• À propos

décalages et metamorphoses

décalages et metamorphoses

Archives de Tag: Annibale Fata

Les voici mes bijoux à moi ! (Zérus – le soupir emmuré n. 61)

23 samedi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

1928-29, Annibale Fata, Celeste, Cornélie mère des gracques, Ettore, i fratelli Fata, Macerata, Marche, Orso, Perla, Sebastiano, Sirio, Teresa Amadori, Zérus 61, Zérus le soupir emmuré n 61

001_I fratelli 180.jpeg- Version 2Les six frères : Niba, Sirio, Sebastiano, Ettore, Orso, Bartolomeo.
(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Les voici mes bijoux à moi ! I-b/IV n. 61, deuxième partie, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.234-238, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

« Un an plus tard naissait Annibale… » continuait à rêver Teresa.
— Celui-ci est un révolutionnaire, un esprit aventureux, lui avait dit la sage-femme. Il a la tête à l’envers et je dois le tirer par les pieds…
— Non, je ne veux pas de forceps ! Elle avait tremblé, parce qu’elle avait vu des centaines de jeunes filles mourir ainsi…
— Il faut les forceps, sinon la Mort le mangera.
Teresa n’y croyait pas : — Il est plus gros que le premier. Il naîtra tout seul.
— Sans le forceps, le diable l’emmène en landau ! marmonnait la sage-femme en secouant la tête, puis elle répétait comme une berceuse : — Non, la Mort va le manger !
Teresa se couvrait le ventre pour protéger ce malheureux. Elle regardait cette vieille serrurière avec les yeux enflammés d’un loup sous la neige. Mais l’accoucheuse ne faiblissait pas.
— Et alors ? Pourquoi ces protestations ? C’est qu’il ne veut pas sortir, celui-là. Allez, il faut passer les Alpes ! Et elle riait entre ses dents.
Ce fut alors que Teresa vit le côté nocturne de sa vie. Elle s’allongea calmement sur le lit en disant :
— Je le jure sur Dieu, ce fils franchira les Alpes.
L’accoucheuse ouvrit les bras : — Priez Dieu qu’il en soit ainsi.
Annibale Fata saisit le message et se retourna d’une pirouette dans le liquide amniotique. C’était vrai. Il ne voulait pas naître. C’était trop beau de continuer à naviguer en tout sens dans cette eau chaude et tranquille. Qui avait dit qu’il ne savait pas nager ? Il ondoyait dans ce bouillon par les seuls déplacements de son buste et en donnant un coup de hanche… Il ouvrit sa bouche encore dépourvue de dents en avalant cette eau primordiale jusqu’à s’en remplir les poumons et l’estomac. Puis il se dirigea en hurlant vers la bouche de l’utérus : — la mer, où est la mer ? Mais personne ne le comprit.
Teresa était une femme intelligente. Trop intelligente, donc incapable d’accepter le monde tel qu’il est et de se contenter des prénoms extravagants qu’elle avait donnés à sa progéniture. Elle avait fait comme Moïse. Elle avait cherché sa terre promise, elle avait obtenu un prêt, avait laissé la campagne de la Pieve et la ferme, et elle avait déménagé en ville, au Palais. Mais avaient-ils vraiment trouvé la terre promise, elle et ses neuf enfants ?
À en juger comment Sirio errait dans la maison, on répondrait non. Il avait changé depuis qu’il avait renoncé à l’amour. Il suffisait qu’il se montre à une fenêtre dans la cour pour que la panique se crée : le bruit de l’Usine et les battements de cœur étaient multipliés pour cent, le travail des ouvriers s’accélérait dans un rythme convulsif par peur qu’il ne parle ou qu’il éternue.
Par contre, Niba n’avait pas changé. Même s’il était la tête pensante de l’Usine il n’attendait que le moment de quitter son tablier pour se lancer à la poursuite de la mer, des batailles et de l’escrime, pour courir au Théâtre, voir des pièces, entendre des concerts, ou aller au club du bridge, où des veuves disponibles rivalisaient pour lui. Ses fils, il les avait laissés à Céleste et à elle, Teresa. Et maintenant, il était sorti avec cet étrange cousin éloigné…

003_I fratelli-180jpeg - Version 2

Dessin de Paolo Merloni, cliquer sur la photo pour l’agrandir

C’étaient Sirio et lui qui avaient eu l’idée de reprendre le Palais et l’Usine, ils en surveillaient le bon fonctionnement comme deux aigles…
Et Orso ? Beau comme Adonis et ombrageux comme une bête sauvage, c’était le seul qui n’avait pas étudié. Il conduisait les camions, courait comme un fou, riait sans raison, couchait avec les femmes de mauvaise vie et ne se levait plus le matin. Maintenant, il jouait au fasciste parce que la chemise noire lui allait bien.
Le quatrième, Ettore, faisait l’amour avec les paysans et les ouvrières. Mais il était indispensable : il savait travailler le fer et le bois mieux que Vulcain et il réussissait à réparer les machines et à installer un équipement en une seule nuit.
Bartolomeo, l’avant-dernier, détestait la bière et fuyait la saleté des machines en s’échappant au quatrième étage. Il faisait des études de géomètre, mais il avait la passion de la chimie. La nuit, c’était comme s’il veillait, aussi de jour leur semblait-il usé.
Elle l’avait dit : — Ce fils a les yeux trop bleus, trop clairs, du sang normand doit couler dans ses veines. Un mauvais présage…
Il lui restait seulement le dernier, Sebastiano, qui lui ressemblait comme une goutte d’eau. En lui, elle retrouvait sa mélancolie, sa façon de reconnaître l’autre côté de la vie. Mais il était un athlète : sur les barres parallèles, il volait ; il faisait du ski comme un Dieu. Elle l’avait envoyé en Norvège parce qu’il aimait la neige et qu’il voulait apprendre le style de Kristiania. Il en était revenu avec dix boîtes de saumon fumé… Il était un champion et tenait la comptabilité de l’usine.
« Que disait-elle, Cornélie, mère des gracques ? Ah, je me souviens, elle disait : – Les voici mes bijoux à moi ! »

002_Perla-Celeste180jpeg-Version 2

Perla et Celeste (cliquer pour agrandir la photo)

Les femmes ? Seule Perla lui faisait du souci avec les fantaisies remplissant sa belle tête. Elle réclamait du matin au soir : « je veux ce vêtement, je veux cet autre chapeau, la couturière s’est trompée, je ne veux pas de passatelli [1], je veux de la soupe… »
Mipento était tellement laide qu’elle ne pouvait pas la regarder. Ébouriffée comme une chouette effrayée, elle volait sans bruit dans ses clochers remplis d’au-delà. Quand elle arrivait, on ne l’entendait jamais et en avait peur.
— Où es-tu allée ? lui demandait toute la famille.
— Voir le jardin de l’archiprêtre ! répondait-elle. Puis, silencieuse, elle recommençait à nager dans l’air.
Sans l’aide de Céleste, elle, Teresa serait devenue folle avec tout ce déchet d’enfants entre ses bras. Et pourtant, elle n’avait pas voulu capituler : après la limonade et la glace, ils avaient produit de la bière et du jus d’orange ; le nom « FATA » apparaissait en relief sur les bouteilles et aussi sur le camion et le jour de marché la cour fourmillait comme une assemblée. Elle avait poursuivi son chemin, sans jamais s’arrêter…

006_Goffr- Giacomo-180jpegDEF

Bartolomeo et Sebastiano (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi


[1] Pâtes italiennes.

Une année terrible (Zérus – le soupir emmuré n. 50)

10 dimanche Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Annibale Fata, Bruxelles 1919, ghislain, gustave moureau, henriette, hydre de lerne, jean baptiste de la salle, Niba, Overijse, Rolando, zérus le soupir emuré 50, zérus n. 50

001bis_Aconitum652_variegatum

Une année terrible III-IV/VI n.50, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.197-201, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Bruxelles, le 5 février 1989

Ma petite fée,

1919 fut pour moi une année terrible. Niba, mon père, était parti en Italie servir dans la Marine. Seulement quelques cartes postales de navires et un mot d’encouragement : — nous nous reverrons bientôt. Mais quand ? Pendant ce temps, j’étais seul… Jusqu’en septembre, j’ai vécu rue du Remorqueur avec la tante Germaine, encore célibataire, mais déjà liée à son futur mari, l’oncle André. Je demeurais dans le grenier vide. Le jour, je continuais à aller à l’Institut Saint-Pierre, le soir je dormais dans le grand lit de fer qui ensuite fut vendu avec tout le reste. Il ne resta que le papier peint avec les aconits bleus.
J’ai cherché dans les dictionnaires l’origine de cette fleur qui pendant tant d’années a veillé sur moi : on l’appelle casque de Jupiter, casque de Troll, casque d’Odin ou chapeau de fer et on la croyait capable de rendre invisibles les chevaliers errants. Oh petite fée, combien aurais-je voulu être invisible, pouvoir m’échapper et partir vers l’Italie dans la maison des Fata ! Je ne voulais pas considérer le destin de cette fleur prodigieuse. Ne savais-je pas qu’elle prend peu à peu l’étymologie douloureuse d’herbe du diable, une fleur aussi belle que vénéneuse ?
Mais comment pouvais-je prévoir ce qui allait se passer ? Et pourtant, j’eus quelques signaux. Quelques jours après la mort de maman, dans l’école que je n’ai pas quittée depuis cinquante ans — j’y suis professeur, maintenant —, un de mes enseignants, un Frère Chrétien, s’approcha de moi d’un air compatissant :
— Mon cher fils, j’ai un livre pour toi, me dit-il.
— Merci. Qu’est-ce que c’est ?
— La vie de notre saint fondateur, Jean Baptiste de La Salle.
Je demeurai perplexe et indifférent.
— Tu veux le lire, mon fils ?
Je dis que oui. Pouvais-je dire non ? Après un mois, je le ramenai. Mon professeur me demanda si je l’avais trouvé intéressant. Je dis que oui. Je mentais. Je n’avais même pas ouvert le livre. Puis il m’a demandé si je ne voulais pas devenir un Frère chrétien : j’ai répondu par un beau non. Mais, comme tu le vois, cela n’a pas suffi.

