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La guerre IV/IV (Zérus – le soupir emmuré n. 37)

26 samedi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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1914, 22 avril 2016, Anvers, cyrille, Furnes, grande guerre, Silvius Brabo, Ypres, Zérus le soupir emmuré

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Fontaine avec la statue du géant Silvius Brabo dans la Grand Place d’Anvers.

La guerre IV/IV n.37, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp 151-153, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

C’était le premier septembre 1914.

Le lendemain Cyrille, cet inlassable vieux, avait déjà disparu. Avec la complicité d’un ami, il avait réussi à s’enrôler dans une des six légions d’infanteries commandées à Anvers où s’étaient repliées les forces franco-belges conduites par le général Foch.

On dit que Cyrille, n’ayant ni cheval ni manteau blanc avec la croix noire, s’était contenté d’un vieil uniforme militaire. On dit aussi qu’il s’était posté, armé jusqu’aux dents, les poches bourrées d’ail cru, sur les dunes qui longent l’estuaire de l’Escaut avec la même immobile fixité que la statue de Silvius Brabo, récitant en flamand « Dieu le veut ! ».

La seule photo que je possède de cet épisode est tellement délavée qu’elle ne nous laisse rien voir ou presque, à l’exception d’une signature flottante au recto, ne m’indiquant que le prénom de son objet — « ton Cyrille ». Le visage est une tache presque noire, mais le corps se tient, les jambes écartées, sur une dune. Ayant empoigné son fusil avec la dignité d’un Maasaï tenant sa lance, Cyrille s’apprête à chevaucher cette vague de sable comme un surfeur américain pour s’abattre ensuite sur la clairière environnante.

Je ne vois pas ses yeux, mais je comprends que ce n’est pas nécessaire. Bien qu’il ait déjà soixante-deux ans, il a la fougue d’un jeune d’une vingtaine d’années à sa première bataille. La Sorcière-Mort se garde bien d’effleurer ses épaules. Autour de lui, il ne reste que le jaune citron des sables, le jaune usé des brumes, la fumée imprégnée de soufre de l’artillerie et des canons avec le jaune bleu, atrocement blême et souillé de sang, des survivants du Zwin. En bas, je parviens à lire avec peine le lieu et la date du 1er octobre 1914.

Certains disent l’avoir aperçu sur l’Yser, au nord-est, combattant l’épouvantable « course à la mer » des troupes allemandes ; d’autres le dépeignent à moitié gelé et presque sans connaissance à l’hôpital de campagne de Furnes ; des témoins plus soignés en signalent la présence à Ypres, le 22 avril 1916, désormais suspendu dans l’existence larvaire du coma, mais ayant miraculeusement survécu aux gaz toxiques allemands ; il y a aussi quelqu’un qui jure avoir vu Cyrille, sain et sauf, le 26 septembre 1918, dans le petit béguinage de Courtrai, dans la petite maison numéro vingt-sept, appartenant à la Supérieure. Ce fut dans cette île pacifique que son corps, balloté par les événements de la guerre, reprit contact avec les méandres imprévisibles de l’Histoire.

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Claudia Patuzzi

Annibale Fata – V/VI (Zérus – le soupir emmuré n.31)

15 mardi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

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Annibale Fata, Anvers, Delft, ghislain, invasions des Allemands, la grande guerre, Liège, Namur, Zérus 31, Zérus le soupir emmuré

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Incertitude, place de Delft 2013, photo de Claudia Patuzzi

Annibale Fata V/VI, n.31, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 131-135, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

L’anniversaire de Ghislain tomba dans une journée pluvieuse que l’invasion des Allemands, en action désormais depuis plus de deux mois, rendait encore plus sombre. Ghislain était fatigué par les marches forcées qui le contraignaient à des allers-retours de l’école sous le vent et la pluie. La tante Germaine n’avait pas encore trouvé de fiancé et semblait amaigrie. Eugénie aussi, souffrant d’un gros rhume, semblait plus nerveuse que d’habitude. Son frère préféré, Prosper, était parti au front. Léopold était resté à Bruxelles pour vendre des chaussures fabriquées pour les Allemands, Irma s’était mariée à Dinant, maintenant elle était enceinte. Et, pour finir, la résistance organisée par le roi Albert à Liège et à Namur avait été un échec.

