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décalages et metamorphoses

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Archives Mensuelles: juillet 2014

Le placard d’Italo Calvino/Entracte – dialogues imaginaires n. 10bis)

27 dimanche Juil 2014

Posted by claudiapatuzzi in dialogues imaginaires

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Cosmicomics-Récits anciens et nouveaux 1984, Entracte, l'arioste, le placard de Calvino, Leopardi, Qwqf

001_Calvino180 Vers 2

Chers lecteurs,
Le onzième épisode du « Placard » sortira dimanche prochain, avant les vacances.
Voilà les dernières nouvelles : Leopardi est tombé dans la terrasse et maintenant arbore un genou bandé. L’Arioste transpire et souffle dans la chaise longue : est-il nostalgique de son labyrinthe ou de la belle Angelica ? Quant à Qwqf — ce personnage que j’imagine entouré à jamais par le temps qui s’écoule à l’infini —, il s’est cassé un ongle et ne cesse de gazouiller les mêmes mots à la fois cosmiques et comiques.
Je vous laisse, pour le moment, avec des mots prophétiques que Calvino même a écrits, à propos des Cosmicomics, un an avant de mourir : « Exploser ou imploser…, voilà ma question… le “big bang” dure encore… le grand Pan n’est pas mort… Je sais que je ne dois pas écouter les voix ni croire aux visions ou aux cauchemars. Je continue à creuser mon trou, dans mon terrier de taupe. » (1)

002_Calvino180-classici- Version 2

Claudia Patuzzi

(1) Cosmicomics, Récits anciens et nouveaux, Garzanti, 1984 ; Folio, 2013, Gallimard, traduction de l’italien par JeanThibaudeau et Jean Paul Manganaro, pp. 518-19 ; p. 523.

« Le corbeau » ( dessins et caricatures n.18 )

25 vendredi Juil 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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1965, Baudelaire, David Sinclair, dessin n18, Edgar Allan Poe, Gustave Doré, Josyane Savigneau, le corbeau, Mallarmé, Paul Valery, Philippe Sollers

001_Omino180 - Version 2

Claudia Patuzzi, dessin à technique mixte (cliquer l’image pour l’agrandir)

Ce dessin de 1965, plume et crayons colorés, ce petit homme solitaire qui traverse une grande arche, ayant de grands yeux apeurés ainsi qu’un corbeau noir assez laid sur la tête… ces cercles avec les croix… les rayons rouges et jaunes inondant l’air de mystère… Tout cela a été une réaction « instinctive » ou, pour mieux dire, terrorisée, à ma première lecture des « Contes » d’Edgar Allan Poe. Quatre d’eux en particulier m’avaient profondément touchée : le petit poème « Le corbeau », « Le masque de la mort rouge », « Le chat noir » et « Le puits et le pendule ». De lors, l’auteur du « Corbeau » devint pour moi un malheureux compagnon de route, un colocataire de ma pensée, l’habitant sacré et intouchable de ma bibliothèque, la source primaire (avec d’autres « amis ») du pouvoir de l’écriture.

002_finestra72- Version 2

Illustration de Gustave Doré

Ou alors, come écrit Josyane Savigneau : « ce « Frère spirituel » de Baudelaire, « ingénieur des lettres » pour Valéry, « cas littéraire absolu » selon Mallarmé, le grand maître du fantastique, l’inventeur du récit policier, le précurseur du roman scientifique, le rénovateur du conte, l’annonciateur de la psychanalyse, » ce fut pour moi un ami immortel, un point de repère et en définitive mon propre pivot, toujours à la recherche de lui-même…

004_corvo72- Version 2« The story of Edgar Allan Poe is one of the great tragedies of literature.» ( David Sinclair ) Illustration by Salim Patell.

Claudia Patuzzi

Le placard de Calvino/10 – dialogues imaginaires n.10

22 mardi Juil 2014

Posted by claudiapatuzzi in dialogues imaginaires

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Cosmicomics, juin 1985, l'arioste, le Berger errant de L'Asie, le placard de Calvino, Leopardi, Pandolfi, Piazza Campo Marzio, Qfq, Qfqfq, Rome

001_Calvinoseppia180jpg - copieItalo Calvino, particulier d’une photo avec la petite fille. 1966 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Temps : juin 1985, en pleine nuit.
Lieu : Centre de Rome, Place du Campo Marzio, à côté du Panthéon ; grand studio d’Italo Calvino avec bibliothèque et terrasse panoramique. La pleine lune illumine encore la nuit étoilée.
Personnages : Italo Calvino, l’Arioste, Giacomo Leopardi, monsieur Pandolfi (chargé de la désinsectisation de la Zucchet, il dort dans la terrasse), le Berger errant de l’Asie et une « petite ombre ».
Calvino pose des questions à la petite ombre mystérieuse.