Une victime

004_bicchiere_740_jpeg

Cette nuit, Henriette n’a pas réussi à dormir à cause de la canicule. Elle était adossée au coussin et fixait le verre sur la table de nuit, comme si elle le voyait pour la première fois.
— Déplace ce verre, s’il te plaît ! Il m’ennuie…, a-t-elle dit, sans explications. Si elle fermait les yeux, le verre réapparaissait à moitié rempli devant elle : une pauvre chose dénuée de sens.
Peut-être est-ce le brouillard qui l’a épouvantée. Outre la perte de la mémoire, j’ai l’impression qu’elle ne voit plus très bien.
— Où est la grille ? Je ne la vois plus… C’est le sortilège du grand pré, crie-t-elle depuis la véranda.
Henriette a raison. Une vilaine brume et un silence menaçant recouvrent le grand pré depuis deux jours. La brume est arrivée d’un coup, comme une invasion : un matin, je n’ai plus rien vu, ni le grand pré ni les pins. Des intrus faits de vapeur traversaient le jardin tandis que le ciel écrasait les arbres sous son poids. C’est alors que les os du chêne ont commencé à gémir avec une voix presque humaine, comme s’ils étaient des épaves à la dérive sur les plages de la mer du Nord, la mer assassine.
Le côté nord-ouest aussi a subi un assaut. Deux museaux de vache ont secoué la haie derrière la maison, en grattant les épines et creusant des galeries entre les broussailles.
— Qui me déplace ce verre ? continuait de crier Henriette épouvantée, tandis que Rolando était occupé à frapper ces vaches avec une poêle. On aurait dit qu’il brandissait une épée et l’abattait avec violence sur les cornes des envahisseurs en hurlant : — Allez-vous en sales bêtes, n’entrez jamais ici… PAM ! PAM ! Sous cette grêle de coups, les vaches se sont retirées dans la brume comme les Russes dans la neige de Nikolaevka[1].
Lorsqu’un autre matin s’affiche, un hurlement déchire le silence. Est-ce Henriette ? Je me penche à la fenêtre, le grand pré est un lac couleur de lait. Je frissonne. Un terrible tempérament géologique sommeille sous le manteau de vapeur, prêt à sortir comme l’Hydre de Lerne.

006_Idra512-Gustave_Moreu

Gustave Moreau, 1976, Chicago, Art Institute

Ce n’est pas d’ici, au nord-ouest, que vient le cri…
Sous le grand chêne, je vois Rolando près du puits, avec une pelle à la main. D’entre les fusains, Henriette débouche en murmurant : — Maudite !
Peut-être pense-t-elle à la Belgique. Puis elle ajoute, avec douceur :— Qu’est-ce que tu veux y faire ? C’est tout un fricandeau de morts…
Rolando fixe le gravier, immobile. Qu’est-il en train de regarder ? Un bout de fer ? Une branche cassée ? Puis je comprends : c’est une vipère.
— Je l’ai tuée avec la pelle, elle était derrière le puits… dit-il.
— Mais elles avaient disparu, cela doit faire plus de trente ans qu’elles n’entraient plus dans le jardin…
— C’est un animal têtu, soupire Rolando, c’est elle qui a voulu mourir.
J’éprouve un sentiment de peine qui d’un coup se change en joie. Les vipères du grand pré retournent dans le jardin. Le gardien a vu errer aux alentours des renards et des fouines. Un genre de faucon a rasé la colline. Est-ce un présage ? Ce jardin est irréel. Il ne peut pas gagner sur la nature. Le grand pré se venge…
Est-ce l’hurlement de la vérité qui veut reprendre le dessus sur la mensonge ?
Je regarde le côté nord-ouest, cette brume du Loch Ness. Je lève les yeux vers la petite tour à droite, vers le désordre qui y règne agréablement, vers les rames de papier, l’ordinateur allumé : le « fait » de Ghislain est sur le point d’éclater comme un amphibie monstrueux qui respire de plus en plus vivement en moi.
Rolando pique la vipère avec le râteau, la soulève en l’air, puis se dirige vers le grand pré.
— Là ! crie-t-il, en jetant le serpent au-delà du filet de ronces. La vipère ressemble à une branche morte. Pendant un instant, elle reste accrochée parmi les campanules, une épine lui entre dans la gorge et y reste accrochée, puis elle tombe de l’autre côté.
— C’est fait ! conclut Rolando.
— Ça pue pour tous, cette domination barbare [2] ! commente Henriette en secouant la tête.
N’est-ce pas ainsi que Ghislain finit-il à Overijse ? N’a-t-il pas été attiré par un jardin fleuri, avant d’être ruiné pour toujours ?
Maintenant que la vipère est morte et qu’elle est rentrée dans son royaume, la brume tombe sur Rolando, le couvrant d’un pardessus boutonné de la tête aux pieds. Même si j’essaie de détourner le regard, ce brouillard, dans sa rigueur dépouillée, continue à me rappeler quelqu’un : mon arrière-grand-père, Cyrille Balthasar.

Claudia Patuzzi


[1]   Bataille qui opposa sur le front de l’est, les troupes soviétiques aux troupes italiennes principalement, le 26 janvier 1943. Parmi les combattants se trouvaient les futurs écrivains Nuto Revelli et Mario Rigoni Stern.

[2]   Citation célèbre, en Italie, du Prince de Machiavel (1532).

Le départ de Niba (Zérus – le soupir emmuré n. 49)

09 samedi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

Annibale Fata, garibaldi, ghislain, mobilitasion, rue du Remorqueur, Zérus le soupir emmuré 49

001_placedugrandsablon740-jpeg copie

Le départ de Niba II/VI n.49, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp.194-197, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

En apprenant que l’état de santé d’Eugénie avait empiré, Niba s’était précipité à Bruxelles deux semaines avant sa mort. À la fin de la guerre, il n’avait que trente ans. Il était venu rue du Remorqueur avec l’uniforme bleu de la Marine royale italienne. Il avait maigri et semblait plus grand. Son uniforme de radiotélégraphiste était comme neuf, les poignets repassés, les boutons envoyaient des reflets dorés. À la différence de cet habillement, son regard apparaissait vieilli. Toute sa jeunesse avait disparu d’un coup, obscurcie pour toujours par la tension de la guerre et de la douleur. La pâleur de son visage avait augmenté et Ghislain éprouva, devant cet homme encore beau et compassé, un sentiment d’étrangeté.

002_Annibale Fatainvecchiato740 - Version 2

Niba veilla Eugénie durant quatorze jours. Lorsqu’elle expira, il resta assis au pied du lit de fer, les yeux sans larme fixés sur le sol, les mains entrelacées comme en prière, le front effleuré par la lumière de la lampe, tandis que le cœur de Ghislain explosait, emporté par un tourbillon d’étoiles mourantes.
Quand toutes les cloches de Belgique entonnèrent le Requiem, il sembla ne pas les entendre. Il ne vit pas le vol d’Eugénie ni son clin d’œil mélancolique. Tout au moins, il ne comprit pas son silencieux message. Son accoutumance à la mort, la plus vieille de la terre, était celle du chasseur. Depuis tout petit, il l’avait cherchée dans les épreuves, dans les défis. C’est seulement en la provoquant qu’il parvenait à enlever à la mort son masque trompeur.
Cela ne lui était pas difficile. Niba était un acteur qui aimait les impromptus. La mort avait pour lui la trempe d’une jeune femme à soumettre à la force du coït. Dans cette étreinte, elle lui offrait le même orgasme qu’une victoire dans l’escrime ou la conquête d’un sommet. Pour cela, il avait refusé l’enfer de la vie de tranchée où le soldat pourrit dans la boue, parmi les puces, la dysenterie et les poux. Pour cela il avait choisi la mer qui n’avait ni commencement ni fin. En plaisantant, il disait que le seul moyen d’affronter la mort était de la considérer comme une ville touristique, où chaque place a son église, sa cathédrale, ses fontaines, comme Venise : —  Il suffit d’avoir une carte et de ne jamais s’arrêter, disait-il en riant.
Pour cela, il repoussait toute fantaisie dont l’issue était incertaine. Là où il n’y avait pas de projets, il voyait toujours la mort cachée à chaque croisement : — une commère puritaine et ennuyeuse.

