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décalages et metamorphoses

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Archives Mensuelles: avril 2014

Mon Charlot en noir et blanc (dessins et caricatures n.7)

25 vendredi Avr 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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Éditions Robert Laffont, biographie, Charlie Chaplin, Charlot, dessins et caricatures n.7, histoire de ma vie, le dictateur, Rosenthal Jean

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Claudia Patuzzi, Charlie Chaplin, Crayon noir, 47 x 66 cm, 1969 (cliquer pour agrandir)

Mes chers amis, ce dessin de 1969, tout comme le portrait de Giorgione, est accroché dans le couloir, mais avec une primordiale différence. Giorgione fixe mon bureau ainsi que mes épaules, tandis que Charlie Chaplin est en train de scruter les livres de la bibliothèque en face de lui. Il soupçonne, peut-être que là-dedans se cache « Histoire de ma vie », sa célèbre biographie. 
En effet, mon Charlot en noir et blanc est une reproduction fidèle de la photo n° 15, située dans le chapitre V. Donc, depuis sa naissance, ce dessin-ci n’a fait qu’un avec la lecture passionnée de la biographie de Charlie Chaplin.
Vous vous demanderez quel est le moteur qui m’a entraînée dans cette découverte tout à fait particulière.   Peut-être, c’est à cause de mon intérêt constant pour la « formation » d’un être humain, pour la « lévitation » souterraine d’une personnalité future, telle une chrysalide sur le point de prendre le vol. « Comment devenons-nous ce que nous sommes ? Pourquoi ? »
« Comment est-il possible de contourner des difficultés souvent insurmontables ? »
« Comment réaliser nos rêves, nos attentes, ce qui correspond à nos capacités ? »
À dix-huit ans, je ressentais un besoin féroce de réponses. D’ailleurs, celle-ci est une question que je ne cesse de me poser beaucoup d’années depuis, dans une autre ville, dans un autre pays, dans un flux sonore divers, sans m’arrêter jamais aux premières réponses…

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Voilà, le Discours final du Dictateur qui semble être de grande actualité aujourd’hui: « Je regrette, mais je ne veux pas être empereur. C’est ne pas mon métier. Je ne veux pas gouverner ni conquérir qui que ce soit. J’aimerais venir en aide à tout le monde — si possible — aux Juifs, aux Gentils…aux Noirs… aux Blancs.
La vie peut être libre et belle, mais nous nous sommes égarés. La cupidité a empoissonné l’âme humaine, elle a dressé dans le monde des barrières de haine, elle nous a fait marcher au pas de l’oie vers la misère et le massacre. Nous avons découvert le secret de la vitesse, mais nous nous somme cloîtrés. La machine qui produit l’abondance nous a appauvris. Notre science nous a rendus cruels et sans pitié. Nous pensons trop et nous ne sentons pas assez. Nous avons besoin d’humanité que de machines.
(…) En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d’hommes, de femmes et de petits enfants désespérés, victimes d’un système qui pousse les hommes à torturer et à emprisonner les innocents. À ceux qui peuvent me entendre, je dis : « Ne désespérez pas. » (…) La haine des hommes passera, et les dictateurs meurent, et le pouvoir qu’ils ont arraché au peuple le reprendra. Et tant que les hommes mourront, la liberté ne périra jamais !
Soldats ! Ne vous livre pas à ces brutes, à ces hommes que vous asservissent, qui enrégimentent votre existence, que vous dictent vos actes, vos pensées, vos sentiments ! Qui vous font marcher au pas, qui vous mettent au régime, qui vous traitent comme du bétail et qui vous utilisent comme chair à canon ! Vous n’êtes des machines ! Vous êtes des hommes !… » (1)

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Claudia Patuzzi

(1) Charles Chaplin, Histoire de ma vie, trad. Rosenthal Jean,  Robert Laffont, Paris, 1964, Collection « vécu », chap. 25, pp. 394-395

 

 

Le sujet de son égocentrisme, ce sont les autres (Intervalles n. 2)

20 dimanche Avr 2014

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Alberto Giacometti, boulevard Saint-Denis, Centre Pompidou, Dominique Hasselmann, Gilbert Jeune, Henri Cartier-Bresson, Laurent Joffrin, Métronomiques, Pléiade, porte Saint Martin, Primo Levi, Si c'est un homme

