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décalages et metamorphoses

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Dans la salle à manger (Zérus – le soupir emmuré n.74 )

09 lundi Déc 2013

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Pendola-180

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Dans la salle à manger  n. 74, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 286-291, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Dans la salle à manger, il y avait une longue table rectangulaire. Deux fenêtres donnaient sur la cour. C’était là que les chiens pouvaient se reposer après la chasse avant d’être envoyés en bas. Il y avait aussi une grosse pendule d’acajou, plus grande que la porte d’accès au petit salon chinois.
Ce jour là, vers midi, une intense odeur de bouillon se répandit sur le plafond voûté, s’attarda sur le lampadaire, puis plana comme un faucon sur la pendule en la faisant sonner douze fois.
Assise sur un fauteuil, grand-mère Teresa attendait Ghislain.
— Donne-moi un petit verre d’anisette, dit-elle à Santina, en s’essuyant le nez avec un mouchoir de batiste. As-tu porté le café au Belge ?
La jeune fille fit signe que oui et s’enfuit en cuisine.
« C’est une poulette… », pensa Teresa. « Mon Dieu, comment s’appelait-il ce garçon ? Gustave, Ghillino ? Guillaume ? Ghislain ? Oui, oui, Ghislain. Quel drôle de prénom ! Le pauvre petit ! » Niba ne s’en était pas du tout occupé… il s’était borné à deux présentations et voilà ! Et ce pauvre petit restait toujours seul là-haut, dans cette chambre avec Bartolomeo toujours intoxiqué parmi les cyanures. Sacredieu, que se passait-il là-haut dans la chambre de Garibaldi ? Santina en descendait toujours avec un visage de possédée. Elle la ferait fermer, cette chambre, elle n’en pouvait plus. Où avait-elle mis la clé ? Elle la tenait dans cette boîte en laiton, puis elle disparaissait, réapparaissait, disparaissait de nouveau. Tout le monde allait là-haut et s’enfermait à l’intérieur. Mais qu’avait-il ce Garibaldi ? Un poncho blanc ? Un chapeau avec une plume d’autruche ? Une barbe blonde qui volait au vent ? Des couilles comme ça ? Quarante-cinq au lieu de deux ? Où était-ce la chemise rouge du grand-père Fata ? Paix à son âme… Où était-ce cet immense étendard ?

Vive l’Italie et Giuseppe Garibaldi !

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Henriette et Ghislain à Rome, en face du monument à Garibaldi au sommet du Gianicolo (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

…Elle aimait sa patrie, elle ne pouvait pas rester indifférente vis-à-vis de ce héros malheureux. Mais les enfants passaient plus de temps en haut qu’en bas, ils jouaient avec l’homme de bois, ils se maquillaient de rouge, ils se déguisaient, ils s’échappaient sur le belvédère… Après ils dévalaient les escaliers, ils regrimpaient, ils s’écorchaient les genoux, attirés par cette chambre ensorcelée… où l’on entendait des voix ! Orso y allait en cachette, s’y promenait avec une chandelle comme un embusqué… il avait peur de Mussolini… Lui même l’avait avoué : il allait dans la mansarde à se damner, ce fils endiablé… Et Sebastiano, son préféré ? Il protestait toujours que c’était son tour. « Oui, oui, mon chou, vas-y », lui disait-elle. À Pâques, à Noël, au jour de l’an et à la fête de Saint-Julien Sirio y allait comme à la messe. Clic. Il tournait la clé dans la serrure. Quelqu’un l’avait entendu pleurer jusqu’à vingt-quatre heures d’affilée. « Giuseppe ! » criait-il, « Giuseppe ! ». Qui sait ? Était-il tombé à nouveau amoureux ? Seul Niba était immunisé contre ce fifre enchanté qu’on y jouait. Pendant trois jours et trois nuits, il était resté dans cette chambre-là sans sortir, pour faire l’amour. « Je l’avais dit quand il est né, celui-là c’est un vrai révolutionnaire, il a des yeux tout noirs comme la nuit et vifs comme le jour… Garibaldi, il l’a dans le sang, et à la place du sang il a toute la Méditerranée, une mer d’eau et de sel, et de poissons par milliards ! »
Teresa sentit ses os trembler. Chaque cartilage produisait le son d’une harpe. Et ses petits pieds de verre, fermés dans ses chaussures rigides, étaient sur le point de se briser. Quelle douleur ! Étaient-ce donc là, les trois C de vieux… Chute, Catarrhe et Chiasse ? Non, c’était l’Arthrite! Les rhumatismes et d’autres petites souffrances lui tiraillaient les os et lui déchiraient le cœur. C’était de la faute de la glace. Cela ne s’arrêtait jamais. Jour et nuit, nuit et jour, même le dimanche. D’ailleurs, c’est elle qui l’avait voulu ainsi. On a l’air d’une famille malheureuse qui se plaint tout le temps. « Nous, les Fata, nous sommes foutus ! » À la Pieve il n’y avait pas la glace, il n’y avait pas le fracas des ouvriers et de l’embouteilleuse, le vrombissement du camion et de la moto Guzzi, il n’y avait pas non plus les éclats de rire déments d’Orso. « Pourquoi rit-il toujours, celui-là ? Qu’est-ce qu’il a donc ? » Bien sûr, ce n’étaient pas les fascistes, mais plutôt Mameli, la reine Margherita et le Pape qu’elle portait dans son cœur… Tandis qu’elle savourait son petit verre d’anisette, elle songeait à ce Ghislain qui la rendait un peu nerveuse, elle ne savait pas pourquoi. Qui était-il ? D’où venait-il ? Elle ne l’avait pas encore bien compris…