rue du Remorqueur

Bruxelles, Rue du Remorqueur « rebaptisée » rue Wirtz

Juste après les funérailles, Niba démantela la radio et le télégraphe, ôta les trois « photographies » du mur et les mit dans sa poche. Ghislain s’en aperçut.
— Papa, pourquoi as-tu ôté le télégraphe ?
— C’était seulement un jeu, Ghislain.
— Papa, où sont les photographies ?
— Je les ai enlevées : à quoi servent-elles désormais ?
« Et moi ? Comment vais-je finir ? »
— Tiens, je te laisse Garibaldi, lui dit Niba, déjà sur le seuil. Il ne voyait pas les larmes de Ghislain. — Garibaldi est mort. Il est M-O-R-T ! dit-il.
Ghislain éclata en sanglots. C’était pénible.
— L’époque de Garibaldi est finie pour toujours…
— Il faut croire en quelque chose, papa ! Maintenant, Ghislain avait la voix ferme d’un homme mûr.
— Tu n’as jamais vu la guerre… continua Niba sans le regarder dans les yeux. Ghislain vit qu’il observait quelque chose derrière lui et se retourna. Un spectacle terrifiant se déroulait derrière son dos : le grenier devenait un désert, la Méditerranée se retirait le long des murs de la pièce, disparaissant avec un gargouillis sombre entre les fissures et les lézardes du mur.
Niba n’y prêta aucune importance et ajouta : — Je t’écrirai bientôt, tu verras…
— Papa ! cria Ghislain, sentant qu’il s’enfuyait pour toujours.
Mais Niba continuait à parler tout seul : — La permission se termine demain à midi. Après-demain, je dois reprendre mon service. Seules les classes les plus anciennes de la Marine italienne ont été libérées, pas moi… Ghislain le voyait glisser sur les canaux de Venise et courir sur le quai vers un torpilleur.
Une longue pause de silence s’interposa entre les deux. Puis, Niba reprit son refrain : — Cher Ghislain, la « Mo-bi-li-ta-sion » est en cours ! Il scandait les syllabes, comme si cela suffisait à justifier son départ.

003_le preghiere dei soldati-600-jpg - copie

Maintenant, il descendait les escaliers. Ghislain apparut à la balustrade.
— Niba ! cria-t-il.
Il descendit.
— Niba !
Il continua de descendre.
— Papa !
Niba s’arrêta. Sa main sur la rampe. Était-ce parce que sa mère était morte ou parce que maintenant tout devenait compliqué ? Il leva les yeux et cria :
— Qu’est-ce qu’il y a, Ghislain ?
— Quand reviendras-tu ? Quand vais-je revoir mes frères ?
Niba eut un sursaut. Il lui fit un signe bref, comme ferait quelqu’un qui veut chasser une mouche : — Reste tranquille, Ghislain, je te donnerai des nouvelles au plus vite… Il y a beaucoup de choses que je dois régler, la guerre, l’usine. Ton frère et ta sœur sont encore petits. Désormais, je suis veuf comme tu le sais…
— Oui, je suis grand désormais…
Niba était maintenant arrivé au deuxième étage. L’odeur de madame Slutter se sentait dans l’entrée. Ghislain se jeta dans les escaliers au risque de se casser la figure. Quand il arriva en bas, la rue était vide. Plus loin, au croisement de la rue Belliard, à l’endroit où madame Slutter lui avait envoyé son dernier baiser, il vit une tache bleue. C’était l’uniforme de Niba qui avançait droit, sans se retourner.

004_occhio lacrima 740

Dessin de Roland Searle.

Claudia Patuzzi

La chaussée d’Alsemberg V/V (Zérus – le soupir emmuré n. 42)

02 samedi Nov 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

années 1916-1917, Annibale Fata, ardito, Chaussée d'Alsemberg, ghislain, Mas, Nazario Sauro, Nino, torpediniere, venezia, Zérus le soupir emmuré 42

La chaussée D’Alsemberg V/VI n.42, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 166-170, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

…Le Niba, au contraire, ne se laissait pas impressionner. On dirait plutôt que dans toute cette eau salée il s’aventurait presque heureux, avec ce sentiment d’enthousiasme prudent qui lui venait du succès de ses opérations militaires. Ghislain reçut deux photographies de Niba envoyées de Suisse. Sur la première, il était habillé en marin, comme Bras de fer, le visage plus beau, le béret plus blanc, l’uniforme repassé et propre, le visage encore jeune. Mais un regard d’ébène, tendu pour lever l’ancre du port de Venise, le trahissait déjà. Il avait seulement vingt-huit ans.

001_Niba 2caporadiotel-600-1916 008

Sur la seconde photographie, de la même année — 1916 —, il a fait carrière et il semble plus vieux : sous un béret décoré, la barbe a disparu, il reste les moustaches droites et soignées, le visage harmonieux à la mâchoire large. C’est un « ardito » [1], l’un des marins les plus audacieux. Au-dessous de la photo, on peut lire : « 2e chef R.T. » [2]. Et sur le côté, la devise « Memento Audere Semper ! » [3]
Niba se moquait bien qu’à cette époque les petits torpilleurs de trois-cents tonneaux soient une catégorie déjà dépassée par les contre-torpilleurs de mille trois cents. Sa base d’opérations était l’Adriatique, le seul lieu où les Italiens et les Autrichiens utilisèrent les vieux torpilleurs avec succès. Il pataugea dans cette mer fermée, entre l’Istrie et Venise, comme une anguille ou une torpille.

002_Torp2sc-180

L’écho de ses entreprises était arrivé jusqu’à Bruxelles, et Germaine, chaque fois qu’elle ouvrait les lettres de Gény frappées de timbres suisses, proférait deux ou trois exclamations pas vraiment orthodoxes.
— Eh bien, Niba est sur les Mas! [4] Il a attaqué la place forte de Pula avec le comte Ciano !
Quelques mois plus tard : — ils sont à Venise, dans le Dorsoduro, tu as un petit frère, Ghislain.
— Un petit frère ? demanda-t-il, ne comprenant plus rien à ces retournements si soudains qui le contraignaient à vivre la joie et la douleur depuis son grenier de la Chaussée d’Alsemberg.

003_Nino-600scanner002

— Il s’appelle Nino, frémit tante Germaine, en lui serrant très fort une main. « Maman a suivi Niba à Venise… »
Ghislain essaya d’imaginer le visage de ce nouvel être qui était entré dans la famille à la dérobée. Il éprouva de la colère pour cette autre vie qui se développait à une vitesse vertigineuse, tandis que la sienne pourrissait lentement entre le pensionnat et la maison de l’oncle Léopold.
— Lis : Niba a été le camarade de Nazario Sauro [5].
Ghislain regarda la carte postale avec la photographie de Nazario Sauro et n’éprouva absolument rien. La nouvelle même de sa mort ne le troubla pas beaucoup. S’il avait été pendu par les Autrichiens à Pula, qu’est-ce que cela pouvait lui faire ? Ses pensées étaient bien différentes. Où était sa mère ? Pourquoi ne l’avait-elle pas emmené en Italie ? À ces questions-là, il ne trouvait pas de réponses.

004_Nazario Sauro-600-1916 005

Bruxelles, le 16 mars 1988

Ma petite fée,

Aujourd’hui, c’est ton anniversaire : tous mes vœux ! Vive la bonne fée qui donna à un homme de plus de soixante-dix ans un retour de jeunesse ! En ce moment, sais-tu ce que je fais ? Je porte un verre de Cinzano en ton honneur, accompagné d’un cigare, seul dans ma chambre, tandis que j’écoute la symphonie pastorale de Beethoven. Qui sait si ce soir je ne me cuisinerai pas un plat de « tortiglioni »… [6] 
La maison de l’oncle Léopold était haute de quatre étages. Au rez-de-chaussée, deux chambres qui donnaient sur la rue : l’une était le bureau de mon oncle, l’autre faisait fonction de salle à manger, cuisine, lavoir, salle pour les jeux et les devoirs. Le premier étage était loué. Au second, il y avait deux greniers : un pour les cousines et un pour les oncles. Au troisième étage, le grenier où nous dormions : Catherine, la jeune femme de ménage, et moi. Les cabinets étaient à l’extérieur, dans la cour.

004_Alsemberg740

Chère petite fée, dans la maison de chaussée d’Alsemberg, j’ai dû dormir sous les tuiles nues, avec les vieilles choses. L’hiver, nous n’avions pas de poêle, quand il faisait moins dix ou moins quinze, nous restions sans bougies, ni lampes d’aucune sorte. De combien d’engelures et de bronchites ai-je dû souffrir à cette époque et combien de cuillerées d’huile de foie de morue ai-je dû avaler.