Petite-ombre (s’adressant à Calvino) : — Papa, ne me reconnais-tu pas ?
Calvino : — honnêtement, non… pourquoi m’appelez-vous papa ? Je ne suis pas…
Petite-ombre : — ne me reconnaissez-vous pas ? Regardez-moi près de la lumière, en transparence !
Calvino , — je ne vois qu’une silhouette laiteuse, une physionomie blanchâtre, pleine de taches partout, je dirais débridée…
Petite-ombre : — bravo ! Bravo ! C’est moi !
Calvino , — moi… qui ?
Petite-ombre : — je suis l’ombre du vieux Qfwfq, le narrateur des « Cosmicomics » ! C’est vous qui m’avez engendrée ! Puis, devenant de plus en plus blanche, cette ombre décolorée essaie d’embrasser l’écrivain en hurlant : — tu es mon père !
Calvino : (se dégageant) : — moi, votre père ? Ah, oui ! Tu es Qfwfq ! Tout à fait… Mon Dieu, donnez-moi une chaise !
Leopardi : — vous voici le fauteuil !
Calvino s’assied, tout en essuyant son front avec un mouchoir : — je suis en train de m’évanouir, presque… (En s’adressant à lui-même) : s’il avait été quelqu’un qui a réellement existé, comme l’Arioste ou Leopardi, je l’accepterais. Mais, un « personnage » tout à fait inventé de mon esprit, non ! Cela est complètement impossible.
Leopardi : — que devrais-je dire alors moi, au sujet de mon Berger errant de l’Asie ? N’est-il pas venu lui aussi nous dire bonjour ? On ne peut rien imposer à l’Art !
Qwqfq (en sautant sur les genoux de Calvino) : – n’es-tu pas heureux de me revoir, papa ?
Calvino, essayant de l’écarter, transperce de ses mains ce corps transparent…
Leopardi  (en souriant) : — « Qui a dit trois fois… »
Calvino : Comte Leopardi, ne faites pas d’humour !
Ariosto (passant à Calvino un verre d’eau) : — buvez-en une gorgée !
Calvino : — Merci, monsieur Ludovico ! Puis il fixe l’étrange personnage devant lui avant de susurrer : — que me voulez-vous ?

002_Cosmicomicheultime72jpg - copie

cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Qwqfq : — je vous ai déjà dit, cela ! Je suis le personnage principal de Cosmicomics… Vous en souvenez-vous ? C’est un titre plein de mystères, avec ces deux adjectifs cosmique et comique se combinant en un seul mot ! (1) Oui, je vois bien que la mémoire vous revient… Il y a un temps incommensurable… la lune était presque attachée à la terre, « il suffisait d’y aller, en barque, jusque dessous, d’y appuyer une échelle et d’y monter, au large des Écueils de Zinc… nous apportions sur les barques une échelle… » (2)
Calvino : — je le sais, c’est moi qui ai écrit cela…
Qwqfq  (en parlant par rafales) : — je vous raconte : « … nous allions ramasser le lait, avec une grande cuiller et un baquet, le lait lunaire était très épais, comme une espèce de fromage blanc… après avoir recueilli cette purée, il fallait bien l’écrémer, en la faisant passer par une passoire… Oui, la Lune avait une force qui vous enlevait… il fallait faire très vite, en une espèce de cabriole… Vu de la Terre, tu avais l’air pendu, la tête en bas, mais en fait tu te retrouvais dans ta position habituelle, et la seule chose bizarre, c’était que, en levant les yeux, tu voyais au-dessus de toi la chape étincelante de la mer, avec la barque et les camarades, eux-mêmes la tête en bas, qui se balançaient comme une grappe de raisin dans une vigne… » (3)
Calvino : — et alors ? Je ne comprends pas.
Qwqfq : — alors, papa, n’es-tu pas heureux de me revoir ?
Par un geste brusque, Calvino essaie à nouveau d’éloigner l’ombre. Celle-ci, tout en trébuchant dans le vide, pousse un faible cri inhumain, avant de s’enfuir, courant, vers la terrasse, où elle se sauve derrière un grand vase d’oléandre.
L’Arioste : — où s’est-il caché, Quwe… quoi ?
Leopardi : — rassurez-vous, Qwiqfq n’est pas loin. Il est dans la terrasse, je vois très bien sa silhouette claire se détacher nettement de l’ombre sombre de cette plante diabolique !