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Jour de fête à la Pieve (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Teresa n’avait pas encore savouré la dernière goutte d’anisette qu’elle commençait déjà à s’énerver. Elle regarda la pendule à sa droite : midi passé de quelques minutes. Elle repensait à ce prêtre étranger… Que faisait donc ce parent mal élevé ? Pourquoi ne descendait-il pas ?
— Santina, que fait-il, Ghislain ?
— Je ne sais pas, madame. La jeune fille était sur la défensive. Elle rougissait, qui sait pourquoi.
« Bien, c’est une maison de fous. Heureusement que j’ai mes rêves. Aucun de mes enfants ne peut me les voler. »
— Le voici, madame.
À cet instant, Ghislain venait de descendre l’escalier et de passer devant les repasseuses et dans le bureau. Il avait descendu trois marches et maintenant il était là, près de la porte, effrayé comme une andouille, avec sa longue soutane noire. Il ressentait encore des secousses partout dans son corps. Il ne parvenait pas à garder ses mains immobiles. « C’est cela le corps ? Un maudit désobéissant que je n’ai pas su contrôler. Il s’est mu tout seul. Quelle honte ! Et le Supérieur ? Devrais-je confesser cela au Frère directeur ? Jamais. Je n’en parlerai pas… du reste à l’Institut je ne parle jamais ».
— Grand-mère, balbutia-t-il en voyant la gracieuse vieille assise sur le fauteuil avec les pieds en l’air.
— C’est à cette heure-là que tu descends ? lui demanda Teresa en déposant un baiser sur sa tête blonde. Où as-tu mis le chapeau ?
— Je l’ai laissé en haut, murmura Ghislain, les yeux pleins de larmes.
— Pourquoi pleures-tu ?
Stupéfaite, Teresa regardait cette tête d’homme qui pleurnichait dans ses jambes comme un petit enfant de quatre ans.
— Quel âge as-tu ?
— Vingt-trois… parvint-il à dire parmi ses sanglots.
— Voici Tincuta ! dit la petite vieille.
Tincuta bondit sur les jambes de Ghislain et lui lécha le cou.
— Tu vois, mon grand ? Même la chienne t’aime bien.
La grande mère fredonnait avec douceur, jusqu’au moment où la vague de douleur abandonna le cœur du jeune homme, le vidant de toute émotion.
Quand la pendule retentit de nouveau, Teresa se redressa dans une pose matriarcale et s’exclama:
— Aujourd’hui, tu dois aller au cimetière.
— Au cimetière ?
— Les fleurs vont faner. Il fait trop chaud. Elles ont besoin d’eau.
— À quelle heure, grand-mère ?
— Cet après-midi. Tu iras avec Céleste et les enfants.
— De qui est-ce la tombe, grand-mère ?
Teresa ouvrit ses yeux couleur d’herbe et dit mystérieusement : Il y a la mère ! Elle demande de l’eau pour ses fleurs !

giornaleGiardinetto a Macerata - copie

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Claudia Patuzzi

La petite tasse (Zérus – le soupir emmuré n. 73)

06 vendredi Déc 2013

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001_Museo_Garibaldino_di_Caprera_2Sardaigne, île de Caprera: la maison-musée de Giuseppe Garibaldi
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La petite tasse  n. 73, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 280-283, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Ghislain rêva d’un rocher solitaire, un avant-poste frappé par la force de la Méditerranée, allant à la dérive comme un radeau parmi les courants. C’était l’île de Caprera. Il se trouvait dans le village peint en blanc de Garibaldi, entre la commode, les tasses de porcelaine, un voilier en bouteille et son dernier fauteuil. Il sortit dans l’air battu de violentes rafales et vit un moulin, un four et le pin ondoyant par le vent ; puis la charrue, l’établi du menuisier et la barque et, sous les pins sauvages et les palmiers nains, un monument tapageur : une triste tombe de granit où une étoile était gravée. « Pourquoi ne m’a-t-on pas brûlé sur un bûcher d’aloès et de myrte ? » protestait la voix de Garibaldi du fond de la pierre. Ghislain prit entre ses mains un tas de terre friable, moelleuse et blanche. Il resta un instant à écouter si par hasard une plainte ne jaillissait pas de cette terre, puis la jeta en l’éparpillant.
Le lendemain, quand il se réveilla, il était tard et il avait froid. Il serrait encore la petite  tasse.
— Je te remercie mon Dieu, elle est intacte, murmura-t-il.
Près de lui, il y avait le tableau d’Icare et la lettre froissée de sa mère. « J’emmènerai à Bruxelles tout ça ».
Il s’arrêta haletant au milieu de la chambre. « Caprera ? C’était l’île où Garibaldi était allé pour y vivre et y mourir… Niba m’avait dit… »
« Qui est-ce ? Qui était-ce ? » Le même craquement de bois, le même pas léger.
Il ouvrit la porte. Personne. Rien qu’une jupe soulevée par le vent.
« Peut-être… »
— Maman, maman ! s’écria-t-il.
Trois fois, il essaya de l’embrasser, trois fois elle fuit cette étreinte.
— Où es-tu ? murmura-t-il. Le couloir était vide. Le soleil entrait violemment en créant de fausses portes de lumière vers l’Au-delà.
— Ghillino ?
« Qui m’appelle ? »
Il vit une chose accroupie sur le côté droit, près de l’embrasure de la porte. Derrière un tissu noir, il y avait Nino, les yeux pleins de larmes.
— C’est toi, Nino… pourquoi pleures-tu ?
— Parce que tu hurlais « maman ».
Ghislain ne parvint pas à répondre. « Ai-je vraiment vu ma mère ? »
— Moi aussi j’ai perdu ma mère, sanglotait Nino s’essuyant le nez avec le bras.
Ghislain resta pétrifié. « Leur mère… »
Nino changea d’expression. Ses yeux brillaient à nouveau.
— Tiens, Céleste t’envoie la soutane et le chapeau. Maintenant, ils sont propres.
Ghislain prit cette robe pliée avec soin, ce chapeau luisant comme un rapace endormi…
« La Règle, j’ai oublié la Règle ! »
— Voilà tes chaussures bien nettoyées ! Nino lui montrait des brodequins de cuir plus brillants que ses cheveux. Les chaussures du grand-père Cyrille. Ghislain les regarda avec haine.
— Viens, entre…
— Henriette est dehors avec ses amies.
— Et toi ?
— Je ne sais pas quoi faire. Après avoir flâné autour de l’homme de bois, Nino se hissa sur la pointe des pieds et posa le tricorne sur sa tête.  Il lui manque une plume, dit-il, en le remettant à sa place. Ah, j’oubliais, tu dois me donner la robe de chambre de papa, sinon il va se mettre en colère !
Ghislain enleva la robe de chambre et resta en maillot de corps et caleçons.
— Comme tu es drôle !
Ghislain aurait voulu chasser ce petit frère infernal. Cependant…
— Ne t’en va pas, lui dit-il, j’ai une petite faveur à te demander. Tu ferais cela pour moi ?
— De quoi s’agit-il ?
— De l’oncle Bartolomeo. Tu sais qu’il reste toujours à travailler, dans sa chambre là-haut ?
— Grand-mère ne veut pas. Parfois, il y dort jusqu’à l’aube en faisant brûler des essences qui puent.
— Tu peux lui amener cette petite tasse ?
— À quoi ça sert une tasse vide ?
— Amène-lui ça, je t’en prie.
— Que dois-je dire à Bartolomeo ?
— Donne-lui la tasse, dis-lui que c’est moi qui l’envoie et qu’il me fasse savoir. Rappelle-lui que je dois partir bientôt.
— J’y vais.
— Tu me le promets ?
— Je te le promets, Cellino.
— Prends aussi cette robe de chambre !
En un éclair, Nino avait disparu dans le couloir.