La jeune femme de ménage dormait dans un coin du grenier. Nous étions séparés par un rideau de toile rapiécée, nous étions dans l’obscurité et elle se déshabillait à quelques mètres de moi en se glissant dans un matelas de crin : chacune de ses respirations résonnait, quand elle se retournait dans le lit le matelas grinçait. Je ne dormais pas seul, tu comprends ? Et j’avais douze ans ! Quelle curiosité masculine pour un enfant de cet âge ! Ne pourras-tu jamais me pardonner ? Je découpai ainsi la toile avec les ciseaux et je créai, sur un côté, une fente un peu plus grande que celle qui séparait une poutre de l’autre. Chaque nuit, je m’aplatissais avec le cœur qui battait la chamade en attendant que la jeune fille se dévêtît.
Un jour de pleine lune, les rayons illuminèrent le coin de Catherine en me dévoilant entièrement ses formes. Je vis, le cœur noué, que Dieu me pardonne, comment était faite cette jeune fille. Sans le vouloir, cette créature me montra toutes les parties de son corps, révélant, dans les mouvements de ses bras et de ses jambes, la zone la plus inaccessible au regard préservée par la nature par un duvet dense et luxuriant… Je sus donc, pour la première fois de ma vie, comment était faite une femme bien que je ne savais pas encore le nom exact de ce que j’avais vu. Avec l’aide et le pardon de Dieu, je devins homme cette nuit même, en éprouvant des sensations de plaisir que je n’avais jamais imaginées. Et combien différentes du dégoût que j’éprouvai sur le palier sous la jupe de madame Slutter ! Cette femme jeune et belle, la voir suffisait à attiser de nouveau mon plaisir…
Oh mon Dieu, si c’est du péché, alors je suis pécheur dix fois. Mais j’avais douze ans et j’étais entouré de femmes. Chaque samedi, j’étais enveloppé par des vapeurs d’eau qui jaillissaient au milieu de serviettes et de cousines nues se lavant dans la bassine. Christiane, après un baiser, s’échappait et je restais seul avec moi-même, sans personne qui puisse calmer mes sens ou me donner conseil. J’étais gêné devant ma tante Germaine…
Quand il fit mauvais temps, je ne vis plus jamais ces formes, alors que j’essayais de lorgner à travers la toile à en perdre le sommeil. Je ne vis plus de corps de femme, sinon une fois en Italie. … Le sirop de betterave, la mélasse, le saindoux et le miel de Dinant, que je dévorais en cachette dans le grenier, ne suffirent pas à me consoler. Comme je m’approchais de ce pot de terre cuite, je pensais aux formes de Catherine et en plongeant les mains dans le miel je pensais la caresser et ainsi je réussissais à me calmer un peu.
Voilà tout, ma chère petite fée. Pourtant, avant de m’endormir, je regardais toujours le ciel de ma petite fenêtre et je priais pour ma mère. Je cherchais les étoiles, en songeant qu’elles resteraient toujours les mêmes, à trois mille kilomètres de distance encore. Et qu’elle aussi, à Venise, en ouvrant ses volets, aurait pu les voir se refléter sur les canaux.

Un pauvre pécheur.

005_Venezia-600-1916 004

[1] « Hardi », soldat des troupes de choc pendant la Ière Guerre Mondiale.

[2] Second Chef Radio-Télégraphiste en service auprès du Commandement militaire maritime autonome de la zone nord Adriatique de la Marine royale.

[3] « Rappelle-toi : il faut toujours oser ! »

[4] Vedettes lance-torpilles italiennes.

[5] Nazario Sauro (1880-1916), de nationnalité autrichienne, milita pour l’entrée en guerre du royaume d’Italie contre l’Autriche. Officier de la marine royale, il fut fait prisonnier par les Autrichiens en 1916, qui le condamnèrent à mort pour haute trahison.

[6] Pâte italienne à l’oeuf.

Claudia Patuzzi

Annibale Fata VI-b/VI (Zérus – le soupir émmuré n 34)

20 dimanche Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Annibale Fata, bière, ghislain, Macerata, torpilleur 1906, usine dei Fata, Zérus le soupir emmuré

001_fabbrica macerata ameliorée - Version 2

Palais de Fata à Macerata, siège de l’usine pour la fabrication de la bière (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Annibale Fata VI-b/VI, n.34, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp 137-141, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

— Tu veux que je t’explique cette photographie ?
— Oui, Niba, je t’en prie.
— Tu ne vois pas ? C’est l’usine des Fata.
Ghislain vit la grande porte ouverte d’un palais distingué. En haut il y avait une enseigne : « Primée Usine à Vapeur — Eaux de Seltz — Gazeuse – Fata ».
Il vit près de la porte une dizaine d’ouvriers en tablier et, juste devant eux, en bras de chemise, Ghislain reconnut Niba, encore plus jeune. Il avait la veste sur le bras et une bouteille d’eau de Seltz à la main. Sur la terrasse, à l’étage des maîtres, se tenaient trois jeunes filles. La plus grande avait un air doux et triste. La plus petite était magnifique. Celle au centre était laide et inexpressive. Niba devina les pensées de Ghislain.
— Ce sont mes sœurs : Céleste, Mipento et Perla.
Ghislain observa ces trois visages si différents les uns des autres et sentit une présence. Était-ce la respiration des Fata ?
— Pourquoi es-tu venu ici ?
— Je suis venu chercher les machines pour fabriquer la bière. Quand tu viendras en Italie, tu verras l’usine des Fata et tu comprendras.
Il fit un grand geste avec le bras pour impressionner Ghislain.

002_fabbricadef180.ipegInterieur de l’usine de la bière (cliquer sur la photo pour l’agrandir).

— Elle est très grande. Il y a aussi le glacier.
Ghislain frissonna : la chambre était pleine de rennes, de Lapons et d’énormes banquises.
— Et toi tu y travailles ?
— Tous les Fata travaillent, là-dedans. Comme dans une fourmilière, chacun de nous a sa tâche.
Ghislain sentit des milliers de fourmis marcher sur son épine dorsale et, instinctivement, il se gratta l’épaule. À la fin, il réussit à répondre :
— Toi aussi, papa ?
— Moi, j’ai des idées. C’est pourquoi je suis parti et je suis arrivé ici, après avoir vu les usines allemandes.
— Alors, c’est grâce à la bière que tu as rencontré maman.
— Oui, Ghislain. J’ai goûté tous les genres de lambics, de gueuzes et de faros, et quand je me suis retrouvé ivre j’ai rencontré Eugénie. Maintenant, la bière, je l’ai dans le sang comme la mer.
— Et tu as trouvé la bière ?
— J’ai trouvé les machines pour la faire et quand la guerre finira je les enverrai en Italie.
— Et ce bateau ?

003_torpediniera-180.jpeg - Version 2

(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

— C’est le torpilleur Vésuve, ancré au port de Venise le 6 septembre 1906. Depuis mon enfance, je ne tenais jamais en place, je grimpais sur les arbres, je regardais toujours les étoiles, jusqu’à ce que la passion de la mer me saisisse et que je m’enrôle dans la marine.
Niba maintenant était à la proue de ces trois-cents tonneaux en effleurant avec la légèreté d’une cigarette le tube lance-torpilles.
— J’ai endossé l’uniforme seulement parce que c’était un uniforme de marin. Tu comprends, Ghislain, la mer m’a permis de me trouver…
— La mer ?
— Tu ne la connais pas ?
— Je ne l’ai jamais vue…, se justifia Ghislain, en se souvenant des gravures de son manuel scolaire, où la mer figurait comme une bande éclairée de rayons d’encre de Chine, sillonnée de pâles voiles avec, sur le rivage, un château de sable. Il revit cette désolation insipide. Où étaient passées les couleurs ? Et les enfants ? Il n’y avait pas d’enfants, seulement une mer de fer où le dessin se déplaçait entre les lignes de l’encre avec de légères écumes, ici et là, immobiles comme des pierres.
— À part le ciel, rien ne peut ressembler à la mer.
Ghislain eut un sursaut de révolte.
— Mais, tu as dit que tu ne sais pas nager !
— Bien sûr que non, mais dans ma ville, je sentais que j’étouffais, je sentais que dehors il y avait le monde et que la mer tournait autour en entrant de tout côté. La mer est généreuse. Elle m’offrait le monde entier. Tu comprends ?
En regardant les yeux de Niba, aussi noirs que les abîmes marins, Ghislain eut peur. Il comprit que son papa était à des milliers de kilomètres de lui et que personne, pas même sa mère, ne pouvait se mesurer à son caractère rebelle. Elle aussi deviendrait une sirène errante et sans paix.

Claudia Patuzzi

Annibale Fata VI-a/VI (Zérus – le soupir emmuré n. 32)

16 mercredi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Amerique latine, Annibale Fata, Brésil, Giambattista Cuneo, Giuseppe Garibaldi, Giuseppe Mazzini, hymne national italien, La jeune Italie, Mar d'Azov, Pulcinella, Taganrog, Uruguay, Zérus le soupir emmuré 32

001_garibaldicolorato 180

Annibale Fata VI-a/VI, n.31, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp 134-137, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Perplexe, Ghislain était en train d’observer les trois « photographies » quand il sentit une main lui toucher l’épaule :
— Elles te plaisent ? dit le Niba tout en poussant l’un de ses grands soupirs, avant de lui montrer une carte postale et de prendre le rôle du narrateur.
— Donc, Ghislain, cet homme à cheval avec les cheveux longs et le poncho sud-américain, c’est Giuseppe Garibaldi.
— C’est ton grand-père ?
— Mon grand-père a été « garibaldien », un soldat qui a combattu à côté de Garibaldi.
— Mais qui est-ce Garibaldi, alors ?
—   Un héros. Un libérateur. C’est grâce à lui que l’Italie est une seule nation, maintenant. Il se déplaçait infatigablement partout dans l’Italie divisée en morceaux.

002°garibaldi liberator 180

Carte postal anglaise.