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La Porte Saint Martin (cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Hier dans l’après-midi, pour profiter de la température printanière, j’ai fait une promenade en direction du Boulevard Saint-Denis, ayant pour but « Gibert Jeune ». J’aime ce magasin, fameux pour le recyclage des livres « neufs, anciens, introuvables ou d’occasion au meilleur prix ». J’aime ses vendeurs éduqués et silencieux. J’aime sa vitrine de la Pléiade, résultat de vicissitudes parfois tristes ou dramatiques.
« Combien d’anciens propriétaires sont encore en vie ? Pourquoi, en dehors de la mort, auraient-ils dû se débarrasser de leurs livres aimés ? Pour détresse ? Ou alors, avons-nous affaire à des héritiers désormais indifférents à l’élixir enivrant de la lecture ? Ou encore, pour suivre les promesses du nouveau rossignol télématique ? »
Quoi qu’il en soit, j’aime toucher les livres que des mains inconnues ont feuilletés, j’aime ces livres enrichis parfois par des dédicaces et des soulignages ainsi que de commentaires personnels, comme cette phrase écrite au crayon que j’ai découvert par hasard dans le livre de Primo Levi, « Si c’est un homme » : « Salut C. (cher ?) Primo, je reviens au camp pour te saluer et j’espère que tu te souviendras de mon venue…ta vie (mot illisible : he-de ?)

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À la fin de la préface, à la page 8, il y a cette phrase écrite à crayon : « Préface qui me fait comprendre l’intérêt de l’entreprise autobiographique ! »
À la page 130 –> « coup de cœur » suivi par le nom « Levi Primo » ( ! ?)
Plus en bas, à la page 79, il y a une note, écrite à la plume : –> « prise de conscience. »

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Dès que je suis arrivée, le rayon consacré aux livres d’art et au cinéma a immédiatement catalysé mon attention, en particulier un magazine hors série de Le nouvel Observateur dédié à Henri Cartier-Bresson, au prix intéressant de 7,90 euros au lieu de 49,90 du Catalogue de l’exposition au Centre Pompidou (dont j’avais lu récemment un très intéressant et exhaustif reportage en trois volets de Dominique Hasselmann dans son Métronomiques).

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Quand je suis rentrée chez moi, je me suis assise dans mon fauteuil, pour observer calmement les photos de cet extraordinaire magicien de l’objectif.
Dans l’éditorial, signé par Laurent Joffrin, on lit : « Toute sa vie, dans ses reportages comme dans ses promenades, dans ses portraits comme dans ses paysages, il a cherché l’instant décisif, ce moment magique où le fait brut devient une œuvre, où l’image fugace devient un tableau éternel (…) Loin de l’art pour l’art, rétif aux compositions purement graphiques, étranger à l’abstraction, il a témoigné de l’histoire et de la vie des hommes, plus que de son moi tourmenté. Mais il l’a fait en artiste. Rien n‘est gratuit chez lui, tout est social. Au terme d’un travail ascétique, il est devenu témoin d’une histoire où l’image parle mieux que le texte… L’ego de Cartier-Bresson se révèle au contact du monde. Son art se trempe au contact du réel. Pour une raison simple : le sujet de son égocentrisme, ce sont les autres. »

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Henri Cartier-Bresson: « Se lancer dans le photoreportage a été un choix radicale » (cliquer pour agrandir)

En feuilletant les pages et les nombreuses photos, j’ai pu apprécier la valeur tout à fait unique de cet homme « au Leica », à la fois voyageur et contemplatif. Jusque des premières pages, j’ai été conquise par ces déclics en noir et blanc, aussi « humains » et « simples » que « précis ».
Mais, quand je suis arrivée aux pages 48 et 49, je suis restée tout à fait foudroyée par une magnifique photo d’Alberto Giacometti : son regard est attiré par quelque chose, tandis que le bras gauche serre un journal chiffonné contre sa poitrine ; la main droite est cachée au-dessous du revers d’une veste. Il se trouve rue Hippolyte Maindron, à Paris, dans l’année 1961…

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Henri Cartier-Bresson : Alberto Giacometti, rue Hippolyte-Maindron, 1961: « l’artiste avait les mêmes passions que lui: Cézanne, Van Eyck et Uccello ». (p.48)

