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La lettre (Zérus – le soupir emmuré n. 72)

05 jeudi Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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004_letteracadutaIcaro 480pix-jpeg.

La lettre  n. 72, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 277-279, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Macerata, le 24 mars 1919

Cher Ghislain,

Pardonne à ta maman. Qui sait combien tu souffres tout seul là-bas ? Je t’écris avant de venir te chercher à Bruxelles. J’attends un autre petit frère, sais-tu ? Je suis émue, mais j’ai d’étranges pressentiments… Cette nuit, j’ai fait un mauvais rêve : un navire coulait et je tombais à la mer…
Je laisse la lettre ici, dans cet endroit secret et sûr, que j’indiquerai dans un billet que je confierai à Regina Coen. Si je meurs, elle te le consignera…
J’ai toujours pensé que tôt ou tard je devrais payer l’intensité avec laquelle j’ai vécu ma vie. Quand j’ai vu Niba, un miracle s’est produit. Je suis tombée amoureuse de lui en perdant presque la raison. Je l’ai suivi partout en craignant toujours qu’il ne meure. À la fin de la guerre, j’ai cru avoir gagné : la Mort s’en était allée au fond de la mer, avec les sous-marins et les grenades. Mais il ne faut pas en être aussi sûr : elle est peut-être ici, près de moi, cachée dans mon sang, prête à sortir de sa caverne…
En décembre, nous nous sommes trouvés ensemble, pour le réveillon de la Saint-Nicolas, tu te souviens ? Et il me semble qu’un siècle s’est déjà écoulé. Ta maman, comme toujours, a dû s’enfuir au loin. Qui sait quand tu pourras lire cette lettre ? Comment seras-tu plus tard ? Quelle taille feras-tu ? Seras-tu plus beau et plus doux qu’avant ? Mais à ce moment-là, tu ne seras plus un enfant, bien sûr. Et tu devras savoir…
Je t’écris de la chambre de Garibaldi : elle me rappelle la nôtre, rue du Remorqueur. C’est le seul endroit de la maison des Fata où n’arrive pas le bruit de la glace. C’est ici que Niba et moi nous avons passé nos nuits d’amour. Quelques minutes avant l’aube, nous montions sur le belvédère… Là, je me brossais les cheveux en attendant le lever du soleil. Voilà pourquoi je m’enfuis toujours là-haut. C’est le seul endroit où je peux penser à toi et quand j’y monte il me vient toujours l’envie de pleurer. Qu’est-ce que je fais ici, loin de mon fils ? Que fait Ghislain en ce moment ? Et moi, où suis-je, dans quel pays ? Mais si je regarde le ciel, je me souviens de mon bonheur et je me console.

Ici, tous les hommes adultes n’ont pas encore été renvoyés chez eux. Niba est à Venise pour la démobilisation. Henriette, le petit Nino et moi nous avons ici grand-mère Teresa, Céleste, Perla et Mipento. Mais, je ne comprends presque rien à ce qu’ils disent, ils parlent trop vite et les usages sont très différents. Perla est de plus en plus nerveuse et Mipento erre dans la maison comme un fantôme.

Maintenant, tu dois tout savoir, le moment est venu. Écoute. Quand ton père Paul est mort, j’ai été la première à m’en rendre compte. Mais il était trop tard. Les convulsions avaient cessé et il ne respirait plus. Pourtant, il m’a semblé qu’il cherchait à dire quelque chose. Sa conscience et ses sens paraissaient encore intacts. Dans l’air, il y avait une étrange odeur, aigre et dégueulasse… Oh, Ghislain ! Où trouverai-je le courage de poursuivre ?

