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décalages et metamorphoses

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Corinne Tibet ( Zérus – le soupir emmuré n. 76 )

13 vendredi Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Bruxelles 1985, Côte du Latium, Corinne Tibet, ghislain, jardin, Lido dei Gigli, Zérus 76, Zérus le soupir emmuré 76

001_Tor Caldara740 - Version 2

Corinne Tibet 76, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 299-302, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Une année s’est écoulée. Je suis de nouveau dans la maison au bord de la mer. J’ai dépassé la grille verte et je parcours l’enclos à l’ombre des feuillages. Je suis de nouveau prisonnière dans le présent éternel des chênes séculaires. C’est de nouveau l’été et c’est le seul jardin où il fait frais en plein juillet à six heures de l’après-midi. Cette fois aussi le temps se répète inépuisablement. Et pourtant, quelque chose a changé. Mon oncle n’est plus. Je ne recevrai plus ses lettres. Je ne serai plus « la petite fée » à qui confier son mystère et dévoiler, avec pudeur, son âme. Depuis que le « fait de Ghislain » s’est éclairci, je sens une brise nouvelle dans l’air, j’entrevois des pas invisibles qui coupent comme des ciseaux le grillage sur le grand pré. Partout — derrière les pittosporums, à côté des chênes —, il y a des passages et des chemins secrets. Partout, il y a l’activité intense de taupes et de lapins, et le frôlement des serpents parmi les fissures et les crevasses. Le jardin va se détruire. Du grand pré sortent des effluves mystérieux. Maintenant, je peux m’enfuir d’ici…
Un son de cloche déchire l’air calme du début de l’après-midi. Un Somalien veut vendre quelque chose.
— Va-t’en, s’écrie Rolando, défendant son enceinte comme un chien de garde. Le Somalien est sur le point de s’en aller, mais une lueur dans le regard l’arrête.
« Orr ! Orr ! » C’est un cri de guerre. Le cri sans espoir d’un autre intrus. Un invisible.
En un instant, le temps s’est arrêté. Je me dirige comme un automate vers le jardin à l’anglaise et longe le parterre de violettes. L’air est devenu gris, le ciel crasseux. Je pense à la vipère transpercée, à l’odeur asphyxiante des gaz d’Ypres et du DDT, à la grille toujours fermée, à l’oubli et à l’injustice qui effacent des vies sans pitié. Je tends une main, puis l’autre, vers ces fleurs fragiles, contre ce petit éden édulcoré… Un sourire, le même que celui de ma grand-mère Eugénie Balthasar, m’effleure les lèvres…

001_Ghis-mare180  - copie

À quatre-vingt-treize ans, Ghislain est mort assisté jusqu’à la fin par Corinne Tibet (1). Déjà à la retraite, quand il l’a connue, il était considéré comme le meilleur des confrères de l’Institut. Ils n’étaient plus très nombreux : les vocations se faisaient toujours plus rares, mais la Mort, elle, n’avait pas changé. Combien de confrères-professeurs étaient morts ? Un très grand nombre. Combien en étaient-ils restés ? Moins d’une quinzaine. Une des premières lettres de mon oncle reflète ce climat de désolation. 

Bruxelles, le 3 juin 1976

Que te dirais-je, ma petite fée ? Que je suis fatigué, paresseux, hanté par le sentiment d’être ridicule ? Je ne sais pas. Cela fait deux semaines désormais que je ne t’écris plus. À l’école, la vie est devenue toujours plus difficile. Nous sommes peu nombreux désormais pour contenir la course effrénée de la société, et les collègues en qui j’avais confiance sont morts. Tous. Quelquefois, au milieu des élèves, je perds mon calme. Je me mets en colère surtout à cause du peu de soin que certains professeurs apportent à la ponctualité, à la discipline, à l’ordre, à la propreté de l’école. Une négligence qui mûrit au détriment des études et de l’éducation des jeunes. Mon école ne ressemble plus à ce qu’elle était avant. Quelle différence ! L’ordre contribuait au succès des élèves. Maintenant vogue la galère, advienne que pourra. Pauvre navire, où va-t-il échouer ?

Un professeur déçu

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Ghislain dans son « appartement ».