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Ghislain (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Ghislain se retrouva seul. Il leva le bras et laissa glisser la soutane sur son visage. Il sentit l’étoffe effleurer ses paupières et tomber sur son corps comme un suaire. Il prit les deux rabats qui restaient sur la commode et les boutonna sur son col, puis il prit le tricorne sur le mannequin de l’homme mort et le posa sur sa tête. « Mon Dieu, il m’étouffe ! Ai-je déjà perdu l’habitude ? » Il agita ses jambes nues dans la soutane. L’air lui caressait les fesses et les cuisses. Seuls ses pieds sortaient de ce cilice mortel. « Demain, je dois partir, je dois rentrer à l’Institut… »
— Tu veux du café ?
Santina était sur le pas de la porte. Elle portait un tablier à manches courtes et sa poitrine, couverte de taches de rousseur, débordait copieusement de son soutien-gorge.
Ghislain sursauta de peur, puis chuchota : — Oui, merci… en essayant de se couvrir les pieds sous le bord de la couverture rouge.
— Pourquoi as-tu honte, petit curé ? dit-elle en riant. Elle avait posé la tasse sur la commode.
« Qu’est-ce qu’elle veut ? Quel âge a-t-elle ? Vingt ans peut-être… »
— Je te fais une photo ! Santina prit une boîte noire et lui fit un clin d’œil. C’était l’appareil photo d’Ettore.
Ghislain la fixait interdit.
— Va sur le lit, près de Garibaldi, ricana la jeune fille, en le poussant sur le catafalque rouge. Monte !
Ghislain se retrouva à genoux devant l’image en papier de Garibaldi, qui semblait approuver d’une grimace cette mise en scène.
Clic ! — Et voilà !
Maintenant, Santina était devant lui, les mains sur les hanches. Elle continuait à rire et à parler : Bois le café, mon curé, cela te fera du bien. Tu es tout fripé. Elle caressa avec le pouce, de haut en bas, la naissance des seins. Elle fit un pas et murmura : Tu n’es pas comme cet effronté d’Ettore.
Ghislain recula vers la tête du lit. Son corps basculait en arrière. Il posa les coudes sur la couverture rouge :  — Arrêtez-vous, je vous en prie… Le souffle qui sortit de ses lèvres était à peine audible. Il regarda le buste de Garibaldi. On entendit le héros donnant les ordres pour ce énième combat : «  Bon courage ! »
Santina avança à nouveau et lui sourit : C’est un vrai asile de fous, ici, mais l’amour ne finit jamais !
Elle était désormais sur lui. Après avoir relevé sa robe sur ses cuisses, sa main petite et calleuse se glissa furtivement sous la soutane de laine brute.
— Tiens-toi tranquille, curé… Santina est avec toi. Elle te veut du bien. Ainsi va la vie ! Tous les chagrins sont finis…
Ghislain sentit une forte odeur d’eau de Javel et vit la main de la jeune fille saisir l’organe innommable et onduler sur lui comme si elle dansait. Il sentit son sang bouillonner et s’engorger de manière incontrôlable dans les recoins secrets et interdits de son ventre, tandis que l’objet suprême du péché durcissait comme un bâton de chêne, avant d’exploser.
— Pauvre garçon, qu’est-ce que tu fais ? On dirait un chat en chaleur !
Il retomba à la renverse sur le lit, serrant avec les mains le pan de sa soutane. D’un coup, Santina se détacha de lui en s’essuyant les mains sur le tablier. Elle baissa sa jupe, ferma un bouton en disant :
On a fini curé. Et elle s’en alla tranquille vers la porte. Puis elle se retourna rayonnante : N’es-tu pas content ?

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Claudia Patuzzi

La chambre de Garibaldi III/III (Zérus – le soupir emmuré n.66)

28 jeudi Nov 2013

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Turin, Musée du Risorgimento, Garibaldien. On voit la figure réfléchie de Giuseppe Garibaldi à cheval. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

La chambre de Garibaldi III/IV n. 66, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.252-254, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionn pour le prix Strega 2006.