Quand j’ai vu que le dernier soubresaut avait eu raison de lui, j’ai baissé les yeux vers le sol près du fauteuil et j’ai remarqué une petite tasse de café complètement intacte. Je l’ai ramassée et, instinctivement, je l’ai mise dans ma poche. La soucoupe était brisée en trois morceaux, cachés par le rabat en velours. Je ne les ai pas ramassés. Je regardai partout, en dessous et autour du fauteuil, à la recherche d’autres fragments, mais je n’ai rien trouvé. Quand j’ai entendu un bruit de pas, j’ai eu la force de crier, mais mes nerfs, tendus à en mourir, n’ont pas résisté. Je crois m’être évanouie. Je me souviens seulement que tante Agathe est entrée dans la chambre.
Quand j’ai retrouvé mes esprits, toi aussi tu étais là. Tu fixais ton père terrorisé. Dès que j’ai pu, j’ai couru vers toi et je t’ai emmené hors de cet endroit. J’avais oublié les objets que j’avais cachés dans ma jupe. J’ai appris seulement le lendemain qu’on avait trouvé sous le fauteuil, intactes, une petite tasse à café avec une soucoupe et qu’on les avait examinées pour y rechercher d’éventuelles traces de poison. Le médecin a dit que la mort était due à un collapsus cardiaque et que l’autopsie n’était pas nécessaire, car au fond de la tasse, on n’avait trouvé aucune trace de poison… ni de sucre. Même si, tu te rappelles, Paul prenait le café très sucré et… tout d’abord, je n’ai pas voulu y prêter attention. Mais j’y ai réfléchi par la suite : ce n’était pas possible, c’était moi qui avais la tasse, et j’avais bien vu que la soucoupe était tombée par terre en se brisant en trois morceaux. Il y avait seulement une tasse sous le fauteuil, avec une seule soucoupe cassée. Quelque chose n’allait pas… Quelqu’un avait remplacé la tasse avec une autre identique, avec le même emblème de la tour Eiffel ! J’étais trop bouleversée pour vouloir comprendre et surtout je n’avais pas la force de commencer une enquête…
Tu sais, Ghislain, ton père voulait légaliser notre union, modifier son testament et il est mort. Tout de suite après, les Mancini nous ont chassés. L’oncle Laurent a été le seul à s’opposer. Maintenant, je te confie cette petite tasse. Prends-en soin : c’est un objet précieux. Fais-en bon usage…
Le tableau d’Icare ? Tes questions m’ont fait peur. Je suis tombée moi aussi dans le « piège » de Brueghel. Chaque nuit, avant de m’endormir, mille doutes me tourmentaient. Le vieillard tué sous le buisson ne ressemble-t-il pas à Paul ? Et qui sont les trois indifférents ? Et qui est Icare ? C’est toi ?

Maman

Ghislain interrompit sa lecture. C’était lui qui avait ramassé les trois tessons de la soucoupe sans que personne s’en aperçoive. Et l’oncle Laurent était l’homme rencontré dans le train. Il savait tout. Et Regina Coen, elle aussi savait tout… Il s’arrêta immobile, en fixant les trois objets bien alignés sur la couverture rouge. Il tendit une main, prit la tasse et la renifla… Une pensée lui traversa l’esprit tandis qu’il se traînait vers le centre du lit, la petite tasse à caffé à la main, les jambes transpercées de clous et les bras grands ouverts comme s’il était en croix. Il leva le menton vers le mur où le Héros des Deux Mondes l’observait sous une auréole postiche. Il était trois heures du matin.
— Père, père, pourquoi m’as-tu abandonné ? hurla-t-il.
À ce même instant, en bas de chez lui ,Orso filait sur la promenade des Mura da sole à quatre-vingts à l’heure.
Ghislain tomba dans un lourd sommeil. Il n’y eut aucun centurion pour commenter l’événement. Seule la chemise rouge de l’homme de bois eut un frémissement et voltigea dans l’air. Enfin, elle se calma.

Claudia Patuzzi

Le hurlement (Zérus – le soupir emmuré n. 71)

04 mercredi Déc 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Albanie, chambre de garibaldi, Fascistes, ghislain, italie, Macerata, Marche, moto Guzzi, Orso Fata, Zérus 71, Zérus le soupir emmuré 71

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Moto Guzzi, 1928. (cliquer pour agrandir)

Le hurlement  n. 71, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 274-277, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

« Ève putain ! De quoi a-t-il dit Niba ? Maman l’a approuvé de la tête ! Et après ? Maudit soit le matin ! Il a des couilles, Mussolini ! Il a pris l’Albanie, n’est-ce pas ? Nous les Italiens, nous les fascistes, nous avons eu le protectorat… Nous commandons le roi Zogu, qu’est-ce qu’ils croient ? Staline aussi construit des gratte-ciels ! »
La moto avait pris vitesse. Elle atteignait maintenant les quatre-vingts kilomètres-heure et fracassait les tympans. Une voiture apparut à l’improviste en sens contraire. « Qu’une cataracte te tombe sur les phares ! Putain de merde ! »
Après un gémissement déchirant explosa dans l’air: — L’été n’en finit pas, cette année… Et non ! Quand c’est trop, c’est trop ! Maudit soit le matin, je veux une femme !
Orso chevauchait un aigle aux ailes déployées. La moto Guzzi traversait l’air en ébouriffant les feuilles des tilleuls près des Mura da Bora. En quelques secondes, il frôla le potager de l’archiprêtre et la tour avec sa petite terrasse. Il faisait corps avec la nuit en ignorant l’arc de la Voie lactée, la splendeur de Sirius et de toute autre étoile mineure. Seule la flèche aveuglante du phare coupait en deux l’obscurité de la route. À ce moment là il était un démon des fièvres, ou peut-être un Dieu à la peau d’albâtre qui roulait dans une traînée de lumière incandescente. Il portait la chemise noire, des bottes et un gourdin en aluminium à la ceinture. Tout en riant sans une vraie raison, dans un tourbillon de poussière, il filait en mission spéciale vers la nuit du Sabbat…
Il s’arrêta un instant, tourna son visage ivre vers la chambre de Garibaldi et s’écria : «  Giuseppe, ma mère ne m’aime plus ! »  En disant cela, il mâchait l’air frais entre ses dents. Tandis que ce prêtre venu de l’étranger dormait, là-haut, il allait donner une « leçon » aux antifascistes. Enveloppé de métal comme un serpent, le ventre en feu et le membre dur, il allait glisser sur la route comme un adolescent excité.
Avant de plonger dans un sommeil noir comme du jais, Ghislain avait ouvert l’enveloppe. Dans la maison de Fata, tout le monde fut réveillé par un cri si aigu qu’on pouvait l’entendre jusqu’à la rue. Mais Orso ne pouvait pas le percevoir : à ce moment là il roulait déjà sur ses roues de caoutchouc en savourant le paradis…

