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La chambre de Garibaldi II/III (Zérus le soupir emmuré n. 65)

27 mercredi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Giuseppe Garibaldi, la brave legion, la chambre de garibaldi, Macerata, Marche, Zérus 65, Zérus le soupir emmuré 65

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La chambre de Garibaldi II/IV n. 65, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.249-254, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionn pour le prix Strega 2006.

— C’est l’heure de te reposer, mon cher. Je te souhaite une bonne nuit. Je vais voir mes étoiles, dit Teresa Amadori, lui faisant signe de s’approcher.
Ghislain inclina la tête vers ses genoux en craignant qu’elle ne disparaisse : — Oui, grand-mère…
Teresa ne répondit pas. Tandis que ses deux fils la soulevaient sur sa chaise du pape, sa jupe glissa sous les doigts de Ghislain.
« Ne t’en va pas grand-mère… » pensa Ghislain, comme s’il s’agissait de sa grand-mère Amélie. Cette fois il ne sentait pas l’odeur des bonbons Milk, il ne voyait pas la fuite d’une mouette, mais une montgolfière de satin et de velours qui volait silencieuse sur les prés, au milieu des limaces, entre les ronces et les branchages, et les cris des duels…
À soixante-six ans, Teresa Amadori conservait encore le don de la légèreté qui lui avait permis de glisser sur la terre comme si c’était la lune. Ce n’était pas difficile de l’apercevoir alors qu’elle courait vers les confins du monde. « Il doit y avoir un autre moyen… », se disait-elle, soulevant chaque pétale à la recherche d’un pourquoi. Quand elle revenait de la Pieve, elle n’était plus la même. Le cou couvert de grenats rouge sombre, la chemise parcourue de colliers de coraux taillés, avec deux boucles d’oreille en or et deux larmes de perles baroques, elle était lumineuse comme une comète…
Quand Ghislain vit la chambre de Garibaldi, il ne comprit pas tout de suite les caprices de Sebastiano, peut-être parce que les volets étaient clos et que les yeux devaient s’adapter à la pénombre. Au début, il ne remarqua rien d’étrange : un grand lit, une armoire, une chaise et une fenêtre. Il allait exprimer sa désillusion quand un flot de sang le frappa comme une gifle. Il regarda autour de lui sans comprendre, puis il sentit le poids de la couleur : une vague sanglante sortait du lit et du mur d’en face en se déversant sur lui… « La chambre de Garibaldi est plus rouge qu’un cardinal de Titien ! » Il ferma encore les yeux à demi, pour mieux voir : de l’autre côté, ce n’était pas du papier peint, mais une étoffe… Juste au-dessus du lit, pendu au mur, un drapeau italien en mauvais état, prêt à prendre son vol avec deux ailes de chauves-souris bicolores, une rouge et une verte. Et cette chose à côté du lit ? Ghislain sursauta à la vue d’une ombre presque humaine… À droite, un petit homme en bois, le torse bombé, soutenait une chemise garibaldienne, couleur géranium, fraîchement repassée. Entre la tête du lit et l’étendard, quelqu’un semblait le guetter : c’était la première feuille d’un calendrier, un portrait peut-être… Était-ce le visage d’un saint ou du Christ ? Ghislain s’approcha pour le regarder et son cœur s’emballa : c’était le corsaire de Taganrog !

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Le héros des deux mondes avec une auréole sur la tête se dressait sur un autel profane. Sur le fond, il y avait une rangée de baïonnettes. À ses pieds, des exvotos républicains en forme de cœur rouge rappelaient les faits d’armes de Palerme et de Marsala, les Milles qui partirent avec lui à la conquête de la Sicile et les jours glorieux de Rome et de Venise :

« Par la grâce de neuf millions de sujets au roi d’Italie »

Au centre de ces cinq cœurs, il y avait une pyramide de boulets de canon sur neuf rangées. Au-dessous de la gravure, il y avait ces mots :« Fils de l’Italie, si vous voulez sécher les larmes infinies de Venise et de Rome, peu vous importe si le prêtre ne chante pas ; voici les cierges et voici le Saint. »
Ghislain observa le buste du héros, blond et barbu, suspendu avec un air austère et rêveur sur un faux piédestal doré. Qu’avait-il dit Niba, à Bruxelles, au sujet de Garibaldi et de l’Italie ? Il se souvint de sa voix lui racontant l’Histoire comme une fable. Dans son récit, Niba avait dit plusieurs fois ce mot : le Petit père.  Garibaldi était un père tout à fait différent vis-à-vis d’autres petits-pères et petits rois. Il fut le seul qui sut conduire la révolte du peuple italien jusqu’à la victoire.
— Ce peuple n’est jamais cruel, parce qu’il ne se sent pas assez trahi. Il lui manque de vrais adversaires. D’ailleurs, il n’a pas su comprendre les qualités de Garibaldi. Il est resté un peuple sans père, condamné à errer toujours !
« Moi aussi j’erre de-ci de-là, sans père. Que dis-je ? Il y a le Pape ! Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le Saint-Père ! Comment pourrais-je me révolter contre un Saint ? »