Pendant quelques secondes j’ai retenu le souffle : « c’est justement la photo qui m’a donné l’inspiration, en 1968, pour un de mes dessins ! » Même si le « journal » du Giacometti à moi ce n’était pas dans la langue française, mais en italien, et qu’on y figurait des mots et des évènements tout à fait différents, liés à ma jeune existence de ce temps-là.
Pendant quelques minutes je demeure comme interloquée : « je ne peux pas y croire ! Durant toutes ces années, j’ai complètement oublié que je m’étais inspiré d’une photo de Cartier-Bresson… »

P.-S. Henri Cartier-Bresson a dit de Giacometti : « Il est l’un des hommes les plus intelligents et lucides que je connaisse, d’une honnêteté sur lui-même et sévère sur son travail, s’acharnant là où on éprouve le plus de difficultés » (Le nouvel Observateur – BeauxArts, Henri Cartier-bresson, Le photographe du siècle, hors-série, p.48) 

002bis_CopertinaLevi740 Livre ancien que j’ai acheté 3 euros chez Gilbert Jeune il y a  cinq ans.

Poème placé en exergue de Si c’est un homme :

Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.

Turin, Janvier 1947, Primo Levi

Claudia Patuzzi

Giorgione (dessin et caricatures n.6)

18 vendredi Avr 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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autoportrait, Brunswick, Che Guevara, dessin de Claudia Patuzzi, dessin n.6, enigme, Gallerie dell'Accademia de Venise, Giorgione, Herzog Anton Ulrich Museum, La tempête, Les editions de minuit, Salvatore Settis

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Claudia Patuzzi, Portrait de Giorgione, fusain sur papier (1968), inspiré par l’ Autoportrait en qualité de David, 1510, une œuvre à l’huile sur bois, 52 × 43 cm, conservé dans les collections du Herzog Anton Ulrich Museum de Brunswick, en Basse-Saxe Allemagne. (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voilà chers amis, le portrait de Giorgione, dit « Zorzo » ou le « Grand George » ! L’homme-énigme… Un dessin qui remonte, comme les autres, à la période 1966-68 culminant avec la révolution des étudiants. Dans ma maison de famille à Rome, j’avais accroché « Zorzo », comme tous les autres dessins, sur les parois de ma chambre à coucher, avec Utrillo, Giacometti et Pasolini, tandis que l’affiche de Che Guevara demeurait solitaire, renfermée à clé dans la bibliothèque. Mon père, en parfait conservateur, l’aurait volontiers mise en pièces !
Maintenant, « Zorzo » est un émigré comme moi, en train de rêver depuis Paris son Castelfranco Veneto. Il est accroché à un clou dans le couloir, entre deux portes, juste en face de mon studio. Quand j’écris, j’entends son regard courroucé sur le dos. Si je me retourne, ses yeux sombres m’observent pensifs, comme s’ils voulaient dire : « Ne vois-tu pas ? Rien n’a changé de Rome à Paris : je suis toujours près de toi ! La géographie et la langue, au-delà des apparences, n’ont pas trop d’importance, car au fond l’homme est toujours le même. Moi aussi, je suis le même “mystère” à Rome, ici à Paris et à Castelfranco… »

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(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

De temps en temps, Zorzo me regarde de biais, inquiet, en me disant : « De quoi songes-tu, à présent ? »
« Et toi, de quoi rêvais-tu tandis que tu peignais la Tempête ? » lui réponds-je, tout en clignant de l’œil. Je sais très bien que c’est un secret. Ah, oui, ses yeux noirs enchanteurs en savent assez !
Le maussade « Zorzo » me sourit, apparemment. Est-ce un leurre de la raison ? Je le fixe encore, juste un instant avant de me faufiler dans la cuisine, en quête d’un café. En vérité, je m’en fiche de ses secrets. Moi aussi, comme tous les gens insatisfaits, j’ai gobé son hameçon aigre-doux sans opposer aucune résistance. Maintenant, dès que je vis dans un « ailleurs » — à Paris, ma nouvelle ville —, je me régale de la chance d’avoir un ami important et affectionné qui ne meurt jamais. Son inquiétude de « beau ténébreux » ne me dérange pas. C’est un reflet de son immortalité mystérieuse. Ou, peut-être, de son humanité mystérieuse miraculeusement figée dans le temps ?