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Orso Fata est le deuxième à partir du côté droite (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Mais, avant ce hurlement, que s’était-il passé à l’intérieur du Palais des Fata ? Tandis que Céleste nettoyait sa soutane et brossait son chapeau, Ghislain s’était réfugié dans la chambre de Garibaldi, avait fermé la porte à clé et s’était dirigé vers le grand lit à la couverture rouge. Il serrait le paquet de sa mère contre sa poitrine, sous la robe de chambre à ramages de Niba. Il portait les pantoufles de toile de la communauté, mais il n’avait pas fait d’examen de conscience. Il n’en avait pas le temps.
D’abord il posa sur le lit les objets emballés dans le paquet et les disposa méticuleusement par ordre de grandeur. Même s’il avait peur, voulait que ce moment dure une éternité. Rien ne serait peut-être plus comme avant.
« Qui est-ce ? Qui était-ce ? » De nouveau, ces pas derrière la porte.
« Était-ce elle ? »
Il regarda le portrait de Garibaldi. Giuseppe lui sourit : « Moi aussi j’ai été trompé… »
Sur le lit il y avait maintenant trois objets. Le plus grand, qu’il avait deviné au toucher, dans la maison de Regina Coen, c’était le petit tableau d’Icare.
« Voilà où l’avait mis sa mère. Pourquoi ? Ne voulait-elle pas qu’il se pose trop de questions ? »
Le deuxième objet, le plus mystérieux, formait dans le paquet une étrange protubérance. C’était une petite tasse à café blanche, parfaitement conservée. Ghislain se souvint des fragments de porcelaine qu’il avait ramassés, alors enfant, sous le fauteuil de son père. Cette petite tasse avait-elle un lien avec cette mort ?
Le troisième objet, pour ainsi dire, était une enveloppe sur laquelle se détachait l’écriture nette de sa mère. À l’intérieur, un billet : « Regarde derrière l’image de Garibaldi. »
Ghislain resta songeur pendant quelques instants : « Maman !», murmura-t-il. , Puis il monta sur le lit et fit glisser deux doigts derrière le petit cadre accroché au mur. Ses genoux tremblaient. Il sentit un clou, puis un autre, jusqu’au moment où il effleura quelque chose qui ressemblait à du papier… Il tira. C’était une lettre qui lui était adressée…

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Claudia Patuzzi

Henriette II/III (Zérus – le soupir emmuré n. 3)

30 dimanche Juin 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Bartolomeo Veneto, belgique, bruxelles, chambre de garibaldi, ghislain, guerre 1915, jardin, labyrinthe, mémoire, Sain François, Zérus le soupir emmuré

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Saint François qui parle aux oiseaux.

Henriette II/III, traduction et nouvelle adaptation du chapitre II de La stanza di Garibaldi, pp. 19-21 Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus (le soupir emmuré). Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

En ce moment-ci je viens de franchir le portail vert avec le petit toit de tuiles rouges. Je salue Saint François avec un faux courage, tandis que la lame affilée du tropique commence à briser mon âme en deux. Après cette frontière, je commence un voyage à rebours dans le temps et, tout à coup, je fais partie d’un système fermé et complet : la fille, le père et la mère.

Je traverse au pas de course le petit sentier qui mène à la véranda et je transfère tout de suite la valise et l’ordinateur dans ma petite tour. J’ouvre le paquet, je pose la petite tasse à café et les trois fragments sur une étagère à côté de la fenêtre. Je mets les photos aux murs. Je sors les rames de papier, j’allume l’ordinateur et je taille mon crayon. Le parfum du café d’orge me réchauffe la main. Je suis enfin prête à écrire. Mais dehors une voix bougonne. Ce n’est pas Rolando. Il ne parle presque jamais. Il préfère le langage des gestes. D’abord, il fauche et il ratisse. Après il s’occupe du jardin et de la dératisation. Enfin, il se plonge dans le rite de l’incinération. La voix que j’entends a en revanche le ton d’une plainte capricieuse. Il n’y a aucun doute, c’est elle. Je la reconnais. C’est la voix de ma mère qui répète à loisir, sans s’arrêter :

— Mais qu’est-ce que c’est que cette machine ? Cela ne sert à rien, ils sont tous morts.

