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Archives de Tag: boulevard Saint-Denis

« L’étreinte » ( histoires drôles n.24 )

29 dimanche Juin 2014

Posted by claudiapatuzzi in histoires drôles

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boulevard Saint-Denis, histoires drôles n 24, L'entreinte, metamorphose, Ovidio, Paris, Rue Faubourg Saint-Martin

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Aujourd’hui, cela a été un jour qu’il faudrait écrire «albo lapillo», c’est-à-dire avec la craie… J’étais en train de sortir pour me rendre chez toi, quand j’ai trouvé une enveloppe au-dessus de la porte. Là-dedans, il y avait une vieille photographie de nous, qu’avait prise un monsieur complaisant. J’ai tout de suite reconnu ton profil, ton rire, ma fierté en t’étreignant contre moi. Mais dans l’enveloppe, il y avait une autre chose aussi : un feuillet envahi par une calligraphie enfantine. Au fur et à mesure que je lisais ces signes, un son grinçant, ressemblant à un verrou, déchirait mon cœur :
«J’ai décidé de te rendre notre vieille photo. Finalement, j’ai trouvé le courage de dire la vérité : j’en ai assez d’une union qui ne change jamais, d’un amour qui semble bloqué dans un miroir. Toujours unis, toujours ensemble, l’un la photocopie de l’autre. Toujours le même lieu, le même rendez-vous d’un an à l’autre, à la même heure… Jamais un changement au cours des saisons et des années ! Nous sommes toujours beaux et souriants, à l’unisson, comme deux jumeaux siamois ! Nous avons toujours la même mise, les mêmes couleurs, le noir et le marron, comme nos cheveux ! Nos corps sont devenus désormais une illusion, un mirage qu’on n’attrape jamais, juste un objet à regarder. Pardonne-moi, mais je dois absolument me détacher de toi…»

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Rue Faubourg Saint-Martin  (cliquer pour agrandir la photo)

Par ces mots, tu as annulé notre rendez-vous dans le lieu habituel. Notre « nid », caressé par les regards jaloux des passants. Mais, où seras-tu en ce moment ? Peut-être, il me reste encore quelques minutes, avant que tu puisses t’évanouir à jamais. Hier, je t’ai acheté un foulard bleu enveloppé dans un paquet et aujourd’hui je n’ai que cent-vingt secondes pour traverser la rue du faubourg Saint-Martin pour saisir ton image. Dans une grande ville comme celle-ci on ne peut pas vivre seuls : on risque de mourir de désespoir… « Je dois courir plus vite que possible si je veux avoir à nouveau mon amour unique ! »

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Le trottoir est un tapis roulant qui m’engloutit dans l’entonnoir de la rue. Mais il y a quelque chose d’étrange : la rue ce n’est plus la même ! Le visage d’elle se reflète en des fantômes tellement diaphanes qu’on a l’impression de les avoir juste rencontrés dans un rêve… Voilà une espèce de fée ainsi qu’un vieux barbu avec des vêtements hivernaux… mais je ne peux pas m’arrêter ! Je dois continuer à courir…

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Maintenant, son visage se détache nettement au milieu d’un « carnaval vénitien », un nævus espiègle collé sur la joue gauche : un masque en fuite ! «Faites attention à ne pas glisser !» me susurre-t-il en m’envoyant un bisou.

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Tandis que je cours, les passants me regardent avec soupçon, ils s’arrêtent renfrognés et, si je les bouscule, ils lèvent un bras. Ou alors ils s’écrient : « arrête, voyou ! » Peut-être, ils me considèrent comme un fou. Il y en avait un, en particulier… Un homme grand et gros, vêtu d’une chemise rouge et d’une veste verte, les yeux en forme de boule, essaie de m’arrêter, mais je réussis à glisser au-dessous de ses jambes.

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Maintenant, je m’aperçois qu’une alliance s’est établie entre les habitants de la rue : d’un coup ils me barrent le passage du trottoir, furieux comme une armée… le groupe d’une bande organisée !

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Un brave homme me sauve. Ses yeux brillent de sympathie, son sourire est blanc, adamantin. Au bout d’un instant, il me fixe dans les yeux et dit : « Bon courage ! Si la matière grise était rose, personne n’aurait plus d’idées noires ! » Ensuite, il me fait cadeau d’un dentifrice.
«Faites attention à ne pas glisser !» me dit-il en agitant la main.