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« La tempête », tableau daté entre 1500 et 1510, conservée aux Gallerie dell’Accademia de Venise en Italie.

Salvatore Settis

Salvatore Settis, une analyse de la Tempête

Claudia Patuzzi

Petit vocabulaire de poche (poésie n 1)

12 samedi Avr 2014

Posted by claudiapatuzzi in poésie

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Canal Saint Martin, intervalles N.1, Petit vocabulaire de poche

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Le canal Saint Martin (cliquer pour agrandir)

Il y a des mots, petit « vocabulaire de poche »

Partout seule,
partout étrangère,
j’ai compris que les mots
(comme les pierres[1])
ont le pouvoir d’abattre
les langues et les frontières.

Combien de mots tombent-ils bruyamment ?
Combien de mots traînent-ils encore dans le vent ?
Combien d’eux restent sans voix, dans le cachot du cœur ?

Il y a des mots en guise de bateaux
rapides et légers
s’échouant sur la plage de l’autre
tout en arborant le sourire
d’un marin inconnu[2] .

Il y a des mots en forme de flèches,
des mots aigus [3] comme des cristaux,
capables de briser l’écran gris
de l’indifférence et de la résignation.

Il y a des mots à la nature d’oiseaux,
curieux et vagues, [4]
ayant la force de ressusciter l’espoir
que la solitude cache.

Il y a les mots enfantins,
sautillant comme le font les écureuils,
des mots qui nous aident
à retrouver nous mêmes
dans l’enchantement d’un jardin perdu.[5]

Il y a des mots en diagonal,
réfractant nos questions
comme des reflets dans un miroir,
des mots piégés par les mystères
des labyrinthes et des rêves.[6]

Il y a des mots à l’allure d’ondes
qui traversent les derniers refuges
de l’histoire, arpentant tous les enfers
et le cimetières du monde.

Il y a des mots au parfum de fleurs,
rouges comme le sang des innocents,
des mots s’épanouissant
jusque sur les tombeaux
pour nous rappeler l’injustice.[7]

Il y a des mots qui vont en couple
ou en rime, qui nous racontent
(encore, sans jamais nous ennuyer)
des simples histoires :
« amour-fleur-cœur.» [8]

Au fond de tous les mots,
au bout de l’horizon, vous trouverez
les mots se sauvant dans le vent
le vol fou [9] de mots minuscules
se perdant dans l’espace
d’une bulle de savon.

Pour en finir, refoulés qui sait où,
il y a des mots tout à fait inventés
qu’on n’a pas encore reconnus
ni transcrits, et qui poussent pourtant,
comme des poussins dans le nid,
contre leurs coquilles.

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(cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Claudia Patuzzi

(Traduction de Giovanni Merloni)

[1] Carlo Levi [2] Vincenzo Consolo [3] Albert Camus et Jean Paul Sartre [4] Jacques Prévert et Giacomo Leopardi [5] Italo Calvino [6] Jorge Luis Borges [7] Primo Levi [8] Umberto Saba [9] Dante Alighieri

TEXTE ORIGINAL EN ITALIEN

Pier Paolo Pasolini (dessins et caricatures n.5)

11 vendredi Avr 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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Boccaccio, Canterbury tales, dessin n.5, Les contes de Canterbury, Manzoni, Pier Paolo Pasolini, Ragazzi di vita

001_Pasolini180Dessin de Claudia Patuzzi, crayon sur papier : Pier Paolo Pasolini dans le tournage de « Canterbury tales » de Chaucer, 1967 (cliquer pour agrandir l’image)