À partir de 1985, l’Institut fut verni de blanc et restructuré. L’aile la plus ancienne fut reconstruite avec des pièces vastes et lumineuses destinées aux Frères les plus vieux. À la fin des travaux, Ghislain quitta sa chambrette et déménagea dans son nouvel «appartement ».
Dans cette nouvelle coquille, il apprit peu à peu l’art de profiter du jour présent. Carpe diem ! Maintenant qu’il était à la retraite, il voyait l’Institut avec les problèmes de la modernisation. Il avait Beethoven, Berlioz, Debussy, Mendelssohn, Stravinsky, son fauteuil, la radio, la télévision, les dictionnaires, les mots croisés et ses rêves. Était-il silencieux ? N’était-ce pas beaucoup mieux ainsi ? Il aimait s’habiller de bleu. La chemise blanche. La cravate assortie. Le visage rougeaud et sans rides. Les cheveux blancs et brillants. Il traversait un long couloir, entrait dans l’ascenseur et passait dans l’entrée protégée par de grandes baies vitrées. Il souriait aimablement. Un déjeuner rapide au réfectoire, puis un petit café en vitesse dans un bar. De temps en temps un anniversaire, un enterrement, un voyage à l’étranger. Un coup d’œil furtif en direction de la secrétaire au moment du salaire.
La secrétaire de l’Institut s’appelait Corinne Tibet, elle avait soixante ans ou peut-être plus, elle était très jolie, mais il n’avait jamais daigné la regarder. Le timide frère Iréné se contentait d’un bonjour, d’un bonsoir ou d’un merci beaucoup. Après il retournait dans son appartement, parmi ses euphories musicales et ses souvenirs. Qu’est-ce que la vie pouvait lui offrir encore ? Il avait quatre-vingts ans et en paraissait quinze de moins… mais c’était tard, un peu trop tard pour cultiver un désir impossible…

 Bruxelles, le 16 mai 1985

Et si moi je devais rencontrer « quelqu’un » qui partage mon état d’âme, mes rêves, ma joie céleste de la musique, alors oui, bien sûr, ce serait encore plus agréable. Suis-je étrange ? Un peu idiot ? N’y aura-t-il jamais « quelqu’un » d’assez spécial pour comprendre un vieux fou comme moi ? Et pourquoi se laisser toujours opprimer par les nécessités matérielles, les pensées douloureuses et le souci du lendemain ? Nous devons parfois nous mettre à l’abri des autres et de nous-mêmes, autrement nous serons dévorés. Dommage que je n’ai pas toujours fait ainsi ! Maintenant, je vois clair enfin : il n’est jamais trop tard pour bien faire…

Un épicurien

003_Ghisalinsouvenirs180bn

Cliquer sur les dernières trois photos pour les agrandir.

Claudia Patuzzi

(1) Très récemment, quelques temps après cette publication, j’ai reçu une lettre d’une cousine de mon oncle, Bernadette, que vous pouvez lire ci-dessous, dans laquelle j’ai appris une nouvelle version du déroulement des derniers jours de Ghislain.

14 novembre 2014 16,34

Ma chère Claudia
Édouard vient de m’envoyer ton livre en français. Je l’ai lu en une journée, tant il était passionnant. Pauvre frère Marcel que de souffrance  et pourtant, quand il venait chez nous, il était toujours souriant, et jamais une plainte sur son sort.
Comment des adultes du même sang peuvent-ils être aussi cruels ? J’ai honte pour eux. La misère peut être très grande ! mais il doit toujours y avoir une place pour l’orphelin.
Ce qui est drôle, c’est qu’aujourd’hui, la famille est une vraie mosaïque de couleurs : J. est quarteron ; C. à 2 enfants sans père (non reconnus par leur père) et la dernière est colombienne  !!! D. a 2 enfants eurasiens, dont le grand-père est luxembourgeois et la grand-mère hongroise. Mes tristes aïeux doivent se retourner comme des crêpes dans leur tombe ! ! !
Nous, les enfants, nous savions que frère Marcel gardait un secret (honteux) pour la famille, mais nous étions trop jeunes pour comprendre. (On ne connaissait même pas le terme « bâtard » !)
Ce que tu ne sais peut-être pas, c’est que c’est l’hôpital Saint-Jean de Bruxelles qui nous a téléphoné pour nous avertir que frère Marcel était en clinique. Arrivés, André et moi, à Saint-Jean, on entendait, dans l’indifférence générale du personnel, frère Marcel crier de douleur. André a directement cherché une infirmière qui lui a dit qu’elle avait reçu l’autorisation de commencer les soins palliatifs, mais que le médecin avait oublié de signer cette autorisation ! ! ! C’est l’infirmière en chef qui a autorisé la première piqure de morphine. Après plus d’une heure de discussion, André a téléphoné au couvent pour qu’un frère vienne passer la nuit près de lui. Il lui fut répondu que frère Marcel était un « douillet »
C’est donc moi qui suis restée et André est parti à Waterloo pour s’occuper des 4 enfants. Une très gentille dame (2) a téléphoné 2 fois, mais frère Marcel était déjà dans le coma. À 2 h du matin je me suis réveillée en sursaut. J’ai senti un « changement » que je ne peux expliquer…
J’ai cherché l’infirmière. Inconscient, frère Marcel est mort à ce moment-là me tenant la main.
Ces souvenirs me sont revenus quand j’ai appris, par ton livre, l’amour d’enfant qu’il portait à maman. Il est mort tenant la main de sa fille. Encore merci pour ce beau cadeau. J’espère vous voir bientôt. Je vous embrasse tous.

