouche rouge et voluptueuse de Marcel, s’oppose la longue barbe fourchue du créateur de Pierre Bézukov et du prince Andrëj, partagée dans un dilemme insoluble : « pourquoi y a-t-il autant d’injustice dans ce monde ? »  Des reflets métalliques dessinent une auréole marron sur sa tête chauve, tandis que le visage d’enfant de Proust s’effondre mollement contre un rideau céleste aux nuances blanches : celui des rêves ? De ses souvenirs perdus et retrouvés ? Des odeurs soudainement ressuscitées ?

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Le marquis de Sade: portrait de l’écrivain rédigeant avec sa plume son célèbre texte « 120 journées de Sodome » sur un roulant de papier. Marqueur de couleur, signé en bas à gauche, encadré. (cliquer pour agrandir l’image)

« Quelque chose commence et finit dans le château de Sade. Ce qui finit, c’est l’assujettissement de l’objet à l’idée, mais en même temps l’asservissement de l’imaginaire à l’ordre du monde. Ce qui commence, c’est une suspicion infinie des apparences et à travers le plus dangereux jeu de miroirs la rencontre de la couleur noire. » (3)

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Antoine de Saint-Exupéry: portrait de l’écrivain à la cigarette. Marqueur de couleur, signé en bas à droit, encadré. (cliquer pour agrandir l’image)

Qui n’a jamais lu « Le Petit Prince » ? Moi, par exemple ! Je l’ai découvert tard, à Paris, tout de suite après mon déménagement de Rome… et cela a été foudroyant, comme un miracle. Je l’ai lu en italien et en français et j’ai vu la vie et le monde se coaguler dans un seul mot. J’ai compris la valeur de la simplicité. La chaleur du don sincère. L’ardeur de la solidarité. La présence puissante et discrète de cet homme volant, sincère et courageux, disparu un jour dans les abîmes de la mer. Une mort mystérieuse qui rend encore plus grand son message poétique et humain. Un conseiller précieux ainsi qu’un poète visionnaire de nos temps… comme le « Petit Prince » ou le sourire des enfants.
Je me souviens de ces mots : « Nous ne demandons pas à être éternels, mais à ne pas voir les actes et les choses tout à coup perdre leur sens. Le vide qui nous entoure se montre alors… » (4) Vol de nuit, éditions Gallimard, p.163

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(cliquer pour agrandir l’image)

Voilà enfin de l’écrivain Louis-Ferdinand Céline (nom de plume de Louis-Ferdinand Destouches) dans son portrait à la cigarette. Les reflets de la structure métallique du Grand Palais se projettent sur le verre, en dessinant une espèce de cage verte… Miroir de l’angoisse de cet homme compliqué ? Céline me regarde en biais, avant de me susurrer : « mon véritable tourment c’est le sommeil ! Si j’avais toujours bien dormi, je n’aurais pas écrit une seule ligne. » (5)

Claudia Patuzzi

(1) « Albertine disparue », dans « À la recherche du temps perdu« , vol. 15, Marcel Proust, éd. Gallimard, 1946-1947, chap. 1 (« Le chagrin et l’oubli »), p. 70

(2) Résurrection, Léon Tolstoï (trad. Teodor de Wyzewa), éd. Perrin, 1900, chap. V, p. 69 (texte intégral sur Wikisource)

(3) Les châteaux de la subversion, Annie Le Brun, éd. Garnier Frères, coll. Folio Essais, 1982 (ISBN 2-07-032341-2), partie I, Un rêve de pierre, p. 80Sade :

(4) Mort à crédit, éd. Gallimard Folio, 1952, p. 17.

Les livres anciens au Grand Palais (histoires drôles n. 35)

28 mardi Avr 2015

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

≈ 5 Commentaires

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dessins, Giacometti, Grand Palais, Jacques Léchantres, Les ingenus, livres anciens, livres de A à Z, Paris, Simenon, Verlaine

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Il y a deux heures, j’ai eu la force d’abandonner le chaos de mon bureau, les blocs-notes, les stylos, les feutres, les attaches, la corbeille qui déborde, les romans « in fieri »… et, surtout, le regard inquisiteur et légèrement mélancolique de mon Giacometti… Il me suffit de lever pendant un instant les yeux au-dessus de l’ordinateur pour entendre distinctement sa pensée : « Qu’attends-tu ? Au Grand Palais, l’exposition des livres anciens est en cours… Dépêche-toi, avant que tout cela ne disparaisse ! »
Peu de temps depuis, me voilà, juste en face de l’entrée… Une amie libraire nous attend !