À ce moment-là, je m’aperçois que la grille est fermée et que je suis prisonnière. D’ailleurs, il fait trop chaud pour écrire. Tandis que Rolando s’affaire dans la cuisine, nous nous faisons face dans la véranda, ma mère et moi. Henriette, ma mère, la fille d’Eugénie Balthasar et sœur de Ghislain, a quatre-vingt-trois ans. Chaque jour, elle perd une infime parcelle de sa mémoire. Toutes les choses, les souvenirs, le monde entier lui échappent sur la pointe des pieds, en faisant à peine grincer la porte.

— Qui est là ? demande-t-elle, effrayée, mais dehors il n’y a personne, à part un rideau de brouillard.

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 Disegno di Claudia Patuzzi

Pauvre maman. Quelquefois, je m’arrête un instant pour regarder son visage égaré derrière le vol joyeux d’un oiseau et je me demande : qu’est-ce que la mémoire ? D’où vient-elle ? Où est-elle ? Le cerveau est-il la mère de la mémoire ? Ou bien la mémoire, comme une cathédrale gothique, représente-t-elle un monde à soi fait de petites briques sans nombre devant lequel le nom de celui qui conçut le projet initial s’est perdu pour toujours ? Ce qui compte, n’est-ce pas le résultat, l’œuvre colossale qui élève ses doigts frêles jusqu’à Dieu ?

La même chose, je crois, arrive à notre mémoire. Chacun de nous a un édifice dans sa tête : ce peut être un gratte-ciel américain, une pyramide égyptienne, une tombe étrusque ou une modeste chambre de bonne. En réalité, quel que ce soit l’aspect de l’édifice, chacune de ses briques est un monde enchâssé dans un autre, semblable et pourtant différent, comme un corail à l’intérieur d’une gigantesque barrière.

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Et si la mémoire suivait un fil semblable à la bave des araignées ? Alors, après les pluies estivales, on s’étendrait parmi les feuilles, les buissons et les arbustes, dans les sous-bois, dans les jardins ou sur les terrasses et là où auparavant il y avait une obscurité confuse, apparaîtrait une trace luisante entremêlée à mille autres labyrinthes. Peut-être que nous aussi nous marchons dans des galeries couvertes de stalagmites, parmi des toiles d’araignée. Voilà ce qui se produit à présent pour Henriette. Elle se perd dans ses galeries hors du temps, où chaque événement est entraîné dans des limbes. Quelques-unes de ses boyaux sont meublées, d’autres dépouillées comme si une terrifiante épidémie était venue y sévir. Certaines des plus anciennes ont un toit voûté et quelques restes précieux du passé, tandis que dans les plus récentes les souvenirs liés au présent errent au gré du vent, comme des fantômes, ne laissant que de faibles traces, pareilles à des voiles déchirées.

Quand je vois ma mère dans la véranda, le regard enchanté dans une soudaine jeunesse, je ne me fais pas d’illusion. Je sais qu’elle s’est arrêtée dans une galerie et qu’elle est en pleine observation.

Henriette essaie de se lever, puis reste immobile en l’air. De quoi se souvient-elle, si sa mémoire s’effondre ? Pourtant, elle semble sourire. En ce moment, elle marche dans un souterrain très ancien… Elle est née déjà et elle se voit en Europe du Nord, à Bruxelles. Elle a seulement trois mois et fixe un trou grand comme une aiguille d’où sort un rayon lumineux. Elle se situe dans un landau. Par ce trou merveilleux, son ennui se volatilise. Elle saisit la petite couverture et bat des jambes en l’air. Un enfant pâle, d’une dizaine d’années, lui parle en français.

— Tiens-toi tranquille Henriette, je suis ton frère et je veille sur toi.

C’est le printemps 1915, la guerre a éclaté. Les Allemands occupent la Belgique et Ghislain devra bientôt saluer sa sœur et sa mère. Mais Henriette, bien sûr, ne peut pas le savoir.

— Quand te reverrai-je ? Quand vous reverrai-je ?

C’est la voix de mon oncle qui remplit ce tunnel comme un écho se propageant dans les autres galeries souterraines. Henriette regarde dans le vide tandis qu’elle prononce le prénom de son frère.

— Ghislain… que lui ont-ils fait ?

Claudia Patuzzi

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Bartolomeo Veneto, Portrait de L’homme-labyrinthe, 1510. Cambridge, Fitzwilliam Museum.

Claudia Patuzzi

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