Bernadette

(2) Probablement Corinne Tibet.

Henriette II/III (Zérus – le soupir emmuré n. 3)

30 dimanche Juin 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Bartolomeo Veneto, belgique, bruxelles, chambre de garibaldi, ghislain, guerre 1915, jardin, labyrinthe, mémoire, Sain François, Zérus le soupir emmuré

01_San Franc- 740

Saint François qui parle aux oiseaux.

Henriette II/III, traduction et nouvelle adaptation du chapitre II de La stanza di Garibaldi, pp. 19-21 Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus (le soupir emmuré). Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

En ce moment-ci je viens de franchir le portail vert avec le petit toit de tuiles rouges. Je salue Saint François avec un faux courage, tandis que la lame affilée du tropique commence à briser mon âme en deux. Après cette frontière, je commence un voyage à rebours dans le temps et, tout à coup, je fais partie d’un système fermé et complet : la fille, le père et la mère.

Je traverse au pas de course le petit sentier qui mène à la véranda et je transfère tout de suite la valise et l’ordinateur dans ma petite tour. J’ouvre le paquet, je pose la petite tasse à café et les trois fragments sur une étagère à côté de la fenêtre. Je mets les photos aux murs. Je sors les rames de papier, j’allume l’ordinateur et je taille mon crayon. Le parfum du café d’orge me réchauffe la main. Je suis enfin prête à écrire. Mais dehors une voix bougonne. Ce n’est pas Rolando. Il ne parle presque jamais. Il préfère le langage des gestes. D’abord, il fauche et il ratisse. Après il s’occupe du jardin et de la dératisation. Enfin, il se plonge dans le rite de l’incinération. La voix que j’entends a en revanche le ton d’une plainte capricieuse. Il n’y a aucun doute, c’est elle. Je la reconnais. C’est la voix de ma mère qui répète à loisir, sans s’arrêter :

— Mais qu’est-ce que c’est que cette machine ? Cela ne sert à rien, ils sont tous morts.

À ce moment-là, je m’aperçois que la grille est fermée et que je suis prisonnière. D’ailleurs, il fait trop chaud pour écrire. Tandis que Rolando s’affaire dans la cuisine, nous nous faisons face dans la véranda, ma mère et moi. Henriette, ma mère, la fille d’Eugénie Balthasar et sœur de Ghislain, a quatre-vingt-trois ans. Chaque jour, elle perd une infime parcelle de sa mémoire. Toutes les choses, les souvenirs, le monde entier lui échappent sur la pointe des pieds, en faisant à peine grincer la porte.

— Qui est là ? demande-t-elle, effrayée, mais dehors il n’y a personne, à part un rideau de brouillard.

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 Disegno di Claudia Patuzzi

Pauvre maman. Quelquefois, je m’arrête un instant pour regarder son visage égaré derrière le vol joyeux d’un oiseau et je me demande : qu’est-ce que la mémoire ? D’où vient-elle ? Où est-elle ? Le cerveau est-il la mère de la mémoire ? Ou bien la mémoire, comme une cathédrale gothique, représente-t-elle un monde à soi fait de petites briques sans nombre devant lequel le nom de celui qui conçut le projet initial s’est perdu pour toujours ? Ce qui compte, n’est-ce pas le résultat, l’œuvre colossale qui élève ses doigts frêles jusqu’à Dieu ?