— Voilà la chambre où Garibaldi a dormi depuis le 1er janvier 1849, quand il a fondé sa vaillante légion de Macerata ! s’écriait Nino pour le tirer de cette étrange torpeur. Mon arrière-grand-père était un garibaldien avec la chemise rouge !
Henriette interrompit son frère avec le ton d’une moralisatrice:
— C’est moi qui dis cela. À ce temps-là, il y avait ici une petite auberge de poste avec un atelier de couture. Garibaldi y vint, accompagné du capitaine Angelo Masina…
— Et de l’homme noir avec la lance, Abujab… continua Nino enflammé, comme si cette figure au manteau sombre se trouvait devant eux.
Henriette l’interrompit : — Lorsqu’il accepta de dormir à l’hôtel, le Maire ordonna de mettre des lumières dans toutes les rues, sur les balcons et aux fenêtres. Mais ensuite on se comporta mal avec Garibaldi…
Céleste toussa pour montrer sa désapprobation. Au lieu d’entrer dans la chambre, elle était restée à distance respectueuse.
Henriette se tut une seconde, puis, convaincue de sa bienveillance, continua : — La commune ne voulait pas payer l’hôtel et quand Garibaldi partit il donna à la Légion des chaussures se défaisant comme du papier dans la neige.
— Et Garibaldi attrapa de l’arthrite… continua Nino.
— Et les livraisons de pain étaient toutes pourries ! conclut Henriette triomphante.
— Tais-toi, haleta Céleste, vous avez oublié de dire la chose la plus importante : Garibaldi avant de partir fut élu, par cette ville, député de la Constituante romaine…
— Et les partisans du pape se soulevèrent en criant : Vive Pie IX ! hurla Nino.
— À l’arrivée des carabiniers… soupira Henriette, Garibaldi arrêta de jouer aux cartes, jeta son sabre par terre et calma ses légionnaires emportés…
— Il examina toutes les chambres de l’hôtel, poursuivit Henriette. Il disait : celle-ci est sombre, celle-ci est bruyante, celle-là est un « miserere »… Enfin, il choisit juste cette chambre !
— Il y dormit pendant quatorze nuits, puis il déménagea dans l’ancien couvent, conclut Nino.
— Et pourquoi choisit-il cette chambre ? demanda Ghislain à mi-voix.
Céleste se mêla à la conversation : — Parce qu’elle était silencieuse. De là un escalier monte jusqu’à la terrasse…
— Les oncles se disputent tout le temps, l’interrompit Henriette. Ils veulent tous dormir ici à tour de rôle. Mais ce sont Sirio et la grand-mère qui décident. Et Orso ne peut pas y entrer seul.
— Ce n’est pas vrai ! continua son frère. Je l’ai vu entrer en cachette et se coucher nu sur le lit avec la chemise rouge.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Céleste essayait de les traîner tous les deux hors de la chambre. Nino continuait de fixer la chemise rouge comme s’il voyait Orso, en train de rire, à la place du petit homme de bois.
— Je le jure…
— Assez ! Céleste le saisit par l’oreille et lui flanqua une gifle. Puis elle se tourna vers Ghislain, respirant avec peine : si tu as froid, il y a le chauffe-lit… si tu dois faire tes besoins, tu vas au deuxième étage, près de l’entrée il y a les toilettes, sinon sous le lit il y a le pot de chambre… dit-elle avant de disparaître dans l’obscurité de la porte.
Resté seul, Ghislain se tourna vers la fenêtre. Son tricorne était posé sur le petit homme de bois, l’air était immobile et la fenêtre entrouverte. La chemise rouge plongeait dans une poussière dorée… Une fatigue de plomb lui cloua les chevilles au sol. Sans opposer aucune résistance, il se laissa tomber dans ce lac de sang.

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La main droite de Garibaldi reproduite en métal, grandeur nature, avec la signature du chirurgien. (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi

La chambre de Garibaldi II/III (Zérus le soupir emmuré n. 65)

27 mercredi Nov 2013

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Giuseppe Garibaldi, la brave legion, la chambre de garibaldi, Macerata, Marche, Zérus 65, Zérus le soupir emmuré 65

COrso Cairoli-180 def

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La chambre de Garibaldi II/IV n. 65, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.249-254, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionn pour le prix Strega 2006.