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Inévitablement, une crise économique avait vu le jour. Niba avait perdu son travail et l’argent envoyé d’Italie était bloqué au-delà des Alpes. Les profits du magasin de mode s’étaient effondrés, car les riches bourgeoises préféraient faire la queue chez l’épicier ou chez le boucher, ce qui réduisait douloureusement le personnel. En ce moment, les troupes allemandes du général Von Kluck assiégeaient Anvers et la capitale était assombrie par l’apparition de centaines d’automobiles remplies d’uniformes militaires. Dans les magasins, le lard, les oeufs, le pain, le sucre, le sel commençaient à disparaître progressivement, mais les gens feignaient de faire des diètes « salutaires » et « passagères ». On parlait de « guerre éclair » et chaque citoyen respectable préférait ignorer les conséquences de ce contexte en se repliant dans une coquille protectrice. Les habitations ressemblaient à des bunkers où les portes fermées et les rideaux tirés marquaient d’infranchissables frontières.
Même la rue du Remorqueur subissait ce climat général, devenant de plus en plus déserte et dépouillée. Les feuillages du parc Léopold s’étaient teints de la poussière grise de la guerre et quelques corbeaux avaient fait leurs nids au sommet des arbres.
Avec cette vague sombre disparut aussi le gobelet de vendeuse de la loterie de madame Slutter. Dans la fureur et la hâte, l’immense femme avait fait ses valises pour aller défendre « sa » ville, Anvers, contre le feu des Teutons. Jacassant en flamand quelques mots décousus — « Tharnasch maeckt my een stovten haen, ick hanghe de kat de belle aen ! ». Ces mots voulaient dire « l’armure fait de moi un guerrier hardi et accroche une clochette au chat » —, elle avait enfilé un lourd pardessus et, d’un pas militaire, s’était dirigée vers la rue Belliard.
Avant d’être engloutie par la guerre et de se noyer dans l’inondation des Flandres, Madame Slutter, arrivée au coin de la rue, s’était tournée un instant.
— Mon pauvre petit amour ! avait-elle dit, en se mouchant. Puis elle avait repris courage et rougissant comme une écolière avait envoyé à Ghislain un baiser plein de nostalgie.
Ce jour-là, Niba arriva à la maison avec son cadeau : deux paquets recouverts de papier journal. Il resta un instant silencieux puis il ouvrit le plus gros des paquets.
— Qu’est-ce que c’est, papa ? demanda Ghislain.
— C’est un genre de radio… Je l’ai faite de mes mains. Il faut la syntoniser…
Tout le monde retenait sa respiration en attendant d’intercepter de cet amas de fils parlant des messages sur la guerre qui arrivaient de France, de Hollande ou d’Angleterre. Quelquefois fusait une phrase en anglais interrompue par des sifflements très aigus.
— Et l’autre paquet ? demanda alors Ghislain.
— Celui-là nous l’ouvrirons après… sourit Niba.
En résumé, Annibale Fata était un radiotélégraphiste, expert en électricité. Quelques-uns disent qu’il a participé à des émissions expérimentales de concerts depuis le château royal de Laeken. Parmi ses autres activités, il y avait aussi le commerce de fusils de chasse et d’explosifs et, surtout, la fabrication de la bière.
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Enscher – L’oeil,  La Haye

Bruxelles, le 30 septembre 1987

Chère petite fée, l’emménagement rue du Remorqueur fut un événement parmi tant d’autres et pourtant l’un des plus beaux et des plus importants de ma vie. Depuis que le petit tableau d’Icare a disparu, je me souviens d’un étrange objet en fer que Niba avait fabriqué pour moi. C’était mon cadeau d’anniversaire. Un genre de télégraphe-jouet muni d’un électroaimant et un crayon qui recevait sur une bande roulante de papier d’étranges S.O.S.
Avec ce « télégraphe », Niba et moi nous faisions semblant de communiquer avec la France et l’Angleterre, déchiffrant des messages compliqués de notre invention. Ce fut grâce à ce « jeu » que j’ai pu vivre le début de la guerre sans drames et presque avec joie.
Mais j’étais curieux d’autre chose. Après avoir tracé quelques petits points et deux petites lignes pâlies, je rampais sur le matelas et levais la tête vers le mur des aconits bleus : là justement où Niba avait accroché trois photographies. Je les regardais pendant des heures sans jamais me fatiguer…

Un S.O.S.

Claudia Patuzzi

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