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Un immeuble liberty pointe vers un ciel bleu inoxydable et, pendant un instant, un fil d’espérance caresse mon cœur.« Peut-être, je fais encore à temps. Peut-être, elle est encore là, dans le même lieu de toujours… » je fantasme intérieurement, tout en reprenant ma course. «Cours ! Cours ! » me dis-je, en faisant glisser mon corps au long de la légère descente… Une blonde aux mouvances de fée, vautrée dans des soies verdâtres, me susurre : «Ralentissez !»… Est-ce que je suis déjà en train de tromper mon unique amour avec une autre nymphe plus douce qu’elle ?

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Combien de visages a-t-elle, ma belle ? «Un, personne, cent mille » ! Ne le regarde pas ! Cours, cours !

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J’ai tourné le coin entre la Porte Saint-Denis et le boulevard, je suis presque arrivé ! Mais une vieille dame s’écrie : « He ! Garçon, fais attention, là où tu poses tes pieds ! »

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Finalement, je la vois ! Elle m’attend fidèle, elle me voit… Je cours, cours, je l’embrasse en la faisant virevolter dans l’air comme un oiseau… ça y est ! Maintenant, elle ne peut plus s’échapper. Je la tiens liée contre moi, stricte comme dans un étau…

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Mais quelque chose ne marche pas, mon front gèle, les bras de ma femme se clouent, rigides, sur les miens désormais raids et froids. Une torpeur pétrifie nos jambes, tandis que les membres supérieurs s’aplatissent sous le poids d’un gigantesque fer à repassage… jusqu’au moment où on nous arrête le cœur pour toujours !
Avec la complicité d’Ovide, nous sommes devenus le lieu de notre rendez-vous. Finalement, tout le monde peut se réjouir de notre étreinte éternelle !
—Tiens, regarde ces deux, dit un type de passage. On en invente des belles pour embellir un portail !

Claudia Patuzzi

P.-S. Un paquet gît sur le trottoir. Une femme âgée mal mise le ramasse et l’ouvre. Elle caresse la soie du foulard bleu. Tout autour d’elle, il n’y a personne, juste cette étrange porte peinte et cette peau de banane. Le foulard disparaît dans la bourse des courses. Le bruit d’une sirène retentit dans le boulevard Saint-Denis, bruyant comme d’habitude.

 

 

 

 

Le sujet de son égocentrisme, ce sont les autres (Intervalles n. 2)

20 dimanche Avr 2014

Posted by claudiapatuzzi in Non classé

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Alberto Giacometti, boulevard Saint-Denis, Centre Pompidou, Dominique Hasselmann, Gilbert Jeune, Henri Cartier-Bresson, Laurent Joffrin, Métronomiques, Pléiade, porte Saint Martin, Primo Levi, Si c'est un homme

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La Porte Saint Martin (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Hier dans l’après-midi, pour profiter de la température printanière, j’ai fait une promenade en direction du Boulevard Saint-Denis, ayant pour but « Gibert Jeune ». J’aime ce magasin, fameux pour le recyclage des livres « neufs, anciens, introuvables ou d’occasion au meilleur prix ». J’aime ses vendeurs éduqués et silencieux. J’aime sa vitrine de la Pléiade, résultat de vicissitudes parfois tristes ou dramatiques.
« Combien d’anciens propriétaires sont encore en vie ? Pourquoi, en dehors de la mort, auraient-ils dû se débarrasser de leurs livres aimés ? Pour détresse ? Ou alors, avons-nous affaire à des héritiers désormais indifférents à l’élixir enivrant de la lecture ? Ou encore, pour suivre les promesses du nouveau rossignol télématique ? »
Quoi qu’il en soit, j’aime toucher les livres que des mains inconnues ont feuilletés, j’aime ces livres enrichis parfois par des dédicaces et des soulignages ainsi que de commentaires personnels, comme cette phrase écrite au crayon que j’ai découvert par hasard dans le livre de Primo Levi, « Si c’est un homme » : « Salut C. (cher ?) Primo, je reviens au camp pour te saluer et j’espère que tu te souviendras de mon venue…ta vie (mot illisible : he-de ?)