— C’est l’heure de te reposer, mon cher. Je te souhaite une bonne nuit. Je vais voir mes étoiles, dit Teresa Amadori, lui faisant signe de s’approcher.
Ghislain inclina la tête vers ses genoux en craignant qu’elle ne disparaisse : — Oui, grand-mère…
Teresa ne répondit pas. Tandis que ses deux fils la soulevaient sur sa chaise du pape, sa jupe glissa sous les doigts de Ghislain.
« Ne t’en va pas grand-mère… » pensa Ghislain, comme s’il s’agissait de sa grand-mère Amélie. Cette fois il ne sentait pas l’odeur des bonbons Milk, il ne voyait pas la fuite d’une mouette, mais une montgolfière de satin et de velours qui volait silencieuse sur les prés, au milieu des limaces, entre les ronces et les branchages, et les cris des duels…
À soixante-six ans, Teresa Amadori conservait encore le don de la légèreté qui lui avait permis de glisser sur la terre comme si c’était la lune. Ce n’était pas difficile de l’apercevoir alors qu’elle courait vers les confins du monde. « Il doit y avoir un autre moyen… », se disait-elle, soulevant chaque pétale à la recherche d’un pourquoi. Quand elle revenait de la Pieve, elle n’était plus la même. Le cou couvert de grenats rouge sombre, la chemise parcourue de colliers de coraux taillés, avec deux boucles d’oreille en or et deux larmes de perles baroques, elle était lumineuse comme une comète…
Quand Ghislain vit la chambre de Garibaldi, il ne comprit pas tout de suite les caprices de Sebastiano, peut-être parce que les volets étaient clos et que les yeux devaient s’adapter à la pénombre. Au début, il ne remarqua rien d’étrange : un grand lit, une armoire, une chaise et une fenêtre. Il allait exprimer sa désillusion quand un flot de sang le frappa comme une gifle. Il regarda autour de lui sans comprendre, puis il sentit le poids de la couleur : une vague sanglante sortait du lit et du mur d’en face en se déversant sur lui… « La chambre de Garibaldi est plus rouge qu’un cardinal de Titien ! » Il ferma encore les yeux à demi, pour mieux voir : de l’autre côté, ce n’était pas du papier peint, mais une étoffe… Juste au-dessus du lit, pendu au mur, un drapeau italien en mauvais état, prêt à prendre son vol avec deux ailes de chauves-souris bicolores, une rouge et une verte. Et cette chose à côté du lit ? Ghislain sursauta à la vue d’une ombre presque humaine… À droite, un petit homme en bois, le torse bombé, soutenait une chemise garibaldienne, couleur géranium, fraîchement repassée. Entre la tête du lit et l’étendard, quelqu’un semblait le guetter : c’était la première feuille d’un calendrier, un portrait peut-être… Était-ce le visage d’un saint ou du Christ ? Ghislain s’approcha pour le regarder et son cœur s’emballa : c’était le corsaire de Taganrog !

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Le héros des deux mondes avec une auréole sur la tête se dressait sur un autel profane. Sur le fond, il y avait une rangée de baïonnettes. À ses pieds, des exvotos républicains en forme de cœur rouge rappelaient les faits d’armes de Palerme et de Marsala, les Milles qui partirent avec lui à la conquête de la Sicile et les jours glorieux de Rome et de Venise :

« Par la grâce de neuf millions de sujets au roi d’Italie »

Au centre de ces cinq cœurs, il y avait une pyramide de boulets de canon sur neuf rangées. Au-dessous de la gravure, il y avait ces mots :« Fils de l’Italie, si vous voulez sécher les larmes infinies de Venise et de Rome, peu vous importe si le prêtre ne chante pas ; voici les cierges et voici le Saint. »
Ghislain observa le buste du héros, blond et barbu, suspendu avec un air austère et rêveur sur un faux piédestal doré. Qu’avait-il dit Niba, à Bruxelles, au sujet de Garibaldi et de l’Italie ? Il se souvint de sa voix lui racontant l’Histoire comme une fable. Dans son récit, Niba avait dit plusieurs fois ce mot : le Petit père.  Garibaldi était un père tout à fait différent vis-à-vis d’autres petits-pères et petits rois. Il fut le seul qui sut conduire la révolte du peuple italien jusqu’à la victoire.
— Ce peuple n’est jamais cruel, parce qu’il ne se sent pas assez trahi. Il lui manque de vrais adversaires. D’ailleurs, il n’a pas su comprendre les qualités de Garibaldi. Il est resté un peuple sans père, condamné à errer toujours !
« Moi aussi j’erre de-ci de-là, sans père. Que dis-je ? Il y a le Pape ! Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le Saint-Père ! Comment pourrais-je me révolter contre un Saint ? »

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— Voilà la chambre où Garibaldi a dormi depuis le 1er janvier 1849, quand il a fondé sa vaillante légion de Macerata ! s’écriait Nino pour le tirer de cette étrange torpeur. Mon arrière-grand-père était un garibaldien avec la chemise rouge !
Henriette interrompit son frère avec le ton d’une moralisatrice: — C’est moi qui dis cela. À ce temps-là, il y avait ici une petite auberge de poste avec un atelier de couture. Garibaldi y vint, accompagné du capitaine Angelo Masina…
— Et de l’homme noir avec la lance, Abujab… continua Nino enflammé, comme si cette figure au manteau sombre se trouvait devant eux.
Henriette l’interrompit :
— Lorsqu’il accepta de dormir à l’hôtel, le Maire ordonna de mettre des lumières dans toutes les rues, sur les balcons et aux fenêtres. Mais ensuite on se comporta mal avec Garibaldi…
Céleste toussa pour montrer sa désapprobation. Au lieu d’entrer dans la chambre, elle était restée à distance respectueuse.
Henriette se tut une seconde, puis, convaincue de sa bienveillance, continua :
— La commune ne voulait pas payer l’hôtel et quand Garibaldi partit il donna à la Légion des chaussures se défaisant comme du papier dans la neige.
— Et Garibaldi attrapa de l’arthrite… continua Nino.
— Et les livraisons de pain étaient toutes pourries ! conclut Henriette triomphante.
— Tais-toi, haleta Céleste, vous avez oublié de dire la chose la plus importante : Garibaldi avant de partir fut élu, par cette ville, député de la Constituante romaine…
— Et les partisans du pape se soulevèrent en criant : Vive Pie IX ! hurla Nino.
— À l’arrivée des carabiniers… soupira Henriette, Garibaldi arrêta de jouer aux cartes, jeta son sabre par terre et calma ses légionnaires emportés…
— Il examina toutes les chambres de l’hôtel, poursuivit Henriette. Il disait : celle-ci est sombre, celle-ci est bruyante, celle-là est un « miserere »… Enfin, il choisit juste cette chambre !
— Il y dormit pendant quatorze nuits, puis il déménagea dans l’ancien couvent, conclut Nino.
— Et pourquoi choisit-il cette chambre ? demanda Ghislain à mi-voix.
Céleste se mêla à la conversation :
— Parce qu’elle était silencieuse. De là un escalier monte jusqu’à la terrasse…
— Les oncles se disputent tout le temps, l’interrompit Henriette. Ils veulent tous dormir ici à tour de rôle. Mais ce sont Sirio et la grand-mère qui décident. Et Orso ne peut pas y entrer seul.
— Ce n’est pas vrai ! continua son frère. Je l’ai vu entrer en cachette et se coucher nu sur le lit avec la chemise rouge.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Céleste essayait de les traîner tous les deux hors de la chambre. Nino continuait de fixer la chemise rouge comme s’il voyait Orso, en train de rire, à la place du petit homme de bois.
— Je le jure…
— Assez ! Céleste le saisit par l’oreille et lui flanqua une gifle. Puis elle se tourna vers Ghislain, respirant avec peine : Si tu as froid, il y a le chauffe-lit… si tu dois faire tes besoins, tu vas au deuxième étage, près de l’entrée il y a les toilettes, sinon sous le lit il y a le pot de chambre… dit-elle avant de disparaître dans l’obscurité de la porte.
Resté seul, Ghislain se tourna vers la fenêtre. Son tricorne était posé sur le petit homme de bois, l’air était immobile et la fenêtre entrouverte. La chemise rouge plongeait dans une poussière dorée… Une fatigue de plomb lui cloua les chevilles au sol. Sans opposer aucune résistance, il se laissa tomber dans ce lac de sang.