En 1967, en rentrant du cinéma où j’avais vu « Les contes de Canterbury » de Pier Paolo Pasolini, je fis ce dessin que je garde amoureusement près de mon bureau. Dans ce film incontournable, tournée en Maroc, je trouve aujourd’hui beaucoup de points en commun entre l’esprit de Chaucer et les premiers textes de Pasolini, dont en particulier « Ragazzi di vita » (« Les ragazzi »,1955).
« Ce roman est une biographie de quelques gamines de rues romains, de leur enfance à leur première jeunesse », nous dit l’auteur-réalisateur. « Le personnage principal, Riccetto,  avait onze ans au moment de l’arrivée des troupes anglo-américaines à Rome, et il en a dix-huit à la fin du livre, en pleine guerre de Corée et durant le déclin de la peériode dominée par De Gasperi. L’environnement  « vrai  » (le faubourgs  populaires de Rome quientourent la ville de leurs lotissements…), les personnages « vrais« , qui parassaient presque sortis d’un documentaire sociologique, les situations « vraies« , au point se sembler tirées de la rubrique de faits divers des quotidiens romains, pourraient laisser penser que cette biographie de Riccetto et de garçons de son âge est le produit du goût néoréaliste : il n’en va toutefois pas précisément ainsi. Il y a trop de violence dans ce réalisme. Et l’auteur (…) c’est plutôt inspiré de modèles plus authentiques et plus absolus: …il a sans doute eu présents à l’esprit… certains personnages secondaires de l’Enfer de Dante, certains bas-fonds  de Le Décaméron de Boccaccio, les tumultes et les « monatti » (1) milanais de Manzoni, et enfin le sous-prolétariat misérable de Belli ou de Verga… Il ne faudrait pourtant pas croire …qu’il souffle sur ces pages un air littéraire:  l’extrême actualité du document – un document sur l’Italie de ces tout derniers temps, celle de la fin de l’après-guerre – est trop déterminante, et elle implique une passion et une pitié qui n’ont rien de littéraire. En outre, ce roman est entièrement écrit dans une tonalité joyeuse, de divertissement, d’aventure : exactement comme la vie dans les faubourgs de Rome… »(2).

(1) Personnes qui, durant la peste de 1630 à Milan, étaient chargées de ramasser  les cadavres dans les rues ou les maisons et les déposer dans les fosses communes, ainsi que  d’emmener les malades au lazaret.

(2) Pasolini Roma, Skira Flammarion, La Cinémathéque Française, p.60.

Claudia Patuzzi

Le placard de Calvino/3 – dialogues imaginaires n.3

06 dimanche Avr 2014

Posted by claudiapatuzzi in dialogues imaginaires

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Giacomo Leopardi, Lavinia Tolco, le placard de Calvino, Ludovico Ariosto, Orlando Furioso, Orvieto, Pandolfi, Pietro Citati, Puits de Saint Patrice, Rome 1985, Zucchet

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Italo Calvino et le jeu des tarots

Lieu : été 1985. Centre de Rome, Piazza Campo Marzio, près du Panthéon. Studio d’Italo Calvino avec terrasse panoramique.
Personnages : Italo Calvino, la femme de menage Lavinia Tolco, Giacomo Leopardi, l’Arioste, Pandolfi, agent de désinsectisation de la Zucchet.
L’écrivain est assis à son bureau, penché sur la machine à écrire au milieu d’une pile de tapuscrits et de livres.

La femme de ménage frappe à la porte : « Le café, monsieur Calvino ! »
— Entrez, Lavinia, posez-le sur la table s’il vous plaît …
— Monsieur Pietro Citati est en bas. Il vous attend pour partir en promenade. Il m’a dit, en passant : « comment se porte-t-il avec les leçons américaines ? » Figurez-vous ! Il le demande à moi !
— Toujours cette ritournelle : « leçons » ! Il s’agit de six conférences sur un thème libre que je dois tenir à l’université de Harvard, dans les États-Unis ! E celui-ci insiste avec ce mot « leçons » ! Dites-lui de retourner dans l’après-midi…
Juste au moment où Lavinia Tolco referme la porte, Calvino susurre à part soi : – pourtant, leçons américaines ce ne serait pas mal comme titre… Mais, qui parle ?

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L’écrivain Pietro Citati, ami de Calvino.