— Et… ne dormait-il jamais ?
— Tous les gens, à son passage, l’hébergeaient avec enthousiasme. Ainsi, chaque village d’Italie a une stèle précisant qu’il a dormi en telle ou telle maison. D’ailleurs, il n’y a pas de place ou de rue qui ne porte pas son nom.
Niba se tut pendant quelques secondes, puis il ajouta :
— Il a dormi dans bien des chambres, mais il n’a rêvé que dans une seule.
— Toi aussi tu y as dormi ?
— Oui, plusieurs fois, tout seul…
Niba demeura pensif. Il regarda Ghislain d’un air distrait, en fixant ses pupilles sur un lieu lointain.
— Y a-t-il des fantômes dans cette chambre ?
Niba pâlit et dit : — C’est la Patronne qui a la clef ! puis il fixa longuement Ghislain et fredonna :

Va fuori d’Italia, va fuori ch’è l’ora
Va fuori d’Italia, va fuori o stranier ! 1

Dégage de l’Italie, dégage c’est l’heure
Dégage de l’Italie, va-t-en étranger!

— Garibaldi était aussi un chanteur ? demanda Ghislain.
Niba avait repris des couleurs :
— Mais de quel chanteur me parles-tu ? C’est un hymne en son honneur ! Garibaldi a été un héros, il a porté ses idées sur la mer, voyageant de l’Atlantique à la Méditerranée…
— Quelles idées ?
Niba s’assit sur le lit, résigné : — D’abord, il était marin, c’était un corsaire.
En entendant le mot « corsaire », Ghislain fut traversé d’un frisson.
Niba s’était levé, désormais. Il regardait le sol du grenier comme s’il était rempli de l’eau salée de la Méditerranée. Puis, satisfait de cette vision qui dilatait démesurément les contours étroits de cette pauvre pièce, il reprit son récit :
— Garibaldi était à Taganrog sur la Mer d’Azov quand il fut foudroyé par les mots sur la liberté.
« Taganrog ? Foudroyé ? Liberté ? » Ghislain ne comprenait pas.

003_garibaldi aTaganrog 180

Garibaldi (1807-1882), à l’âge de vingt-sept ans, arrive avec le navire « Clorinda » à Taganrog, dans la mer Noir, où il rencontre, dans une auberge, le jeune patriote piémontais Giambattista Cuneo appartenant à « La jeune Italie » (association révolutionnaire fondée par Giuseppe Mazzini) qui l’exhorte à se battre pour l’unité de l’Italie. Un rencontre foudroyant qui marquera sa vie pour toujours. (Tableau de Italo Nunes Vais, dans Montanelli-Nozza, « Garibaldi », Rizzoli-BUR, 1982,2002, p.35)

— Pourquoi les mots foudroient-ils ?
— Plus que les fusils ! Niba sourit d’un air satisfait, avant de préparer le coup final.
— Écoute Ghislain, les mots sur la liberté te frappent quand tu es déjà malade.
« Garibaldi était-il malade ? » Ghislain fronça les sourcils, préoccupé.
— Le pauvre…, s’écria-t-il.
— Pour des gens comme Garibaldi, la liberté est comme une fièvre. On l’a dans le sang dès la naissance et on ne peut pas rester tranquille. Alors, on cherche l’espace le plus grand qui soit.
— Lequel ? lui demanda Ghislain.
— La Mer ! La méditerranée, bordée de villes, ensevelies et puis ressuscitées, une mer déjà morte et toujours renaissante.
— Et Garibaldi est parti en mer ?
— Il a libéré les peuples opprimés de l’Amérique latine. Au Brésil. En Uruguay. Puis il est parti avec un brigantin pour l’Italie. La mer, lui a appris la force de la liberté. Si tu ne l’as pas en toi, tu ne peux pas la chercher.
Niba s’arrêta soudain, sa voix s’assombrit tandis qu’il recommençait à parler :
— Nous, les Italiens, nous avons eu un père, mais il était trop pour nous…
— Qu’est-ce qu’ils ont fait à Garibaldi ? Ils l’ont tué ? Ghislain avait les larmes aux yeux.
Niba prit son visage dans ses mains : — Pire : ils l’ont arrêté, ils l’ont exilé sur une île. Mais tu pleures ! Embarrassé devant le spectacle des larmes, il n’attendait que le moment de s’enfuir.
— Tu seras comme Garibaldi, n’est-ce pas ?
— Oui… mais j’ai peur que dans la chambre des rêves de Garibaldi il y ait… des fantômes!
— Bien sûr, il y en a, mais on peut aussi y rattraper la vérité ! Sans vérité on ne peut pas s’affranchir de l’injustice…
— Où est-elle, alors ?
— Tu le découvriras tout seul.
— Mais tu m’y emmèneras ?
— Oui, tu viendras un jour en Italie.
Tous les deux éclatèrent de rire. Puis Ghislain s’apaisa, assis sur le grand lit, comme s’il attendait la suite de l’histoire…

004_garibaldiPulcinella 003 scura

Le roi de Naples, déguisé en Pulcinella, est obsédé par la renommée internationale de Garibaldi. (Dessin apparu dans un journal satirique  de Rome en mai 1949)

Claudia Patuzzi


[1]  Hymne à Garibaldi, composé en 1858 par Luigi Mercantini, poète et patriote du Risorgimento.

Claudia Patuzzi

Annibale Fata – V/VI (Zérus – le soupir emmuré n.31)

15 mardi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Annibale Fata, Anvers, Delft, ghislain, invasions des Allemands, la grande guerre, Liège, Namur, Zérus 31, Zérus le soupir emmuré

001_A-dove fuggire?Version 2 180

Incertitude, place de Delft 2013, photo de Claudia Patuzzi

Annibale Fata V/VI, n.31, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 131-135, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

L’anniversaire de Ghislain tomba dans une journée pluvieuse que l’invasion des Allemands, en action désormais depuis plus de deux mois, rendait encore plus sombre. Ghislain était fatigué par les marches forcées qui le contraignaient à des allers-retours de l’école sous le vent et la pluie. La tante Germaine n’avait pas encore trouvé de fiancé et semblait amaigrie. Eugénie aussi, souffrant d’un gros rhume, semblait plus nerveuse que d’habitude. Son frère préféré, Prosper, était parti au front. Léopold était resté à Bruxelles pour vendre des chaussures fabriquées pour les Allemands, Irma s’était mariée à Dinant, maintenant elle était enceinte. Et, pour finir, la résistance organisée par le roi Albert à Liège et à Namur avait été un échec.

002_Tubo che spara colore 2

Inévitablement, une crise économique avait vu le jour. Niba avait perdu son travail et l’argent envoyé d’Italie était bloqué au-delà des Alpes. Les profits du magasin de mode s’étaient effondrés, car les riches bourgeoises préféraient faire la queue chez l’épicier ou chez le boucher, ce qui réduisait douloureusement le personnel. En ce moment, les troupes allemandes du général Von Kluck assiégeaient Anvers et la capitale était assombrie par l’apparition de centaines d’automobiles remplies d’uniformes militaires. Dans les magasins, le lard, les oeufs, le pain, le sucre, le sel commençaient à disparaître progressivement, mais les gens feignaient de faire des diètes « salutaires » et « passagères ». On parlait de « guerre éclair » et chaque citoyen respectable préférait ignorer les conséquences de ce contexte en se repliant dans une coquille protectrice. Les habitations ressemblaient à des bunkers où les portes fermées et les rideaux tirés marquaient d’infranchissables frontières.
Même la rue du Remorqueur subissait ce climat général, devenant de plus en plus déserte et dépouillée. Les feuillages du parc Léopold s’étaient teints de la poussière grise de la guerre et quelques corbeaux avaient fait leurs nids au sommet des arbres.
Avec cette vague sombre disparut aussi le gobelet de vendeuse de la loterie de madame Slutter. Dans la fureur et la hâte, l’immense femme avait fait ses valises pour aller défendre « sa » ville, Anvers, contre le feu des Teutons. Jacassant en flamand quelques mots décousus — « Tharnasch maeckt my een stovten haen, ick hanghe de kat de belle aen ! ». Ces mots voulaient dire « l’armure fait de moi un guerrier hardi et accroche une clochette au chat » —, elle avait enfilé un lourd pardessus et, d’un pas militaire, s’était dirigée vers la rue Belliard.
Avant d’être engloutie par la guerre et de se noyer dans l’inondation des Flandres, Madame Slutter, arrivée au coin de la rue, s’était tournée un instant.
— Mon pauvre petit amour ! avait-elle dit, en se mouchant. Puis elle avait repris courage et rougissant comme une écolière avait envoyé à Ghislain un baiser plein de nostalgie.
Ce jour-là, Niba arriva à la maison avec son cadeau : deux paquets recouverts de papier journal. Il resta un instant silencieux puis il ouvrit le plus gros des paquets.
— Qu’est-ce que c’est, papa ? demanda Ghislain.
— C’est un genre de radio… Je l’ai faite de mes mains. Il faut la syntoniser…
Tout le monde retenait sa respiration en attendant d’intercepter de cet amas de fils parlant des messages sur la guerre qui arrivaient de France, de Hollande ou d’Angleterre. Quelquefois fusait une phrase en anglais interrompue par des sifflements très aigus.
— Et l’autre paquet ? demanda alors Ghislain.
— Celui-là nous l’ouvrirons après… sourit Niba.
En résumé, Annibale Fata était un radiotélégraphiste, expert en électricité. Quelques-uns disent qu’il a participé à des émissions expérimentales de concerts depuis le château royal de Laeken. Parmi ses autres activités, il y avait aussi le commerce de fusils de chasse et d’explosifs et, surtout, la fabrication de la bière.
001bisocchio_180