004_targa-180

ICI
GIUSEPPE GARIBALDI
EN JANVIER 1849
DEMEURA
ET CRÉA LA BRAVE LÉGION
QUI, TOUT EN REPOUSSANT L’ORGUEILLEUX ÉTRANGER
DÉFENDIT LE 30 AVRIL À ROME
L’ÉTENDARD DE L’ANCIENNE LIBERTÉ
__________________
AU CAPITAIN IMMORTEL
À LEUR DÉPUTÉ À LA CONSTITUANTE
LES HABITANTS DE MACERATA
30 AVRILE 1883

Claudia Patuzzi

La chambre de Garibaldi I/IV (Zérus – le soupir emmuré n. 64)

26 mardi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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ghislain, Giuseppe Garibaldi, l'usine des Fata, la chambre de garibaldi, Macerata, Marche, voyage en Italie, Zérus 64, Zérus le soupir emmuré 64

001_TARGA GARIBALDI-180

Palais des Fata : plaque commémorative du séjour de Giuseppe Garibaldi (1-14 janvier 1949)

La chambre de Garibaldi I/IV n. 64, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.245-249, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionn pour le prix Strega 2006.

« De quelle chambre parlent-ils ? » s’interrogeait Ghislain. Il était mort de fatigue, il avait tellement sommeil, il avait mal aux pieds… « Mais pourquoi hurlaient-ils de cette manière ? » Maintenant, le silence ne lui semblait pas aussi mauvais.
— Le garçon, dans la chambre de Garibaldi ? Tu es sûr que c’est une bonne idée, Sirio ?
— Oui, maman. Il se sentira à l’aise.
— Elle est au dernier étage, comment va-t-il trouver le chemin ?
Santina entra avec le plat et les légumes: — Poulet rôti au citron et aux tomates! Elle s’approcha de Ghislain, et lui demanda aimablement : — Tu en veux ?
Ghislain regarda la jeune fille aux joues rougeâtres et saisit au fond de ses yeux un feu rebelle : cette bonniche se moquait de lui.
— Tu es prêtre ? lui demanda-t-elle, tandis que Niba l’esquivait discrètement.
— Comment fera-t-il pour trouver son chemin ? continuait la grand-mère qui de temps en temps allongeait la tête pour le surveiller.
— C’est dangereux là-haut. S’il se sent mal… soupira Céleste.
— Au quatrième étage, il y a les fantômes ! cria Nino enflammé.
— Ce n’est pas vrai… protesta timidement Céleste.
— Je les ai entendus. Les planches de bois grincent… hurla Henriette.
— Taisez-vous, incroyants ! Sebastiano se leva de sa chaise et regarda le plafond comme un possédé. — Je vous le dis moi, il y a quelque chose là-haut !
Tout le monde se tut, pétrifié.
— Qu’y a-t-il, là-haut ? murmura Celestino Fata se réveillant de sa léthargie.
— Il y a l’esprit de Garibaldi ! explosa Sebastiano en tapant du poing sur la nappe.
— Tais-toi Sebastiano ! soupira Teresa, tu fais peur au Petit-curé !
Tout le monde regardait Ghislain qui restait là, en silence, à côté de Niba.

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Ancien laboratoire pour la fabrication de la gazeuse, l’ascenseur et la distillerie (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

— Nous allons l’aider, grand-mère, s’écrièrent Henriette et Nino en s’accrochant au cou de Céleste. — Tatie, dis-le-lui, toi ! Et ils l’embrassèrent.
— Mais oui, mais oui, conclut Niba, en coupant court à la discussion. Va dans la chambre de Garibaldi. Ça te convient, Ghislain ?
Ghislain inclina la tête sur le côté, il était en train de s’évanouir…
— Il a dit oui ! Henriette et Nino applaudirent.
— Je ne crois pas que cette chambre lui convienne. S’il doit aller aux toilettes, comment va-t-il faire ? dit Céleste.
— Il ira à l’étage du dessous, comme tout le monde, dit Sebastiano.
— Voilà les petits fours, mon Petit-curé. Ce sont des scroccafusi [1], dit Santina, en lui en mettant un dans la bouche. Mange-les, ça te fera du bien.
— Au lit, au lit ! Il doit aller dormir ! s’écria Orso.
Ce fut à ce moment-là que tout le monde s’aperçut qu’il était habillé en fasciste.
— Tu n’es pas très poli, Orso… Est-il possible que tu viennes manger dans cette tenue ?
— Dans quelle tenue, maman ?
— Avec la chemise noire !
— Cette chemise me plaît.
— Mais il se trouve que nous ne l’aimons pas…, dit Niba sur un ton menaçant.
— Tu veux dire toi ?
— J’ai dit : ça suffit, Orso !
— C’est Mussolini qui commande ! Ce n’est pas ma faute si je porte cette chemise !
— Si la Vierge t’entendait… murmura Céleste.
— Tais-toi Orso !
— Maman…
— J’ai dit : tais-toi ! Il y a un invité.
— Ton Mussolini a assassiné un tas de gens avant de prendre le pouvoir!
— Tais-toi Sebastiano !
— Ton grand-père était garibaldien ! C’était la seconde fois que Celestino Fata prenait la parole. Il aurait eu besoin de repos.
— Il y a même un petit-fils de Garibaldi au parti, trembla Orso.
— Mais notre Garibaldi n’a rien à faire avec lui ! riposta le vieillard calmement, tandis que la rougeur de son visage trahissait une forte émotion.
— La marche fasciste sur Rome de 1922 n’a pas été la même que celle de Garibaldi en 1859 ! intervint Sebastiano.