Sans se passer d’un profond soupir il se lève, va vers le placard dont entrouvre une porte : « qui sait où s’est-il cachée la flèche de la Zucchet ? Ce placard c’est pire que le Puits de Saint-Patrice ! Je dois faire attention à ne pas tomber moi-même là-bas… Mais j’entends des voix ! D’où viennent-elles ? Qui parle ? Peut-être, suis-je en train de devenir fou ? »
— Y a-t-il quelqu’un, là ? On arrive !
— Qui êtes-vous ?
— On arrive, je vous dis ! Ce n’est pas facile ! Avec ces parasites et cafards, on a à faire avec la poussière, les épluchures, les débris, les paroles vides et les métaphores arrivées à échéance, utopies et rêves impossibles, ainsi que des villes invisibles, des châteaux croisés, des don Quichotte improvisés, des chevaliers errants au chômage ou pourfendus, sans négliger bien sûr les folies, les dictatures ridicules ou gravement redoutables…  » déclame une voix de stentor. Et finalement, un homme grand et gros sort du placard. Il est enveloppé jusqu’aux pieds dans un épais manteau de fourrure.
— Ferrare est une ville humide où il pleut beaucoup ! dit-il en souriant.
Calvino, la bouche ouverte, le regarde pétrifié. Monsieur Pandolfi, tel une serviette sale, pend des bras de cet homme imposant, tandis que Leopardi, avançant péniblement dans le cône d’ombre, lui soulève gauchement les pieds.

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Le poète Giacomo Leopardi (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Au lieu de s’occuper de Pandolfi, Calvino s’inquiète pour le poète de Recanati. Il va prendre une chaise et un verre d’eau. Leopardi boit avidement, reprenant ses forces : — ne vous inquiétez pas, monsieur Calvino, c’est l’asthme. La faute est à l’au-delà : ce n’est qu’une illusion. On reste exactement comme on a toujours été. Aucun espoir de guérison. Aucun sanatorium. La punition ? On reste toujours à la même case, soit de départ soit d’arrivée. Il n’arrive jamais rien…
— N’exagérons pas, ricane l’homme à la fourrure tout en indiquant l’homme de la Zucchet, « nous avons eu l’occasion de recevoir ce cafard hors taille. Il s’est faufilé là où il n’était pas autorisé, en m’obligeant à monter à la surface depuis des siècles de silence… »
— Ce serait mieux de le cacher, s’exclame Calvino… Il risque d’apprendre trop de choses… Mettons-le sur le transatlantique dans la terrasse. Là, personne ne le verra, qu’en pensez-vous ?

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Portrait de Arioste de Titien (cliquer pour agrandir l’image)

Quelques minutes depuis, Calvino examine scrupuleusement cette figure majestueuse: — mais… vous êtes… vous ressemblez… à l’homme du célèbre portrait… de Titien ! Vous êtes l’Arioste, l’auteur du Roland Furieux ! En disant cela, il se jette à ses pieds.
— Je vous remercie, monsieur Calvino, mais levez-vous, je vous en prie !
— Monsieur Arioste, pourquoi êtes-vous venu ici ?
— Pour donner un coup de main au comte Giacomo ainsi que pour vous remercier pour tout ce que vous avez écrit à propos de moi… « Un explorateur lunaire qui ne s’étonne de rien ! » (1) Encore plus, j’ai été très réconforté, là-bas, en entendant l’écho de vos mots sur mon Roland Furieux : – « Le poème du mouvement selon des lignes coupées, à zigzag, tracées par les chevaux au galop ainsi que par les intermittences du cœur humain » (2),  « l’élan et l’aise dans la narration, c’est à dire le mouvement errant de la poésie ! » (3). Vos livres sont en train de redonner l’espoir à nous tous !
— Nous ?
— Oui, nous, les Classiques de tous les temps ! Du Panthéon de Rome jusqu’à celui de Paris ; du mausolée de Sainte-Croix à Florence aux grandes cathédrales. Partout où reposent des écrivains, des artistes, des philosophes. En somme, tous les classiques sont en effervescence…
— Quoi ?
— Ils sont très inquiets, d’étranges rumeurs courent…

SI POZZO

Puits de Saint Patrice (Orvieto-Umbrie)

nota 1 : Roland furieux, préface, p.XIX
nota 2 : Pourquoi lire les classiques, p.71; Roland Furieux, ibidem, p.XXIV
nota 3 : Roland Furieux, préface, p.XXV

Claudia Patuzzi

Alberto Giacometti (dessins et caricatures n.4)