Enscher – L’oeil,  La Haye

Bruxelles, le 30 septembre 1987

Chère petite fée, l’emménagement rue du Remorqueur fut un événement parmi tant d’autres et pourtant l’un des plus beaux et des plus importants de ma vie. Depuis que le petit tableau d’Icare a disparu, je me souviens d’un étrange objet en fer que Niba avait fabriqué pour moi. C’était mon cadeau d’anniversaire. Un genre de télégraphe-jouet muni d’un électroaimant et un crayon qui recevait sur une bande roulante de papier d’étranges S.O.S.
Avec ce « télégraphe », Niba et moi nous faisions semblant de communiquer avec la France et l’Angleterre, déchiffrant des messages compliqués de notre invention. Ce fut grâce à ce « jeu » que j’ai pu vivre le début de la guerre sans drames et presque avec joie.
Mais j’étais curieux d’autre chose. Après avoir tracé quelques petits points et deux petites lignes pâlies, je rampais sur le matelas et levais la tête vers le mur des aconits bleus : là justement où Niba avait accroché trois photographies. Je les regardais pendant des heures sans jamais me fatiguer…

Un S.O.S.

Claudia Patuzzi

Annibale Fata IV/VI ( Zérus – le soupir emmuré n.30 )

12 samedi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

23 août 1914, Annibale Fata, bruxelles, ghislain, Rue de Remorqueur, zérus 30, Zérus le soupir emmuré

001_trasloco in soffitta 180

Madame Slutter, Annibale Fata, Eugenie, Germaine et Ghislain vont vider le grenier. (Dessin de Claudia Patuzzi – cliquer pour agrandir la photo)

Annibale Fata IV/VI, n.30, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 129-131, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Un dimanche matin, le 23 août 1914, trois jours après le mariage d’Eugénie avec Annibale Fata, madame Slutter se leva péniblement de sa chaise. Dans un craquement d’os considérable, elle regagna instantanément les dix centimètres qu’une seule journée avait réussi à lui faire perdre ; elle piqua avec une épingle sa chevelure biblique et gravit les escaliers du quatrième étage, boitant et branlant comme un boudin de gélatine vers la volière-cimetière.
Derrière elle, Ghislain vit Niba, sa mère et Germaine formant une espèce de procession rabbinique. Ils entrèrent chacun leur tour dans le grenier et firent sortir, comme d’une bouche cariée, le monstrueux enchevêtrement des cages. Pendant un après-midi entier, ce grenier vomit toute sorte de produits métalliques, de semences, des cuvettes moisies et des journaux jaunis, et finalement tout — y compris le guano — disparut dans le néant.
Tard le soir, Ghislain vit son nouveau père, debout au centre du grenier, effleurant de la tête les poutres de la soupente.
— Nous vivrons tous les trois ici, Ghislain. Avec les Allemands en ville c’est plus sûr, dit Niba, mais d’abord nous repeindrons la pièce et collerons aux murs un nouveau papier.
Ghislain poussa un soupir de soulagement : ce bien-être qui après les années parisiennes avait disparu de sa vie semblait réapparaître sous les traits rassurants de Niba. En un éclair, étagères, lits, fauteuils, tables de nuit, armoires, jouets, crayons de couleur trouvèrent leur place dans cette nouvelle demeure. Ghislain ne perdit pas de temps à se demander où son nouveau père trouvait tout cet argent, il se laissa aller à un frisson de bonheur… À la fin de cette fantaisie, après avoir lancé à Niba un regard reconnaissant, il avança en rampant jusqu’au tympan qui s’ouvrait sur la rue comme l’oeil de Dieu sur le monde. De là, il put embrasser dans un cercle parfait un coin de vert feuillage du parc Léopold plongé dans l’ombre.

Ils vécurent dans cette soupente pendant un an. La chambre à coucher du vieil appartement était maintenant occupée par la tante Germaine, tandis que la cuisine faisait fonction de salle commune. Durant les premiers mois du mariage, cette modeste petite famille fit tout pour ramener la guerre au rang de tragédie passagère.
Le soir surtout, quand Eugénie rentrait du magasin de mode et que Germaine, les bras chargés de petits chapeaux, revenait elle aussi du travail, on improvisait autour de la table de miraculeux dîners que la touche de Niba rendait encore plus appétissants. En ces occasions, Ghislain découvrit l’arôme intense du romarin et celui encore plus spécial du basilic. Quelques convives de passage, soupirants de la tante Germaine, jouissaient de ces gloutonneries arrosées de bouteilles de Chianti.
Grâce à Niba, leur table attirait toutes sortes d’invités : vendeurs d’étranges machineries, électrotechniciens, industriels, acheteurs de fusils de chasse, escrimeurs, alpinistes avertis, gros brasseurs et jeunes prétendants de Germaine impliqués dans d’obscures firmes commerciales. Quand ils repartaient, la ceinture allongée d’un ou deux centimètres, Geny et Niba interrogeaient du regard Germaine qui secouait la tête, inconsolée : non, ce n’était pas le bon.
Le nouveau papier peint de la soupente était d’une couleur blanc acide où surnageaient, dans diverses formes liberty, les grappes bleues d’aconit vénéneux. Ghislain chercha en vain parmi ces fleurs le petit tableau d’Icare. Où sa mère l’avait-elle mis ? Il avait fouillé dans l’armoire, dans les valises et dans les sacs et n’avait rien trouvé. S’il faisait allusion à cette « chute », Eugènie faisait mine de n’avoir rien entendu, puis elle éclatait :
— Je l’ai perdu, je ne l’ai plus, Ghislain ! Elle mettait ainsi un terme définitif à cette conversation.Un paravent à trois panneaux séparait le lit de Ghislain de celui de ses parents. Cette fois, au-delà de cette cloison, il n’y avait pas de baldaquin d’or pour troubler ses rêves, mais l’habituel grand lit aux barreaux de fer recouvert d’une courtepointe de chintz. Quand la nuit tombait, les silhouettes d’ Eugènie et d’Annibale Fata dessinaient de subtiles ombres chinoises derrière les panneaux, projetant de longs profils sur les feuilles de palme de l’aconit. Ghislain suivait en silence la douce fusion qui se divisait et s’unissait s’abandonnant peu à peu à la tiédeur d’un sommeil profond comme jamais, si profond que durant toutes les nuits de cette année-là, le fantôme de son père n’osa plus le déranger.

Claudia Patuzzi

Annibale Fata II-III/VI (Zérus – le soupir emmuré n.29)

10 jeudi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Annibale Fata, bruxelles, ghislain, Madame Slutter, rue de Remorquer, Zérus le soupir emmuré 29

001_Slutter740-disegno di Claudia Patuzzi - Version 2

Madame Slutter (dessin de Claudia Patuzzi)

Annibale Fata II-III/VI, n. 29, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 126-129, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.

Niba avait apporté une véritable révolution dans la vie d’Eugénie et de son fils.
Depuis le jour où Max était morte et Bertrand avait été arrêté, une étrange mélancolie s’était emparée de Ghislain. Sans ses amis, il n’avait pas envie de monter dans le grenier. Pourtant il n’était pas le seul à souffrir de nostalgie. Chaque nuit, Madame Slutter recomptait les coups de fouet qu’elle avait infligés au dos de Max. Pour se calmer, elle avait pris l’habitude d’engloutir d’abondantes gorgées de bière. À compter de ce moment-là, il ne fut pas difficile de la surprendre en train de répéter, entre deux cuites, d’anciens proverbes flamands.
Un jour, en plein hiver, en rentrant de l’école avec les chaussures trempées, Ghislain la trouva assise sur le palier du premier étage en train de marmonner un enchevêtrement de consonnes incompréhensibles :«Wat baet het sienen derelyck loncken ! Ick stop den put als tcalf is verdroncken ? »
Ghislain trébucha contre la femme qui avait le bras sur la rambarde, lui barrant toute issue.
— Qu’est-ce que cela veut dire, Madame Slutter ?
— « Le veau me regarde d’un oeil égaré, pontifia la femme avec la langue pâteuse d’alcool, alors, ça sert à quoi que je ferme le puits puisqu’il s’est désormais noyé ? »
— Excusez-moi, qu’est-ce que cela veut dire ?
— Le remords tardif ne sert vraiment à rien, répondit-elle, en s’enfonçant dans sa chaise.
Voyant que la femme ne lui faisait pas signe d’avancer Ghislain se donna du courage :
— Je peux passer, madame Slutter ?
La femme le fixait comme si elle ne le voyait pas, dans cette obscurité. Puis, avec une surprenante agilité, elle traîna sa chaise, contraignant Ghislain à se mettre à genoux, tandis que ses mains énormes lui poussaient la tête sous la couverture moite de sueur de sa robe de chambre, toujours plus en bas, dans une crevasse sombre et profonde où il ne parvenait pas à respirer…
Quand finalement madame Slutter lâcha prise avec un long gémissement, pareil à celui de Max à l’heure de mourir, Ghislain put se glisser comme un nouveau-né hors de cet antre violet et maternel. Il avait le visage bouleversé, les cheveux poisseux sur le front, les veines battantes sur ses tempes. Son cœur opprimé semblait être sur le point d’éclater. Il regarda madame Slutter qui gisait désormais la tête renversée sur le dossier de la chaise. Ses yeux étaient mi-clos, ses jambes abandonnées montraient une caverne obscure, mouvante comme une méduse. L’énorme femme ne se couvrit pas. Comme si de rien n’était, elle continua à se donner en spectacle à Ghislain. Pendant plus d’une minute, elle continua à savourer les progrès de l’orgasme avec une lenteur exaspérante en soulevant sa poitrine comme un volcan après l’éruption. Ghislain ressentit une contraction violente à l’estomac : un monstre lui souriait. En proie à la panique, il émit un cri étranglé, réussit à saisir son sac à dos et monta en courant au troisième étage.
— Quelque chose ne va pas ? lui demanda Eugénie émerveillée.
— Je dois me laver les mains…