Entre-temps, une petite voix aiguë déchire le silence de la pleine lune dans cette nuit romaine :
« Sur la lune, j’aurais dû être heureux ; comme dans mes rêves, j’étais seul avec elle ; l’intimité avec la lune, tant de fois enviée à mon cousin… étaient à présent mon exclusif apanage, un mois ininterrompu de jours et de nuits lunaires s’étendait devant nous, la croûte du satellite nous nourrissait avec son lait à la saveur acide et familière ; notre regard s’élevait là-haut, vers le monde où nous étions nés, enfin vu dans toute son étendue multiforme, exploré dans ses paysages jamais vus par aucun terrier… et pourtant, pourtant, et pourtant oui, c’était l’exil. Je ne pensais qu’à la Terre. C’était la Terre qui faisait que chacun était quelqu’un, et non les autres… Privé du sol terrestre, mon sentiment amoureux ne connaissait plus que la nostalgie déchirante pour ce qui me manquait : où, autour, avant, après. » (4)
Calvino, enfin ému par ces mots étranges et doux, sort dans la terrasse, suivi par l’Arioste et Leopardi.
Pandolfi demeure immobile sur une chaise longue. Quant à lui, le Berger errant de l’Asie est en train de ronfler sur un fauteuil. Au rythme bruyant, mais solennel aussi, du berger dormant, la pleine lune ne cesse de veiller sur la grande ville silencieuse. Une ville toujours prête à se bouffer des rêves ainsi que des cauchemars des êtres humains…

Claudia Patuzzi

(1) Note de l’auteur, Cosmicomics, Récits anciens et nouveaux, collection folio, Gallimard, 2013, pp. 7-9 (texte écrit à la main de Italo Calvino à la troisième personne, traduit par Jean-Paul Manganaro, 1975) :
« Ce sont des récits nés de l’imagination libre d’un écrivain d’aujourd’hui, stimulée par des lectures scientifiques, surtout d’astronomie. Nous ne savons pas si Italo Calvino a regardé dans un télescope pour observer étoiles et planètes : ce qui le passionne, ce sont surtout les hypothèses théoriques… mais ce que notre écrivain capte est en général   une idée suggestive, une image synthétique ; et c’est sur cela qu’il construit un récit. … Chez l’homme primitif et chez les classiques, le sens cosmique était l’attitude la plus naturelle ; nous, au contraire, pour affronter les choses trop grandes et sublimes nous avons besoin d’un écran , d’un filtre, et c’est là la fonction du comique. »
(2) Cosmicomics, La distance de la Lune, folio, Gallimard, 2013, pp. 16-17
(3) Ibidem, pp.18-20
(4) Ibidem, pp. 33

« Apparition » ( dessins et caricatures n.18 )

18 vendredi Juil 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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2000, Claudia Patuzzi, Connemara, dessin, poésie

profilo colorato016

Dessin en technique mixte, 1966 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le corps effleure le ressac.
Le rivage aveugle
la peau desséchée
la pupille est un laser
les lèvres abandonnées attendent
une caresse
échappée à la chaleur étouffante
de l’été.
Mais la plume ne tombe pas
ni vole non plus
même si le vent
— tel un tourbillon niais —
se visse brûlant
même si les empreintes
se gravent, renversées,
sur le sable
et que les doigts
cherchent des traces
de serpents
ou des messages chiffrés
sur des radeaux
à la dérive du temps…
Peut-être…
— ailleurs — juste en ce moment,
— au loin — au-delà du monde,
sur le lande de l’ancien
Connemara
depuis de jolies fleurs rouges
il pleut du sang :
les boucles d’oreilles
« de la dame »
oscillent légères
sur la haie
tout en chantant
au milieu des gouttes
de pluie et
du pré vert.