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À la fin de la préface, à la page 8, il y a cette phrase écrite à crayon : « Préface qui me fait comprendre l’intérêt de l’entreprise autobiographique ! »
À la page 130 –> « coup de cœur » suivi par le nom « Levi Primo » ( ! ?)
Plus en bas, à la page 79, il y a une note, écrite à la plume : –> « prise de conscience. »

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Dès que je suis arrivée, le rayon consacré aux livres d’art et au cinéma a immédiatement catalysé mon attention, en particulier un magazine hors série de Le nouvel Observateur dédié à Henri Cartier-Bresson, au prix intéressant de 7,90 euros au lieu de 49,90 du Catalogue de l’exposition au Centre Pompidou (dont j’avais lu récemment un très intéressant et exhaustif reportage en trois volets de Dominique Hasselmann dans son Métronomiques).

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Quand je suis rentrée chez moi, je me suis assise dans mon fauteuil, pour observer calmement les photos de cet extraordinaire magicien de l’objectif.
Dans l’éditorial, signé par Laurent Joffrin, on lit : « Toute sa vie, dans ses reportages comme dans ses promenades, dans ses portraits comme dans ses paysages, il a cherché l’instant décisif, ce moment magique où le fait brut devient une œuvre, où l’image fugace devient un tableau éternel (…) Loin de l’art pour l’art, rétif aux compositions purement graphiques, étranger à l’abstraction, il a témoigné de l’histoire et de la vie des hommes, plus que de son moi tourmenté. Mais il l’a fait en artiste. Rien n‘est gratuit chez lui, tout est social. Au terme d’un travail ascétique, il est devenu témoin d’une histoire où l’image parle mieux que le texte… L’ego de Cartier-Bresson se révèle au contact du monde. Son art se trempe au contact du réel. Pour une raison simple : le sujet de son égocentrisme, ce sont les autres. »

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Henri Cartier-Bresson: « Se lancer dans le photoreportage a été un choix radicale » (cliquer pour agrandir)

En feuilletant les pages et les nombreuses photos, j’ai pu apprécier la valeur tout à fait unique de cet homme « au Leica », à la fois voyageur et contemplatif. Jusque des premières pages, j’ai été conquise par ces déclics en noir et blanc, aussi « humains » et « simples » que « précis ».
Mais, quand je suis arrivée aux pages 48 et 49, je suis restée tout à fait foudroyée par une magnifique photo d’Alberto Giacometti : son regard est attiré par quelque chose, tandis que le bras gauche serre un journal chiffonné contre sa poitrine ; la main droite est cachée au-dessous du revers d’une veste. Il se trouve rue Hippolyte Maindron, à Paris, dans l’année 1961…

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Henri Cartier-Bresson : Alberto Giacometti, rue Hippolyte-Maindron, 1961: « l’artiste avait les mêmes passions que lui: Cézanne, Van Eyck et Uccello ». (p.48)

Pendant quelques secondes j’ai retenu le souffle : « c’est justement la photo qui m’a donné l’inspiration, en 1968, pour un de mes dessins ! » Même si le « journal » du Giacometti à moi ce n’était pas dans la langue française, mais en italien, et qu’on y figurait des mots et des évènements tout à fait différents, liés à ma jeune existence de ce temps-là.
Pendant quelques minutes je demeure comme interloquée : « je ne peux pas y croire ! Durant toutes ces années, j’ai complètement oublié que je m’étais inspiré d’une photo de Cartier-Bresson… »

P.-S. Henri Cartier-Bresson a dit de Giacometti : « Il est l’un des hommes les plus intelligents et lucides que je connaisse, d’une honnêteté sur lui-même et sévère sur son travail, s’acharnant là où on éprouve le plus de difficultés » (Le nouvel Observateur – BeauxArts, Henri Cartier-bresson, Le photographe du siècle, hors-série, p.48) 

002bis_CopertinaLevi740 Livre ancien que j’ai acheté 3 euros chez Gilbert Jeune il y a  cinq ans.

Poème placé en exergue de Si c’est un homme :

Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.

Turin, Janvier 1947, Primo Levi

Claudia Patuzzi

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