La même chose, je crois, arrive à notre mémoire. Chacun de nous a un édifice dans sa tête : ce peut être un gratte-ciel américain, une pyramide égyptienne, une tombe étrusque ou une modeste chambre de bonne. En réalité, quel que ce soit l’aspect de l’édifice, chacune de ses briques est un monde enchâssé dans un autre, semblable et pourtant différent, comme un corail à l’intérieur d’une gigantesque barrière.

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Et si la mémoire suivait un fil semblable à la bave des araignées ? Alors, après les pluies estivales, on s’étendrait parmi les feuilles, les buissons et les arbustes, dans les sous-bois, dans les jardins ou sur les terrasses et là où auparavant il y avait une obscurité confuse, apparaîtrait une trace luisante entremêlée à mille autres labyrinthes. Peut-être que nous aussi nous marchons dans des galeries couvertes de stalagmites, parmi des toiles d’araignée. Voilà ce qui se produit à présent pour Henriette. Elle se perd dans ses galeries hors du temps, où chaque événement est entraîné dans des limbes. Quelques-unes de ses boyaux sont meublées, d’autres dépouillées comme si une terrifiante épidémie était venue y sévir. Certaines des plus anciennes ont un toit voûté et quelques restes précieux du passé, tandis que dans les plus récentes les souvenirs liés au présent errent au gré du vent, comme des fantômes, ne laissant que de faibles traces, pareilles à des voiles déchirées.

Quand je vois ma mère dans la véranda, le regard enchanté dans une soudaine jeunesse, je ne me fais pas d’illusion. Je sais qu’elle s’est arrêtée dans une galerie et qu’elle est en pleine observation.

Henriette essaie de se lever, puis reste immobile en l’air. De quoi se souvient-elle, si sa mémoire s’effondre ? Pourtant, elle semble sourire. En ce moment, elle marche dans un souterrain très ancien… Elle est née déjà et elle se voit en Europe du Nord, à Bruxelles. Elle a seulement trois mois et fixe un trou grand comme une aiguille d’où sort un rayon lumineux. Elle se situe dans un landau. Par ce trou merveilleux, son ennui se volatilise. Elle saisit la petite couverture et bat des jambes en l’air. Un enfant pâle, d’une dizaine d’années, lui parle en français.

— Tiens-toi tranquille Henriette, je suis ton frère et je veille sur toi.

C’est le printemps 1915, la guerre a éclaté. Les Allemands occupent la Belgique et Ghislain devra bientôt saluer sa sœur et sa mère. Mais Henriette, bien sûr, ne peut pas le savoir.

— Quand te reverrai-je ? Quand vous reverrai-je ?

C’est la voix de mon oncle qui remplit ce tunnel comme un écho se propageant dans les autres galeries souterraines. Henriette regarde dans le vide tandis qu’elle prononce le prénom de son frère.

— Ghislain… que lui ont-ils fait ?

Claudia Patuzzi

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Bartolomeo Veneto, Portrait de L’homme-labyrinthe, 1510. Cambridge, Fitzwilliam Museum.

Claudia Patuzzi

006_La paroi aveugle (histoire drôles n. 6)

10 lundi Juin 2013

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

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Borges, boulevard, Fervor de Buenos Aires, Haussmann, jardin, Meridiani Mondadori, traduction

001-La paroir.740

La paroi aveugle (photo de Claudia Patuzzi)

Un jour, dans mes vagabondages sans parapluie,  je suis tombée sur cette paroi tranchée, haute et large comme une tour du Moyen-Age, qui se rétrécit de plus en plus vers le ciel.
Ella s’élève au-dessus de moi en toute sa violence. De son apparence au debout de temps, – il y a cents ans ou plus –  ne reste que ce mur scié par un couteau comme  une tranche de gâteau. Une blessure absurde.  Un château de sable  détruit avec un coup de main par un enfant gâté.
Maintenant de tout ça il ne reste que  cette triste surface de briques, suspendue dans le vide, sans fenêtres, sans balcons, sans êtres humaines. Un mur « emmuré ».

Ces parois amputées, comme des bras ou des  jambes gangrenées, sont les enfantes illégitimes des immeubles d’Haussmann qui côtoient pompeux le boulevards. Ces obscènes cicatrices  sont les résultats des démolitions urbaines  réalisées dans les vieux quartiers, dicteés par une rationalité, aussi pratique qu’inexorable. Grace à cette « rationalité » les voitures peuvent circuler sans risquer  l’embouteillage. Mais le mur, comme beaucoup d’autres, est toujours là qui nous regarde, avec son impitoyable amputation.