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Ancien laboratoire: le moteur à gas et la machine pour la limonade (cliquer pour agrandir)

— Très Sainte Vierge… supplia Céleste.
À cet instant de la conversation, Niba toussa légèrement en attirant l’attention sur lui :
— Je voudrais savoir comment une chemise noire peut devenir rouge.
Orso, renfrogné, devint de pourpre et baissa les yeux.
— Toi tu ne dois jamais entrer dans cette chambre ! intervint Sebastiano en hurlant.
— Je vais y mettre le feu, moi !
— Mais tu l’entends, maman ? s’écria Sebastiano, les larmes aux yeux.
— Santina, dit Sirio d’une voix tranchante, amène le pousse-café.
— Maman, les fascistes ont massacré les gens de la côte, continuait Sebastiano sans parvenir à se contenir. Les yeux amoureux de sa mère ne pouvaient pas le calmer.
— Mais nous, nous sommes dans une province blanche, n’est-ce pas ? Nous ne nous salissons pas les mains, nous ne prenons aucun risque !
Tout le monde regarda Bartolomeo, qui semblait sortir d’un rêve :
— Pourvu qu’on mange, nous sommes toujours contents de ce que nous avons, n’est-ce pas ?
— Que dis-tu, Bartolomeo ? Teresa regardait, inquiète, les cernes noirs sous ces yeux bleus. Pourquoi ne dormait-il jamais la nuit ? Que faisait donc ce fils empoisonné, la nuit ?
— Je dis, maman, que c’est le Rubicon, et non le Tronto, la vraie limite entre les deux Italie, la pauvre et la riche.
Teresa secoua la tête : — Nous sommes pour l’Église et la Monarchie. En 1926, au congrès national de la FUCI [2] des bandes de fascistes turbulents sont venues menacer le délégué du Pape, Monseigneur Montini.
— C’est vrai… Rappelle-toi Niba ! Déjà, pendant l’été 1922, les fascistes avaient incendié la Maison du peuple et la bibliothèque ! continua Sebastiano, poursuivant un souvenir parmi les plus chers à sa mémoire… Ce fut alors qu’ils marchèrent jusqu’au Palais…
—…Et nous, nous les avons repoussés avec de l’eau de Seltz ! l’interrompit Niba en souriant de manière étrange. Il était rentré dans le rôle du grand narrateur : — Les fascistes sont arrivés devant la porte cochère. Nous étions juste derrière la porte avec les ouvriers, armés de bouteilles de limonade et d’eau de Seltz. Tu y étais aussi, Orso !
— Raconte, raconte ! exhortait Celestino Fata.
— Ils hurlaient en agitant des barres de fer, avant de flanquer des coups de pied et de gourdins contre la porte qui s’ouvrit bruyamment… Ils se trouvèrent face à nous, tous en ligne, avec nos réserves de boissons gazeuses qu’une usine allemande aurait pu nous envier. Les boulets en verre de la limonade aveuglèrent quelques yeux, tandis que l’eau de Seltz causa des douches froides. Dix minutes plus tard, trempés jusqu’aux os, les assiégeants s’en allèrent…
— Arrête !
— Qu’est-ce que tu veux, Orso ? On n’est pas libre de parler chez soi ? renchérit Sebastiano.
— Assez ! C’est Dieu qui juge ! Par ces mots, Sirio s’était levé, faisant cesser la discussion. Puis, en tournant la tête vers la cuisine, hurla : — Santina, la pomme cloutée !
Henriette s’approcha de Ghislain et lui susurra à l’oreille :— Oncle Sirio veut qu’on plante des clous dans la pomme à lui ! Il dit que c’est pour le fer.
— Et pourquoi il boit de l’eau distillée ? demanda Ghislain.
— Parce qu’il déteste les impuretés.

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(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi


[1]  Biscuit aromatisé de liqueur de Macerata dans les Marches, préparé dans la période du carnaval.

[2]   Fédération universitaire catholique italienne, créée en 1896.

Annibale Fata VI-a/VI (Zérus – le soupir emmuré n. 32)

16 mercredi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Amerique latine, Annibale Fata, Brésil, Giambattista Cuneo, Giuseppe Garibaldi, Giuseppe Mazzini, hymne national italien, La jeune Italie, Mar d'Azov, Pulcinella, Taganrog, Uruguay, Zérus le soupir emmuré 32

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Annibale Fata VI-a/VI, n.31, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp 134-137, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Perplexe, Ghislain était en train d’observer les trois « photographies » quand il sentit une main lui toucher l’épaule :
— Elles te plaisent ? dit le Niba tout en poussant l’un de ses grands soupirs, avant de lui montrer une carte postale et de prendre le rôle du narrateur.
— Donc, Ghislain, cet homme à cheval avec les cheveux longs et le poncho sud-américain, c’est Giuseppe Garibaldi.
— C’est ton grand-père ?
— Mon grand-père a été « garibaldien », un soldat qui a combattu à côté de Garibaldi.
— Mais qui est-ce Garibaldi, alors ?
—   Un héros. Un libérateur. C’est grâce à lui que l’Italie est une seule nation, maintenant. Il se déplaçait infatigablement partout dans l’Italie divisée en morceaux.