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— Voilà la chambre où Garibaldi a dormi depuis le 1er janvier 1849, quand il a fondé sa vaillante légion de Macerata ! s’écriait Nino pour le tirer de cette étrange torpeur. Mon arrière-grand-père était un garibaldien avec la chemise rouge !
Henriette interrompit son frère avec le ton d’une moralisatrice: — C’est moi qui dis cela. À ce temps-là, il y avait ici une petite auberge de poste avec un atelier de couture. Garibaldi y vint, accompagné du capitaine Angelo Masina…
— Et de l’homme noir avec la lance, Abujab… continua Nino enflammé, comme si cette figure au manteau sombre se trouvait devant eux.
Henriette l’interrompit :
— Lorsqu’il accepta de dormir à l’hôtel, le Maire ordonna de mettre des lumières dans toutes les rues, sur les balcons et aux fenêtres. Mais ensuite on se comporta mal avec Garibaldi…
Céleste toussa pour montrer sa désapprobation. Au lieu d’entrer dans la chambre, elle était restée à distance respectueuse.
Henriette se tut une seconde, puis, convaincue de sa bienveillance, continua :
— La commune ne voulait pas payer l’hôtel et quand Garibaldi partit il donna à la Légion des chaussures se défaisant comme du papier dans la neige.
— Et Garibaldi attrapa de l’arthrite… continua Nino.
— Et les livraisons de pain étaient toutes pourries ! conclut Henriette triomphante.
— Tais-toi, haleta Céleste, vous avez oublié de dire la chose la plus importante : Garibaldi avant de partir fut élu, par cette ville, député de la Constituante romaine…
— Et les partisans du pape se soulevèrent en criant : Vive Pie IX ! hurla Nino.
— À l’arrivée des carabiniers… soupira Henriette, Garibaldi arrêta de jouer aux cartes, jeta son sabre par terre et calma ses légionnaires emportés…
— Il examina toutes les chambres de l’hôtel, poursuivit Henriette. Il disait : celle-ci est sombre, celle-ci est bruyante, celle-là est un « miserere »… Enfin, il choisit juste cette chambre !
— Il y dormit pendant quatorze nuits, puis il déménagea dans l’ancien couvent, conclut Nino.
— Et pourquoi choisit-il cette chambre ? demanda Ghislain à mi-voix.
Céleste se mêla à la conversation :
— Parce qu’elle était silencieuse. De là un escalier monte jusqu’à la terrasse…
— Les oncles se disputent tout le temps, l’interrompit Henriette. Ils veulent tous dormir ici à tour de rôle. Mais ce sont Sirio et la grand-mère qui décident. Et Orso ne peut pas y entrer seul.
— Ce n’est pas vrai ! continua son frère. Je l’ai vu entrer en cachette et se coucher nu sur le lit avec la chemise rouge.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Céleste essayait de les traîner tous les deux hors de la chambre. Nino continuait de fixer la chemise rouge comme s’il voyait Orso, en train de rire, à la place du petit homme de bois.
— Je le jure…
— Assez ! Céleste le saisit par l’oreille et lui flanqua une gifle. Puis elle se tourna vers Ghislain, respirant avec peine : Si tu as froid, il y a le chauffe-lit… si tu dois faire tes besoins, tu vas au deuxième étage, près de l’entrée il y a les toilettes, sinon sous le lit il y a le pot de chambre… dit-elle avant de disparaître dans l’obscurité de la porte.
Resté seul, Ghislain se tourna vers la fenêtre. Son tricorne était posé sur le petit homme de bois, l’air était immobile et la fenêtre entrouverte. La chemise rouge plongeait dans une poussière dorée… Une fatigue de plomb lui cloua les chevilles au sol. Sans opposer aucune résistance, il se laissa tomber dans ce lac de sang.

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ICI
GIUSEPPE GARIBALDI
EN JANVIER 1849
DEMEURA
ET CRÉA LA BRAVE LÉGION
QUI, TOUT EN REPOUSSANT L’ORGUEILLEUX ÉTRANGER
DÉFENDIT LE 30 AVRIL À ROME
L’ÉTENDARD DE L’ANCIENNE LIBERTÉ
__________________
AU CAPITAIN IMMORTEL
À LEUR DÉPUTÉ À LA CONSTITUANTE
LES HABITANTS DE MACERATA
30 AVRILE 1883

Claudia Patuzzi

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