002_Paroir_740

La cigogne (photo de Claudia patuzzi)

Mais qu’est ce que il y a au dessus sur la gauche ?Il me semble qu’il y a quelque chose… mais oui, c’est un cigogne au bec orangé qui grimpe avec ses ailes blanches vers une cheminée imaginaire. Peut-être elle est en train de chercher un petit enfant.
Quelqu’un, ayant de la pitié envers ce mur nu et vide, a peint ce petit miracle… Mais où regarde le mur ?

Je me retourne et j’ai une surprise inespérée. Juste devant le mur, derrière une grille peinte en vert, il y a un petit jardin à coté d’une église avec un arbre vert et or, envahi par des pigeons avides.

Çà me rappelle quelque chose…
La fable de la Belle et la Bête ?
Ou alors que le villes sont des cartes changeantes, toujours différentes de notre vie et de celle des autres ?

003 L'albero d'oro740

Le jardin avec l’arbre vert et or (photo de Claudia Patuzzi)

Cette grille et ce jardin me rappelle une poésie de Jorge Luis Borges (1899-1986), titrée « Llaneza », c’est à dire « Simplicité », une texte apparue en « Fervor de Buenos Aires », (1923), où « La prose vit avec le vers » écrit Luis Borges dans la Dédicace au lecteur en 1974,  dans la collection I Meridiani  Mondadori. Voilà trois versions de la poésie: en espagnol, en français et, enfin, en italien.

1. Llaneza

 Se abre la verja del jardin
con la dicilidad de la pagina
que una frecuente devocion interroga
y adentro las miradas
no precisan fijarse en los objetos
que ya estan cabalmente en la memoria.
Conozco las costumbres y las almas
y ese dialecto de alusiones
que toda agrupacin humana va ordiendo.
No necessito ablar
ni mentir privilegios ;
bien me conoscen quienes aquì me rodean,
bien saben mis congojas y mi flaqueza.
Eso es alcanzar lo mas alto,
lo quel tal vez nos dara’ el Ciel :
no admiraciones ni victorias
sino sencillamente ser admitidos
como parte de una Realidad innegable,
como las piedras y los arboles.

2. Simplicité 

La grille du jardin s’ouvre
Avec la docilité d’une page
Qu’interroge une fréquente dévotion.
J’entre dans la maison,
Et à l’intérieur les regards
N’ont pas besoin d’observer les objets
Qui sont déjà totalement dans la mémoire.

Je connais bien les habitudes et les âmes
Et ce dialecte d’allusions que va tissant
Tout groupement humain.

Je n’ai pas besoin de parler
Ni de feindre de privilèges ;
Ils ne m’ignorent pas ceux qui m’entourent,
Ils savent bien mes angoisses et ma faiblesse.

C’est là toucher à ce qu’il y a de plus haut
A ce que peut-être nous donnera le Ciel :
Non les admirations ni les victoires
Mais simplement d’être admis
comme une partie de la Réalité indéniable,
comme les pierres et les arbres.

004 SILouis Borges_740 2

3. Semplicità (in « I Meridiani Mondadori » , I vol. p.65 )

Si apre il cancello del giardino
con la docilità della pagina
che una frequente devozione interroga
e all’interno gli sguardi
non devono fissarsi negli oggetti
che già stanno interamente nella memoria.
Conosco le abitudini e le anime
e quel dialetto di allusioni
che ogni gruppo umano va ordendo.
Non ho bisogno di parlare
né di mentire privilegi ;
bene mi conoscono quelli che mi attorniano,
bene sanno le mie ansie e le mie debolezze ;
Ciò è raggiungere il più alto,
quello che forse ci darà il Cielo :
non ammirazioni né vittorie
ma semplicemente essere ammessi
come parte di una Realtà innegabile,
come le pietre e gli alberi.

P.-S. Avez-vous remarqué quelques différences entre les trois textes? Je crois surtout dans la traduction française, car elle implique toujours un décalage et une métamorphose entre le texte original et sa « transposition » dans une autre langue.
«Traducteur = Traitre.»
Chaque langue est un mystère !

Claudia Patuzzi

006 Cielo e alberi- 740Finalement un ciel azur entre des arbres, un espace ouvert aux rêves!

(photo de Claudia Patuzzi)

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