Pendant trois jours, il refusa de quitter l’appartement et d’aller à l’école. En cette étrange vacance, au lieu de descendre dans la vulve de cette femme insatiable, Ghislain eut le courage de monter au quatrième étage, dans le grenier de Bertrand. À la fin du troisième jour, quand sa mère et Germaine avaient désormais décidé d’appeler un docteur, le destin le sauva des griffes de madame Slutter, ou plutôt ce fut madame Slutter en personne qui lui donna un coup de main, scellant ses appétits dans un cagibi de bois où elle se mit à vendre, avec des airs de sorcière, les billets de la loterie.
Après l’arrestation de Bertrand, le grenier tomba dans un état d’abandon. La porte mi-close laissait entrevoir un cône d’ombre où le vent, se faufilant dans l’œil du tympan, faisait tourbillonner dans l’air les plumes irisées de Blue et de Gris. Une rafale soulevait les grains de mil répandus sur le sol qui s’introduisaient ensuite dans les cages.
Il s’agissait d’un véritable cimetière de cages de fer et de laiton superposées contre le mur dans un amas difforme, qui arrivaient jusqu’au plafond. Après avoir lorgné plusieurs fois à travers cette fente, Ghislain avait fait glisser les battants de la porte qui avait cédé sous la pression de ses petits doigts.
Il grimpa dans le labyrinthe parcouru d’inquiétants clignotements gris-or, qui prenaient, avec le changement des heures, les apparences d’un visage humain. Devant ce fétiche, Ghislain aimait passer du temps en se remémorant les contes de Bertrand et les baisers poisseux de Max. Tard le soir, la tante Germaine se montrait tout ébouriffée en lui criant :
— Sors de là, Ghislain, cela porte malheur.

C’était du moins ce que madame Slutter disait chaque jour à qui voulait l’entendre, inventant, sur ces trente mètres carrés, de lugubres légendes. La nuit elle croyait entendre les cris des pigeons ou les pas de Bertrand tandis que le millet résonnait dans sa tête — tin ! tin ! — en se confondant avec le tic-tac de l’horloge et les battements de ses paupières insomniaques.

002-piccione 740 jpeg- copie

Pauvre madame Slutter ! Une bonne partie de son « charme » avait disparu avec sa masse. Son imposante stature s’était réduite de moitié lui permettant de stationner sans trop d’effort dans un habitacle annexe à son sous-sol. Le besoin d’argent l’avait contrainte à louer son appartement et elle s’était habituée à vivre la majeure partie de la journée dans ce cagibi de bois devenu une boutique de loterie.
Chaque fois qu’il rentrait, Ghislain trouvait le palier libre et, à la place de Max et de sa chaîne, il n’y avait que ce gobelet, qui ressemblait à une chaise à porteurs, où la femme mâchait du tabac et faisait des solitaires. Ce bric-à-brac était surmonté d’une inscription en flamand, couleur gris bleu : Jouez à la roue de la Fortune !
— Approchez, criait la femme, interrogez le sort sur les destinées de la guerre !

003_carta gioco740-jpeg

Le lundi, les Anglais gagnaient parce qu’ils étaient lunatiques. Le mardi les Allemands parce que c’étaient des guerriers. Le mercredi revenait aux Belges pour leur opportunisme. Le jeudi aux Français pour leur orgueil. Seul le dimanche le pape dominait et la paix étendait son royaume.
Cet habit de bois grinçant permit à madame Slutter de s’engourdir et de grossir à son aise, ou de pleurer ses larmes et de boire son Porto sans trop importuner la vue du voisinage. Sur les murs de cette espèce d’isba, façon sanctuaire, étaient accrochées de nombreuses photographies de Bertrand et, surtout, de Max, souriante entre ses parents adoptifs. Quand il faisait beau, la femme sortait sur le trottoir de la rue du Remorqueur, provoquant pour le quartier un émoi et une consolation facile.


[1]    Un des 12 proverbes flamands (1559), tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, huile sur bois (Anvers, Musée Mayer Van der Bergh).

005_scimmiaultima740- Version 2

Le singe Max.

Claudia Patuzzi

Annibale Fata – I/VI (Zérus – le soupir emmuré n.28)

08 mardi Oct 2013

Posted by claudiapatuzzi in zérus, le soupir emmuré

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

8 septembre 1943, Afrique de l'est, Annibale Fata, comète Hale Boop, Dodecanneso 23 septembre 1943, naufrage bateau Donizetti, Rodi, Somalie, Zérus le soupir emmuré 27

casque 180

Annibale Fata I/VI, n. 28, traduction et nouvelle adaptation de La stanza di Garibaldi, pp. 119-125, Manni Editori, 2005, ISBN 88-8176-692-2. Le roman a été traduit en français sous le titre provisoire de Zérus – le soupir emmuré. Tous les droits sont réservés. Pour ce roman Claudia Patuzzi a été sélectionnée pour le prix Strega 2006.pp. 119-125.

J’ai entre les mains des jumelles recouvertes de cuir, du genre de celles qu’on utilisait un jour dans la marine. Elles appartenaient à mon grand-père, le père d’Henriette. Avec ces jumelles j’ai appris à compter les étoiles et j’ai trouvé une voie d’accès pour le ciel. Depuis mon enfance, je courais dans la petite tour de pierre, j’élevais les jumelles et je fixais les yeux sur la bouche de la lune. Elle avait un visage. J’épiais son baiser et ses cheveux : l’arc ardent de la Voie lactée suspendue au milieu d’allées obscures. J’avais six ans et j’étais analphabète. Mais à quoi cela sert-il de lire si on regarde le ciel ?
Puis je compris que les étoiles, d’abord farouches et fuyantes, s’offraient à moi avec un voluptueux mystère. Elles commençaient à m’aimer comme je les aimais. En effet, je ne les comptais pas, mais je les suivais du regard. C’est seulement ainsi que je pouvais en embrasser des millions. Il me suffisait de les contempler et elles se laissaient regarder jusqu’à l’aube. Tout en demeurant immobiles, elles voyageaient lentement sur l’horizon, semblables à des lucioles ivres. Si je les cherchais, je ne les retrouvais plus là où elles étaient avant. Les étoiles marchaient avec moi.
Avec les jumelles de Niba, j’ai appris à entendre aussi le bruit de l’univers. Je sais qu’il s’élargit et qu’il s’étend, je sais qu’il respire et qu’il meurt parmi des amas de galaxies qui s’éloignent les unes des autres comme des ondes dans un lac heurté par une pierre. Je vois d’immenses galaxies déchiquetées par d’énormes explosions entraîner de nouveau l’univers dans des tourbillons de déchets à la terrible gravité desquels rien ne peut échapper, pas même la lumière. La petite tour de pierre sera aussi engloutie avec toute la terre. Et pourtant, le ciel semble toujours tellement immobile.
Avec les jumelles de Niba, je vois Cirrus, l’étoile Polaire, les deux Ours, les Pléiades, le W de Cassiopée, et une infinité d’autres étoiles aux noms antiques et suggestifs, comme le « Scutum Sobiesii », un nuage stellaire de la Voie lactée composée de neuf cent mille étoiles. C’est ici que la comète Hale Boop est passée : apparemment indifférente et silencieuse, en réalité en proie à de terribles explosions. Même Ghislain l’a vue par une nuit d’avril de la colline de Trauvenberg, à Bruxelles.
Quand sa mémoire était encore vigoureuse, Henriette m’a dit que Niba gardait toujours ses jumelles sur lui, accrochées à son cou, même pendant le sommeil.
— C’était une façon de contrôler le monde, disait-elle.

002_Benadir

Je sus, quelques années après, qu’en Afrique de l’Est, en Somalie, pendant la guerre coloniale, il vit des tueries tellement effrayantes, qu’il n’eût plus le courage d’orienter ses jumelles vers les tragédies de la vie. Dès lors, mon grand-père ne voulut plus se consoler. Il retourna ses jumelles et commença à rapetisser les choses. Puis il les dirigea vers le ciel, parmi les petits points des étoiles. Enfin, fatigué de leur froideur, il regarda vers la mer.
Je me souviens aujourd’hui du récit d’Henriette, d’une précision insolite, des aventures de la guerre dans la mer. Niba n’était pas comme moi. La mer était « sa » manière d’accéder au ciel. Une manière indirecte. Peut-être parce que c’était un chasseur et que les étoiles ne se laissent pas prendre au lasso. Il était trop aventureux pour les étoiles, trop impatient pour « les regarder ». Un beau jour, il en eut marre de regarder le ciel et il changea de direction. Plutôt que de chercher la mort dans le ciel, il la chercha dans un lieu encore plus bleu et plus noir : la mer. Henriette autrefois me parla de lui comme du plus grand chasseur de la mort.