002°garibaldi liberator 180

Carte postal anglaise.

— Et… ne dormait-il jamais ?
— Tous les gens, à son passage, l’hébergeaient avec enthousiasme. Ainsi, chaque village d’Italie a une stèle précisant qu’il a dormi en telle ou telle maison. D’ailleurs, il n’y a pas de place ou de rue qui ne porte pas son nom.
Niba se tut pendant quelques secondes, puis il ajouta :
— Il a dormi dans bien des chambres, mais il n’a rêvé que dans une seule.
— Toi aussi tu y as dormi ?
— Oui, plusieurs fois, tout seul…
Niba demeura pensif. Il regarda Ghislain d’un air distrait, en fixant ses pupilles sur un lieu lointain.
— Y a-t-il des fantômes dans cette chambre ?
Niba pâlit et dit : — C’est la Patronne qui a la clef ! puis il fixa longuement Ghislain et fredonna :

Va fuori d’Italia, va fuori ch’è l’ora
Va fuori d’Italia, va fuori o stranier ! 1

Dégage de l’Italie, dégage c’est l’heure
Dégage de l’Italie, va-t-en étranger!

— Garibaldi était aussi un chanteur ? demanda Ghislain.
Niba avait repris des couleurs :
— Mais de quel chanteur me parles-tu ? C’est un hymne en son honneur ! Garibaldi a été un héros, il a porté ses idées sur la mer, voyageant de l’Atlantique à la Méditerranée…
— Quelles idées ?
Niba s’assit sur le lit, résigné : — D’abord, il était marin, c’était un corsaire.
En entendant le mot « corsaire », Ghislain fut traversé d’un frisson.
Niba s’était levé, désormais. Il regardait le sol du grenier comme s’il était rempli de l’eau salée de la Méditerranée. Puis, satisfait de cette vision qui dilatait démesurément les contours étroits de cette pauvre pièce, il reprit son récit :
— Garibaldi était à Taganrog sur la Mer d’Azov quand il fut foudroyé par les mots sur la liberté.
« Taganrog ? Foudroyé ? Liberté ? » Ghislain ne comprenait pas.

003_garibaldi aTaganrog 180

Garibaldi (1807-1882), à l’âge de vingt-sept ans, arrive avec le navire « Clorinda » à Taganrog, dans la mer Noir, où il rencontre, dans une auberge, le jeune patriote piémontais Giambattista Cuneo appartenant à « La jeune Italie » (association révolutionnaire fondée par Giuseppe Mazzini) qui l’exhorte à se battre pour l’unité de l’Italie. Un rencontre foudroyant qui marquera sa vie pour toujours. (Tableau de Italo Nunes Vais, dans Montanelli-Nozza, « Garibaldi », Rizzoli-BUR, 1982,2002, p.35)

— Pourquoi les mots foudroient-ils ?
— Plus que les fusils ! Niba sourit d’un air satisfait, avant de préparer le coup final.
— Écoute Ghislain, les mots sur la liberté te frappent quand tu es déjà malade.
« Garibaldi était-il malade ? » Ghislain fronça les sourcils, préoccupé.
— Le pauvre…, s’écria-t-il.
— Pour des gens comme Garibaldi, la liberté est comme une fièvre. On l’a dans le sang dès la naissance et on ne peut pas rester tranquille. Alors, on cherche l’espace le plus grand qui soit.
— Lequel ? lui demanda Ghislain.
— La Mer ! La méditerranée, bordée de villes, ensevelies et puis ressuscitées, une mer déjà morte et toujours renaissante.
— Et Garibaldi est parti en mer ?
— Il a libéré les peuples opprimés de l’Amérique latine. Au Brésil. En Uruguay. Puis il est parti avec un brigantin pour l’Italie. La mer, lui a appris la force de la liberté. Si tu ne l’as pas en toi, tu ne peux pas la chercher.
Niba s’arrêta soudain, sa voix s’assombrit tandis qu’il recommençait à parler :
— Nous, les Italiens, nous avons eu un père, mais il était trop pour nous…
— Qu’est-ce qu’ils ont fait à Garibaldi ? Ils l’ont tué ? Ghislain avait les larmes aux yeux.
Niba prit son visage dans ses mains : — Pire : ils l’ont arrêté, ils l’ont exilé sur une île. Mais tu pleures ! Embarrassé devant le spectacle des larmes, il n’attendait que le moment de s’enfuir.
— Tu seras comme Garibaldi, n’est-ce pas ?
— Oui… mais j’ai peur que dans la chambre des rêves de Garibaldi il y ait… des fantômes!
— Bien sûr, il y en a, mais on peut aussi y rattraper la vérité ! Sans vérité on ne peut pas s’affranchir de l’injustice…
— Où est-elle, alors ?
— Tu le découvriras tout seul.
— Mais tu m’y emmèneras ?
— Oui, tu viendras un jour en Italie.
Tous les deux éclatèrent de rire. Puis Ghislain s’apaisa, assis sur le grand lit, comme s’il attendait la suite de l’histoire…

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Le roi de Naples, déguisé en Pulcinella, est obsédé par la renommée internationale de Garibaldi. (Dessin apparu dans un journal satirique  de Rome en mai 1949)

Claudia Patuzzi


[1]  Hymne à Garibaldi, composé en 1858 par Luigi Mercantini, poète et patriote du Risorgimento.

Claudia Patuzzi

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