Et voilà le pas invisible
de ton voile léger,
un oiseau dans le vent.
Finalement tu tournes tes lèvres :
un sourire hermétique
se pose sur la laisse
tandis que, lisse
comme de la soie,
l’éclat aveuglant
de tes yeux
me rappelle la
danse écarlate des
frésias,
l’espace indéfini
azur
du Connemara.

(Connemara, août 2000)

apparizione72

Apparition  (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi

 

 

Le placard de Calvino/9 – dialogues imaginaires n.9

13 dimanche Juil 2014

Posted by claudiapatuzzi in dialogues imaginaires

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Berger errant de l'Asie, Giacomo Leopardi, juin 1985, l'arioste, le placard de Calvino, Les Les conférences américaines, Lezioni americane, lune, Michel Orcel, Pandolfi, Piazza Campo Marzio, Rome, Virginia Woolf

001_Caricatura72

 Caricature de Italo Calvino

Temps : juin 1985, tard dans la nuit.
Lieu : Centre de Rome, Place du Campo Marzio, à côté du Panthéon ; grand studio d’Italo Calvino avec bibliothèque et terrasse panoramique. La pleine lune illumine encore la nuit étoilée.
Personnages  : Italo Calvino, l’Arioste, Giacomo Leopardi, monsieur Pandolfi (chargé de la désinsectisation de la Zucchet), le Berger errant de l’Asie.
Scène : Des bruits inquiétants proviennent du placard. Les quatre quittent la terrasse…

Monsieur Pandolfi : Le placard est touché par un tremblement de terre !
Leopardi : S’il vous plaît, monsieur Zucchet, allez voir vous même !
Pandolfi : Je vous en prie ! Venez-vous aussi, avec moi ! N’ayez pas peur ! Le placard ne vomira pas de monstres !
Leopardi (perplexe) : pourquoi pas ? Désormais, tout est possible !
L’Arioste (se dirigeant vers le placard) : messieurs, arrêtez de discuter ! Cela prend du temps ! Venez vous aussi, monsieur Calvino, l’union fait la force !
Mais Calvino ne lui répond pas. Il est debout sur le seuil de la porte-fenêtre, un vague sourire sur les lèvres. Puis il chuchote : — je ne bougerai pas d’ici !
Les trois le regardent bouche bée.
Leopardi : Mais… que dites-vous ?
Calvino : Il n’y a pas de « mais » à avancer. Je reste ici. Si vous en avez envie, allez-y, vous trois ! En fin de compte, c’est à vous la responsabilité de cette absurdité… Je n’ai pas écrit une seule ligne depuis une semaine, savez-vous ? À ce rythme, je ne mènerai jamais à terme ces maudites conférences américaines… Si je ne me dépêche pas, je me retrouverai au bout de l’Enfer !
Pandolfi : il a raison ! Renonçons ! Appliquons-nous des bouchons aux oreilles et allons dormir ! Je propose de laisser les classiques là-bas… Qu’ils pourrissent ou qu’ils s’entretuent… ça m’est égal… C’est trop tard, désormais…
L’Arioste : Et alors pour quelle raison restez-vous encore ici ? Monsieur Calvino n’a plus aucune obligation envers vous…
Pandolfi (embarrassé) : oui…Le payement…je n’avais pas pensé à cela…mais… que disais-je ? Ah, oui, il faut les débusquer ces délinquants, arracher les portes de leurs gonds…
Calvino (le gelant d’un seul regard) : en tout cas, je ne vous donnerai jamais de l’argent en avance ! C’est hors de question !
« SILENCE ! » tonne la voix de l’Arioste.
D’un coup, le père de Roland et Angelica se dirige vers le placard. Puis il se tourne avec une grande dignité vers les trois et par une voix de stentor il dit : — le moment est venu pour en finir avec tout cela. Lâches Classiques ! Faites attention ! Je vais ouvrir le placard tout de suite !
Leopardi : attendez un instant, monsieur Ludovico ! Je veux contrôler une chose… Par des pas courts et rapides, le poète des Marches se dirige vers la porte-fenêtre donnant sur la terrasse, puis, comme s’il parlait à soi même, il susurre : « heureusement, la lune pleine est encore là ! »
L’Arioste (en hurlant) : dites ce que vous voulez à propos de la lune… Je défonce le placard !
Pandolfi (se levant) : bravo ! Et je vous donne un coup de main !
En ce moment-là, le placard subit une forte secousse venant de l’intérieur, suivie par un grand vacarme de bruits sourds, de hurlements, de râles, de murmures… jusqu’au moment où les deux portes s’ouvrent grand : une impressionnante masse obscure se détache contre l’embrasure du placard tandis qu’un poing gigantesque frappe Pandolfi sur la tempe. L’homme s’écroule à terre, tandis qu’une voix de baryton aux nuances exotiques retentit dans le studio : « Y a-t-il quelqu’un qui a appelé ? »
Calvino se sauve derrière un fauteuil, tandis qu’une autre ombre, beaucoup plus petite, fait trébucher l’Arioste ; Leopardi demeure au-dessous de la table avec Pandolfi…
D’étranges voix remplissent la chambre.