04 vendredi Avr 2014

Posted by claudiapatuzzi in dessins et caricatures

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14° arrondissement, 1968, Alberto Giacometti, Borgonovo, dessins n.4, francis bacon, Jacques Dupin, Paris, rue Hippolyte-Maindron n.46, Sartre, Stampa, Thierry Dufrêne, Val Bregaglia

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Claudia Patuzzi : Albero Giacometti, crayon, Rome, 1968. (cliquer pour agrandir l’image)

Ce dessin d’Alberto Giacometti est accroché sur la paroi juste au-dessus de mon bureau, à côté du portrait d’Utrillo : un couple inséparable ! Il suffit que je lève les yeux pour les voir devant moi, avec leurs regards impénétrables et profonds. Deux dieux tutélaires ? Giacometti était mort en janvier 1966. Deux ans depuis, en 1968, j’eus l’impulsion de dessiner son visage, symbole d’une époque (les titres sur les journaux en reflètent les évènements cruciaux : la mort de Luther King ; le Vietnam ; le phénomène hippy ; l’amour libre ; les mots comme « dévaluation », « paix », « vérité », « guerre »… ) Mais Giacometti va largement au-delà de son temps dans sa lutte incessante pour « redécouvrir » la figure humaine, son essence cachée, creusée dans les coins les plus éloignés de la matière: l’éclat de la vie…

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( cliquer sur la photo pour l’agrandir )

En octobre 1965, quelques mois avant sa mort, sur le bateau qui le ramène de New York en Europe, Giacometti écrit en « Notes sur les copies » : « Je ne sens que la mer qui m’entoure, mais il y a aussi le dôme, la voûte immense d’une tête humaine » (note 1 : Thierry Dufrêne, Giacometti – Les dimensions de la réalité, Skira, Genève, 1994, p.184)

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 L’atelier 46 rue Hippolyte-Maindron, 14° arrondissement de Paris (cliquer pour agrandir)

« Le regard dominateur de Giacometti…  regarde ma tête dans l’espace réel  et, presque à la même seconde,  une autre tête, la même et une autre, en train de se construire sur la toile. Le même geste d’Alberto les fait grandir ensemble, grandir et se dévorer, en augmentant la distance qui le sépare de lui… un gouffre… » (note 2 : Jacques Dupin, Alberto Giacometti, Éclats d’un portrait, éditions André Dimanche, septembre 2007, p. 39)

À Paris, en 1941, Giacometti rencontre Sartre, professeur au lycée Pasteur et déjà écrivain de La nausée. De ce moment le philosophe suivra l’œuvre de l’artiste jusqu’à sa mort. Pour Sartre, Alberto « dégraisse l’espace », conférant aux visages – des « fétiches naturels »- la transcendance visible, à mi-chemin entre l’être et le néant » (note 3 : Thierry Dufrêne, ibidem, p.152) 003_Giac volto600

« Ce qui m’intéresse le plus dans une tête… ce sont les yeux. Quand on regard un homme, on regarde toujours les yeux. Même quand on regarde un aveugle, on regarde la place des yeux, comme si on sentait les yeux derrière… Ce sont les yeux, le regard qui comptent le plus dans un visage. Toutes les autres formes  sont plus ou moins floues et indécises. » (nota 4 : Jacques Dupin, ibidem, p.67.)

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« Il cherche d’attraper dans le vide le fil blanc invisible du merveilleux » (nota 5: Ibidem, p. 77)

« Sa tête acquiert ainsi sa mutité résonnante si paradoxale qui s’oppose au cri bouche ouverte des têtes de Francis Bacon » (nota 5 : Thierry Dufrêne, ibidem, p.166)

006_Giac-600 scjpg « Le peintre est en avant, occupé à une révélation scabreuse infinie par une pénétration acharnée de l’inconnu qui barre le chemin » (nota 6: Jacques Dupin, Ibidem, p. 74) 007_Stampastudio180

Alberto Giacometti dans sa maison à Stampa, dans le Val Bregaglia, le village de la Suisse italienne où il avait passé son enfance. Il a été enterré dans le cimetière de San Giorgio près de Borgonovo. Le corbillard était tiré par le seul cheval du village. Les habitants du Val Bregaglia étaient venus en foule, rejoints par un grand nombre de visiteurs, des officiels et des amis…

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 Alberto Giacometti sur la terrasse de sa maison à Borgonovo.

Claudia Patuzzi

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