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Saint Nicolas (Zérus – le soupir emmuré n. 44)

04 lundi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Le cimetière militaire allemand de Langermark avec la fosse commune où sont enterrés 24.917 soldats très jeunes, dont près de 8.000 n’ont pas été identifiés: au total 44.000 morts.

Saint Nicolas I/VII n. 44, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 177-179, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Toutes les guerres sont stupides, mais elles ont cette qualité commune : tôt ou tard, elles se terminent, par fatigue ou par désespoir. La Première Guerre mondiale aussi s’acheva un jour.
L’Europe chassa les vers de la guerre en devenant une monstrueuse termitière dévastée par un incendie volontaire. La Belgique aussi lécha ses blessures sans parvenir à les compter. Toutes les villes avaient été meurtries par les Allemands à l’exception de Furnes, siège du gouvernement, et de la précieuse Malines, dont la beauté fut à tel point défendue par le cardinal Mercier qu’elle resplendissait, inviolée même dans l’esclavage. Mais le destin, aveuglé par la colère humaine, avait voulu frapper différemment ailleurs. Les murs de Liège s’étaient effondrés. Namur avait été incendiée et saccagée et les eaux souterraines de la Lesse avaient vomi les corps de ses martyrs. Même Anvers, défendue par la dague affilée de Brabo, avait été longtemps assiégée puis dévastée. La bibliothèque de Louvain avec ses deux cent trente mille volumes avait été dévorée par le feu. À Charleroi, la Sambre s’était teintée de rouge. À l’emplacement de la courageuse Dinant, il ne restait qu’une étendue de ruines fumantes tandis que la pauvre Ypres comptait trois cent mille morts. À Langemarck, dans un lambeau de terre que le givre recouvrait comme un linceul, l’Allemagne aussi continuait à pleurer les plus jeunes de ses victimes.

Koblenz, Soldaten ¸berqueren Rheinbr¸cke

En octobre, la controffensive de Foch avait réussi à enfoncer les dernières positions allemandes en les contraignant à se replier sur le Rhin. Le 11 novembre, à onze heures du matin, dans une accalmie, une voix communiqua la fin du conflit. Le massacre était fini et tous, vainqueurs et vaincus, crièrent en chœur : « Et maintenant ? »
D’abord, on s’occupa des morts. La Sorcière broyeuse d’os avait dévoré neuf millions d’êtres humains. Prosper Balthasar faisait partie des quarante mille soldats belges qui n’avaient plus le privilège de penser. Irma avait disparu d’un coup, avec des milliers de civils, laissant sa baguette magique à ses petits enfants pour se retirer au fond d’un lac gelé. Madame Slutter aussi avait atteint l’obscurité de Dite en glissant à la première occasion dans une flaque profonde de trois mètres. Avant de mourir, elle avait dit : « Wat ick vervolghe, en geraecke daer niet aen : ick pisse altyt tegen de maen ! »[1]. La sagesse de cet avertissement — il ne faut pas nourrir d’aspirations trop hautes — expira avec elle.
Seuls Cyrille et Niba parvinrent à vaincre la violence de l’Exterminatrice.
Quand le corps larvaire de Cyrille Balthasar, volant comme un fantôme sur Steenstraat, vit les iris bleus de Prosper dévorés par les insectes, son cœur commença à trembler tandis que ses pupilles folles roulaient sur elles-mêmes. En proie à cette douleur cosmique, Cyrille parvint, six mois plus tard, à vaincre le coma et à revivre. À la surprise générale des sœurs du béguinage de Courtrai, il ouvrit un œil et parla.
Niba en revanche avait traversé la guerre avec la même assurance qu’avait Moïse sur la mer Rouge. Torpilles, projectiles, canons, grenades se détournaient sur son passage dans un mystérieux nirvana. De ce tunnel de fer, il était sorti indemne, seul son bras droit avait subi une légère égratignure, tandis qu’Eugénie, Henriette et le petit Nino voltigeaient autour de lui comme des anges dans un tympan.

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La guerre terminée, on compta les vivants et les morts. Le grand vengeur, celui qui pèse les âmes, l’archange Michel se précipita pour diviser les morts en deux groupes : les bons et les méchants. Les anges en bande jouèrent les trompettes du jugement dernier et l’examen des âmes commença en file indienne. Ni hommes ni chiens n’échappèrent à cette division. À Prosper et Irma on donna des ailes d’ange. À madame Slutter, une queue de porc. Aux vivants ne resta qu’une Europe dénudée par un cataclysme et jonchée de cimetières.


[1]  « À quoi que je tende, je ne parviens jamais à l’obtenir : j’urine toujours contre la lune ! », proverbe flamand cité par Brueghel (1559).

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Claudia Patuzzi

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