002_placardWoolf180 - Version 2

Le placard de Virginia Woolf

Quinze minutes depuis, les quatre — Italo Calvino, l’Arioste, Leopardi et Pandolfi — sont assis sur quatre chaises en enfilade, tout comme des écoliers en attente d’une punition, les yeux fixés sur deux silhouettes devant eux, ressemblantes des ombres.
L’Arioste (tout en affichant un œil noir, il lève la main) : puis-je parler, maintenant ?
Grande-ombre (qu’on voit de dos) : puisque vous vous êtes calmé, vous pouvez parler, maintenant !
L’Arioste : qui es-tu ? Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous venus ici ?
Grande-ombre : nous sommes ici pour deux raisons. D’abord, la lune pleine. Ensuite, cette « légèreté » dont parle monsieur Calvino en notre honneur. Et, si je ne me trompe pas, vous aussi, comme nous, vous êtes un « Classique », un créateur de rêves et d’ombres, d’illusions, d’histoires et de fables comme monsieur Calvino… Maintenant, vous verrez qu’il n’y a pas que les Classiques dans le placard ! Il y a aussi les Personnages créés par l’imagination : la vôtre et la leur !
Calvino regarde un instant vers la terrasse, puis il s’adresse de nouveau à l’ombre inconnue : qui êtes-vous, donc ?
L’immense-ombre enlève son manteau en laine le recouvrant jusqu’aux pieds, il pose son bâton noueux et d’une voix profonde, il dit : « Je suis le Berger errant de l’Asie ! »
Leopardi (d’un air sceptique) se montre derrière les épaules de l’Arioste et susurre : « Vous ? »
Grande-Ombre : — Oui, c’est moi ! répond la voix de stentor du colosse tout en déclamant :

« Dis-moi, Lune, à quoi sert
Au berger sa propre vie ?
Et votre vie à vous ? Dis-moi : où tendent
Mon errance éphémère,
Ton parcours immortel ? » (1)

— Comme vous voyez, je ne suis pas aussi ignorant que l’on pense… !
L’Arioste : — qui est-elle, cette autre ombre assez petite ? C’est elle qui m’a fait trébucher ! Et maintenant, elle bondit partout !
La petite ombre ondoie comme si elle était en train de rire, puis elle éclate : — devinez-vous, alors ?

Claudia Patuzzi

(1) Leopardi, Chants, Chant nocturne d’un berger errant de l’Asie, traduction de Michel Orcel, Édition bilingue Flammarion, 2005, vv.16-20.

(continue)

« Les trois tickets » (dessins et caricatures n.17)

11 vendredi Juil 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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1965, collage, lire italienne, trois tickets, ville de Rome

002_scontrini72-vers.2

Les trois tickets, 1965 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Les trois tickets

Les rails du chemin de fer « Monde-Paradis »
sont trois tickets de différentes couleurs :
dont un est orange, d’une tonalité assez vive,
pour traverser le couchant du fleuve ;
un autre, jaune d’or, pour fixer la splendeur des coupoles ;
le troisième est marron, comme les châtaignes d’automne,
pour saisir les soupirs qui comblent les rues.
La somme de tout ce voyage ce sont
cent-vingt-cinq marches étoilées…

002_monete72 - Version 2

Quelques lires que j’ai conservées. (cliquer pour agrandir)

Claudia Patuzzi

P.-S. : On y parle de la ville de Rome. La lire italienne  (en italien lira au singulier et lire au pluriel) est l’ancienne unité monétaire de l’Italie de 1861 à 2002, et qui fut remplacée par l’euro en 2002. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une lire italienne était divisée en 100 centimes (centesimi ou en cent fois un centesimo). Il était usuel d’utiliser le symbole ₤ devant le chiffre.