En 1943, après le 8 septembre, quand le maréchal Badoglio annonça l’armistice, Niba commanda un vaisseau près de Rhodes. En quelques jours, tout avait changé. Les serments étaient désormais papier de rebut.  Le noir était devenu blanc. Le haut et le bas n’existaient plus. La honte et le chaos régnaient. À qui devait-on obéir ? Aux Allemands ou aux Anglo-Américains ? Comme tout le monde, Niba se sentait perdu. Mais il n’avait pas de doute : c’était une volteface.
Dans le navire, il y avait mille huit cents Italiens, dont des blessés graves. Le commandant allemand était agité. Il l’appela sur le pont : — Herr Niba, mein Gott, Kommen Sie hier !
Niba le regarda. Son uniforme était sale, son visage n’était pas rasé depuis la veille au soir, ses yeux cernés. Il s’appelait Gustav Blume — « fleur » en allemand — et il allait sur les cinquante ans.
L’Allemand le fixa et dit : — Herr Offizier… mais il s’interrompit une seconde pour respirer, car ils avaient l’habitude de se tutoyer. Puis il reprit son souffle, décroisa les jambes et demanda : — Herr Offizier Niba, qu’avez-vous décidé ? Si vous dites non, vous savez ce qui va arriver, n’est-ce pas ? On voyait que Gustav Blume ne voulait pas le lui dire, mais Niba comprit très bien : il les fusillerait tous. « Herr Offizier… »
Niba ne répondit pas tout de suite. L’Allemand et lui avaient joué au bridge. Ils plaisantaient quelques fois sur la cuisine italienne.
— Niba, parle-moi des « vincigrassi .»
— Un plat de ma région, commandant.
— Tu peux me traduire ce mot ?
— Oui, en italien c’est : « vinci e ingrassi », cela signifie en français « tu vaincs et grossis ». Résultat : de la bonne cuisine pour les vainqueurs. Les vainqueurs sont toujours gros.
— Et les battus, les maigres, devraient forcément manger…
— Les « perdimagri », mon commandant, « perdi e dimagri » ; en français « tu perds et maigris ». Cela se termine toujours en faveur des gros.
Niba frissonna. Il leva les yeux vers l’île. Il regarda les murs fortifiés, désormais vieux et inutiles ; il entendit les tirs lointains sur les montagnes, le grincement des panzers et la honte se poser comme un nuage de gaz sur les couleurs avec l’arôme du tabac et l’odeur aigre-douce des orangeraies : tout pourrait disparaître en un instant. Il fixa l’Allemand dans les yeux et il sentit qu’en ce moment ils étaient tous les deux seuls dans une impasse. Il n’avait qu’un instant pour répondre.
« Je ne peux pas faire mourir mille huit cents personnes ! » pensa-t-il.
L’Allemand attendait.
« Peut-être que nous pourrons atteindre la Grèce et nous enfuir après en Italie… »
— Herr Offizier ? s’échauffait l’Allemand.
« À quelle distance était la terre ferme grecque ? Trois-cents lieues ? »
— Mein Gott, qu’avez-vous décidé ?
Niba se réveilla. Il regarda dans les yeux Gustav Blume qui pendant tout ce temps n’avait pas détaché son regard de lui et il vit un tremblement silencieux au bord de ses lèvres : «Achtung ! Ne vous faites pas tuer… »
Niba respira avec force et dit : — S’il doit en être ainsi…

Le 23 septembre, deux corvettes allemandes se joignirent au navire marchand pour l’escorter jusqu’à la terre ferme. Mais où ? La mer était calme comme un lac.
— Es lächelt der See ! Le lac sourit, soupira Gustav Blume en observant, assombri, cette étendue d’eau depuis le pont.
— C’est cela… répondit Niba.
— Et si les Anglais nous voient ? demanda un des civils.
Niba trembla, ferma les yeux et dit doucement, pour ne pas se faire entendre : — Espérons que non…

Donizzetti-180

Le bateau « Donizetti », avec 1825 prisonniers italiens, qui fut torpillé pour erreur, par une contre-torpilleur britannique: le Niba coula dans la mer égéen avec tous les autres.

Les corvettes avançaient de conserve. Le navire, suivi par quelques mouettes, vrombissait dans l’écume et s’enfonçait dans l’eau sous son poids. Certains parlaient, mais la plupart demeuraient silencieux, les blessés ressemblant à des sacs, qu’on eût dit déjà morts. Un calme plat couvrait l’Égée d’ambroisie. Ils avaient parcouru presque deux-cents lieues. Niba inspira l’air et en huma l’odeur : une saveur saumâtre et parfumée. N’y avait-il pas une terre, là-bas, à l’horizon ?
Sans préavis, les corvettes allemandes dévièrent la route de cent quatre-vingts degrés et revinrent en arrière. En moins d’une minute, le navire marchand se retrouva seul au milieu d’une mer ondoyant comme une coquille de noix. Aussitôt, un bourdonnement lointain surgit derrière lui. Niba se retourna avec la rapidité de l’éclair, mais dans sa hâte il commit une erreur fatale : il n’eut pas le temps de régler ses jumelles. Tout demeura horrible comme cela l’était réellement : en grandeur naturelle.
Les jumelles lui glissèrent des mains. La nausée l’emporta. Le ciel tomba sur lui avec des milliers d’épines. Ce n’étaient pas des étoiles filantes, mais des projectiles en feu. Dix d’entre eux lui transpercèrent la poitrine, le cœur et le front. C’étaient des avions de reconnaissance anglais. De trois contre-torpilleurs fantômes sortit le sifflement des torpilles. En quelques instants, les autres étaient devenus comme des milliers de feuilles sur la surface de l’eau.
Pendant une seconde, Niba regarda la mer lisse comme l’huile. L’eau était luisante et propre comme du verre. Puis il se laissa bercer dans son sang et laver par les vagues. Il se retrouva sous deux cent mille mètres cubes d’eau. Les Néréides le saisirent par les pieds, les dauphins l’emportèrent dans une grotte où des millions de minuscules poulpes s’accrochèrent à sa peau. Les petites bulles d’air disparurent et il toucha le calme des abysses. Il se retrouva la bouche et les poumons pleins d’eau chaude. Était-il rentré à la maison ? Était-il en train de renaître ?
On ne retrouva pas son corps.
De lui, il ne resta que ses jumelles.

Claudia Patuzzi

[1]Variété de lasagnes cuisinées dans les Marches.

← Articles Précédents

Articles récents

  • Un ange pour Francis Royo
  • Le cri de la nature
  • Jugez si c’est un homme (Dessins et caricatures n. 46)
  • « Le petit éléphant et la feuille » (Dessins et caricatures n. 45)
  • « Le miroir noir » (Dessins et caricatures n. 44)

Catégories

  • articles
  • dessins et caricatures
  • dialogues imaginaires
  • histoires drôles
  • interview
  • Non classé
  • poésie
  • voyage à Rome
  • zérus, le soupir emmuré

Archives

  • juillet 2017
  • avril 2017
  • février 2017
  • décembre 2016
  • novembre 2016
  • juillet 2016
  • juin 2016
  • mai 2016
  • avril 2016
  • mars 2016
  • mai 2015
  • avril 2015
  • mars 2015
  • février 2015
  • janvier 2015
  • décembre 2014
  • novembre 2014
  • octobre 2014
  • septembre 2014
  • août 2014
  • juillet 2014
  • juin 2014
  • mai 2014
  • avril 2014
  • mars 2014
  • février 2014
  • janvier 2014
  • décembre 2013
  • novembre 2013
  • octobre 2013
  • septembre 2013
  • août 2013
  • juillet 2013
  • juin 2013
  • avril 2013
  • mars 2013

Liens sélectionnés

  • analogos
  • anthropia
  • aux bords des mondes
  • blog de claudia patuzzi
  • colors and pastels
  • confins
  • era da dire
  • flaneriequotidienne.
  • Floz
  • il ritratto incosciente
  • j'ai un accent !
  • l'atelier de paolo
  • L'éparvier incassable
  • L'OEil et l'Esprit
  • le curator des contes
  • le portrait inconscient
  • le quatrain quotidien
  • le tiers livre
  • le tourne à gauche
  • le vent qui souffle
  • les cosaques des frontières
  • les nuits échouées
  • Marie Christine Grimard
  • marlensauvage
  • métronomiques
  • mots sous l'aube
  • passages
  • paumée
  • Serge Bonnery
  • silo
  • Sue Vincent
  • tentatives
  • trattiespunti

Méta

  • Inscription
  • Connexion
  • Flux des publications
  • Flux des commentaires
  • WordPress.com

Propulsé par WordPress.com.

  • Suivre Abonné
    • décalages et metamorphoses
    • Rejoignez 2 120 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • décalages et metamorphoses
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…