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Rue du Remorqueur I-II/VII (Zèrus – le soupir emmuré n. 22)

26 jeudi Sep 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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écran, bruxelles, cyrille, interface, prix strega 2006, rue du Remorqueur, Zérus 22

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La petite tasse à café.

Rue du Remorqueur I-II/VII, n. 22, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 93-96, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Il est de moments magiques durant lesquels un écrivain ne doit pas être dérangé. Dans ces moments, je deviens capable d’oublier mon corps et de vivre hors du temps et de l’espace. En fait, je ne sais même pas quelle heure il est. L’air est encore frais, peut-être parce que le soleil donne au sud, sur la véranda. Au nord, dans la petite tour de tuf, la chaleur arrive toujours en retard, vers deux ou trois heures de l’après-midi, aveuglant d’un coup toute la chambre. Je ferme alors les volets et les rideaux. Henriette les a achetés quand j’étais adolescente. Ce sont des rideaux d’adultes. Ils rappellent les lotus et les papyrus égyptiens sur un fond géométrique qui passe du fuchsia au lilas pâle jusqu’au violet plus foncé ; de l’orange sur quelques pétales ici et là. Au début de l’après-midi, le soleil ressuscite ces fleurs dans un jeu changeant de reflets : de vives taches rouge orangé ondulent sur le plafond et sur les murs comme dans un aquarium. Je me retrouve parfois ensanglantée parmi les prismes irisés qui renaissent à la manière de fantômes sur l’écran de l’ordinateur. Est-ce mon interface ?
Maintenant que l’histoire de Ghislain s’approche du troisième fait avec la rapidité d’une cascade, je deviens un tronc qui se laisse traîner par le courant. Qu’y aura-t-il à la fin ? Je ne le sais pas encore.
— Je te dérange ?
Henriette apparaît sur le seuil, une petite tasse de porcelaine blanche à la main. Je me tourne vers la fenêtre. La tasse de mon oncle a disparu de l’étagère !
— Pourquoi as-tu pris cette tasse ?
— Je voulais la laver, il y a une tache…
— Tu ne dois rien toucher dans ma chambre, as-tu compris ?
Je regarde le fond de la tasse : à droite, à la base de la tour Eiffel il y a une petite tache grise… qui m’intrigue.
Henriette me regarde, dépassée :
— Le dîner en bas est prêt. J’ai fait cuire les haricots.
Pauvre Henriette. J’ai honte de mon emportement. Elle a réussi à cuisiner sans rien brûler. Je dois en profiter.
— Pourquoi ta mère et Germaine sont-elles parties de la rue de Plaisance ?
Henriette parle rapidement comme si elle récitait un refrain :
— Elles ne supportaient plus de rester avec leur père et cette femme…
Puis elle ouvre tout grand ses yeux dépourvus de cils, me regarde durant dix secondes et crie : — Ce ne fut pas un départ, mais une fuite !

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Gény (dessin de Claudia Patuzzi- cliquer pour l’agrandir)

Eugènie, Germaine et Ghislain laissèrent la maison des grands-parents au début de l’automne 1912.
Pour Gény, la mort de sa mère avait eu l’effet d’un effondrement. Privée de la protection d’Amélie, elle s’était retrouvée seule devant le regard inflexible de Cyrille, mais le vieux, comme un chat sauvage repu et ensommeillé, se bornait à observer les mouvements de sa proie. En affichant un air occupé et distrait, tous les deux semblaient vouloir attendre avant de s’affronter.
— Alors, tu as pris ta décision ?
— Bien sûr que j’ai pris ma décision, je ne pouvais pas faire autrement.
Gény avait hâte de mettre un terme à ces préambules inutiles.
— Si tu veux, tu peux rester encore. Mais…
— Mais tu ne pourras nous faire vivre. Je sais.
Le vieux lui tendit deux grosses chaussures de cuir noir.
— Elles sont pour ton fils.
— Elles sont trop grandes pour lui.
— Il les mettra plus tard.
— Tu te sens coupable ?
— Je ne voudrais pas que tu penses que je n’ai pas voulu l’enfant.
— Cet enfant est ton petit-fils, et il a un prénom !
— C’est vrai. Il s’appelle Ghislain…
— Tu as toujours eu honte de lui et de moi.
— Ingrate, que dis-tu ?
— C’est seulement grâce à maman que nous avons vécu ici.
— Si je n’y avais pas consenti, tu aurais fini comme une catin ou une misérable.
— Tu y vas déjà bien assez chez les catins.
Cyrille se leva. Ses yeux bleus ardoise reflétaient sa rage impuissante.
Gény poursuivit son réquisitoire : — Tu ne peux plus rien y faire à présent. Tu as aimé maman comme un propriétaire. Tu as voulu nous modeler à ton image, en nous éduquant à ton avarice. Cependant, un maillon dans la chaîne de la création n’a pas fonctionné comme prévu. Nous sommes restées, Germaine et moi, pour ruiner tes plans… Quand le dernier mot fut prononcé, le vieux cessa de la regarder et croisa les bras sur sa poitrine en appuyant son corps au dossier du fauteuil.
Une demi-heure plus tard, Gény revint. Elle portait le petit Ghislain et une valise. Tante Germaine était là pour s’occuper de l’enfant. Elle n’avait que dix-neuf ans. Son visage ne laissait aucun doute : elle brûlait du désir de quitter la rue de Plaisance et de se jeter tête baissée dans la ville.
Cyrille leva les yeux vers ces deux jeunes femmes sans foi ni loi, renifla l’air de la chambre, puis, se tournant vers Gény, lui dit dans un souffle : — J’avais confiance en toi!
Gény ne regardait pas son père. Ghislain en revanche fixait son grand-père avec l’effronterie des enfants. Cyrille intercepta ce regard et s’y retrouva lui-même sous les apparences horribles d’un ogre. Alors, il se mit debout, ferma les yeux et hurla d’une voix de stentor : — Allez-vous-en ! Qu’est-ce que vous attendez ? Quand il les rouvrit, il vit que la pièce était vide et que lui, Cyrille Balthasar, avait été abandonné.
Claudia Patuzzi

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L’adieu de Cyrille Balthasar. (Cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi

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