Les mains (dessins et caricatures n. 16)

04 vendredi Juil 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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1965, dessins et caricatures n.16, François Victor-Fournel, Gilbert Bécaud, Henri Matisse, Jacques Prévert, Joêlle Bolloch, La photographie, Les mains, Musée d'Orsay

 

001_mani72- copie

Croquis au stylo , 1965 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)
« Dieu fait ce qu’il peut de ses mains, mais le diable fait beaucoup mieux avec sa queue. »
(Jacques Prévert)

J’ai toujours eu honte de mes mains, tellement petites qu’on dirait les mains d’une enfant qui mange ses ongles. Pour ne pas montrer mes ongles consommés, je cachais mes mains derrière le dos, dans les gants ou dans les poches du paletot.
J’ai toujours éprouvé de l’envie pour les mains fuselées, avec des ongles émaillés en forme de croissant de lune.
En revanche, j’ai toujours observé les mains des autres. Dans le bus, j’en épiais les rides et les nœuds, les veloutés ou les callosités. Je fixais les taches de la peau jusqu’aux pellicules, tout en évitant, évidemment, de connaître le visage de leur propriétaire. Je commençais toujours par la main et le poignet. Puis, de déduction en déduction — quel travail fait-il ? Est-il marié ? Célibataire ? – j’essayais de reconstruire sa gueule… Juste au moment où ce visage imaginaire se détachait dans mon esprit, j’osais lever la tête pour vérifier la réalité…
Un jour de l’année 1965 j’ai eu le courage de faire un croquis au stylo de mes mains sur mon cahier d’école. C’était la période « pasolinienne », le temps de la vérité, où le sentier de la vie se penche pour la première fois dans l’inconnu, à travers plusieurs branches enchevêtrées… Je voulais me laver les mains de mon petit complexe d’infériorité. Le moment était arrivé. Je pouvais finalement « regarder » et « accepter » mes mains, c’est-à-dire moi-même.
D’ailleurs, chaque époque a eu « ses mains. »  Ses rites ! Ses gants…

002_dottori72

Les mains des autres… Rijksmuseum,  Amsterdam (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

« Il est rare qu’un bourgeois se fasse prendre sans les mains, ou alors ce sera malgré lui. Un portrait sans mains n’existe pas pour le bourgeois : c’est quelque chose d’incomplet comme un cul-de-jatte. La posture et l’expression de mains le préoccupent au plus haut degré. » (François Victor-Fournel, chroniqueur de la vie parisienne en Ce qu’on voit dans les rues de paris, 1858)

005_Verner,72- 1617,jpg - copie - Version 2

Verner, homme avec une bague.

Les dessins parlent. Ils sont des messages ou des signaux d’alarme, le fruit de quelque chose que nous ne savons pas exprimer par mots. Un « surplus » capable d’entailler le marbre avec une simple ligne de crayon, une traînée d’encre ou alors un tourbillon de couleurs… Une  « langue » capable de grandir à l’intérieur de nous ainsi que des autres  pour germer  d’un coup… quand on devient âgés, ou pendant une promenade quelconque…
Nous sommes des langues qui marchent, des dessins qui colorent, des mains qui parlent.

004_donna anelli180

 Anonyme, femme aux bagues, 1840-1850.

Je voudrais donner le dernier mot à Matisse : « Si j’ai confiance en ma main qui dessine, c’est que pendant que je l’habituais à me servir, je me suis efforcé à ne jamais lui laisser prendre le pas sur mon sentiment. Je sens très bien lorsqu’elle paraphrase, s’il y a désaccord entre nos deux : entre elle et le je ne sais quoi en moi qui paraît lui être soumis. » (Henri Matisse, 1972,  dans Joëlle Bolloch, La main, La photographie au Musée d’Orsay, Musée d’Orsay, 5 Continents, 2007, p.15)

Claudia Patuzzi

Gilbert Bécaud, Mes mains (1958)

 

 

 

 

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