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Avant d’entrer, je lève la tête vers la grille en acier brodé, surmontée par des décors en pierre beige, souple comme la mie du pain… De ses petites mains rondes, un enfant grassouillet est en train de modeler un vase jusqu’à l’ébauche d’un visage qui pourtant n’affiche pas un air vraiment satisfait…

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Le regard du guichetier me gêne… ses yeux me fixent longuement d’un air méfiant, jusqu’à ce qu’il décide de ranger mon sac à dos en échange d’un billet… Et l’enfant grassouillet ? Aura-t-il fini de gâcher son vase ?

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 (cliquer pour agrandir l’image)

Je viens juste d’entrer et voilà qu’un homme à la grande paille, arborant une physionomie orientale, époussète les baies vitrées et les affiches… Sa silhouette est dépourvue de poids et d’épaisseur : est-ce qu’il est le génie des lieux ?

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Un policier est là pour toute émergence, à disposition du public… Un autre « défenseur » à la présence discrète, prêt à glisser sur la pointe des pieds, devenant lui aussi presque invisible…

006_stand-180Stand librairie « de A à Z » (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Je marche en direction du petit stand de notre amie libraire, au bout du couloir de gauche, juste en deçà de l’espace recouvert de velours rouge qu’on a consacré aux conférences et aux exhibitions des joueurs de clarinette…

007_Beatrice_180( cliquer sur l’image pour l’agrandir )

« La voici, finalement ! Je te vois ! Tu vas bien ? »
« Je crois que oui, je suis encore sur la brèche ! Le livre papier, le livre physique de toujours, il doit résister, pour qu’on puisse le feuilleter avec délicatesse et passion à la fois… il doit serrer le passé par la queue pour ne pas se faire oublier ou absorber dans le confus univers numérique… »

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Stand  de livres ( cliquer pour agrandir )

Béatrice nous accueille dans un parallélépipède en bois blanc, rempli d’étagères comblées de livres anciens… je m’approche pour les effleurer, quelque chose pourtant repousse ma main… puis je m’aperçois que tous ces livres en relief n’existent pas. Ce n’est qu’une illusion, une fausse piste : un trompe-l’œil en bois peint… D’ailleurs, les livres ne sont-ils pas cela aussi ? N’ouvrent-ils pas des mondes possibles, des univers inconnus, des espoirs inattendus ? Ou alors des horreurs qui reflètent nos cauchemars ? La force de la « bonne » écriture transforme chaque détail en un micro-univers et chaque rien en un « tout ». La rêverie en est la levure.

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(cliquer pour agrandir)

« Viens », dit Béatrice, « viens voir mon stand, mon Simenon et mon Verlaine… »

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Recuil : Fêtes galantes – Jadis et naguère, Paris, Éditions  de Cluny, 1939, ornés de 20 dessins originaux de Jacques Léchantres.  (cliquer pour agrandir l’image)

Voilà le septième poème de Paul Verlaine : « Les ingenus »…

Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! – et nous aimions ce jeu de dupes.

Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c’était des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.

Le soir tombait, un soir équivoque d’automne :
Les belles, se Pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.

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Capitaine sur un transat (cliquer pour agrandir l’image)

…et le petit livre de poèmes illustrés, où le marin, ou mieux le capitaine en personne, allongé sur un transat, est en train de lire, tout en fumant sa pipe… Je lis les quatre vers en gras dans la page à côté… et tout de suite je me sens renaître. Des vers anciens ? Pas du tout ! La vraie poésie ne connaît pas le temps qui passe… l’écriture non plus. Elles ignorent tout à fait la vieillesse. Ce quatrain est dense de vie et d’expérience, comme ce capitaine qui préfère savourer sans hâte sa pipe et voyager déjà, poursuivant la fantaisie d’une histoire, d’un récit, d’un sonnet parfumé d’oranges glacées, avant que son vaisseau lève l’ancre en direction de terres inconnues et dangereuses. Serait-ce quoi la vie, si l’on ne profite pas des petites choses avant que la tempête éclate ?

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Sous la voûte (cliquer pour agrandir l’image)

Claudia Patuzzi

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